“Voyage au bout de la nuit”


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Les Américains ont vécu les cent jours qui se sont écoulés entre le 15 octobre 2020, c’est-à-dire la fin de la campagne des élections américaines, et le 20 janvier 2021, jour de l’inauguration, comme un cauchemar dont il ne reste que des récits, des chroniques, des commentaires, des tweets, des images. Un cauchemar parce que la nation américaine, abasourdie, traumatisée, a peur ; peur de mourir de la Covid 19, peur de la guerre civile, de la révolte, peut-être même de la révolution.

Washington le 2021-01-20

Laure Mandeville écrivait, il y a quelques jours, dans le Figaro, « qu’après quatre ans de présidence Trump, l’Amérique tangue au-dessus d’un précipice. La politique est devenue une guerre de factions. Et des segments entiers du corps social semblent tentés par une forme de sécession mentale. Une situation volcanique qui laisse au nouveau président, Joe Biden, une bien faible marge de manœuvre pour rassembler le pays. L’Amérique est entrée dans les eaux dangereuses et incertaines d’un temps révolutionnaire. »

Un mois avant le jour de l’élection, l’Amérique était inquiète. Les observateurs soulignaient que, dans un pays où la démocratie est souvent citée en exemple, le climat se détériorait. Le scrutin du 3 novembre, sur fond de pandémie, avait toutes les chances d’être un référendum pour ou contre Trump, avec toute l’irrationalité que cela supposait. Des déclarations inquiétaient. Le président républicain, Donald Trump, refusait de s’engager à respecter par avance la tradition américaine de transfert du pouvoir à l’issue de la présidentielle du 3 novembre, dans l’hypothèse où il serait battu par son adversaire démocrate, Joe Biden. Il affirmait que le vote massif par correspondance, du fait de l’épidémie de Covid-19 allait fausser le résultat. Il allait jusqu’à dire que son adversaire Joe Biden ne pourrait gagner qu’en trichant. Hillary Clinton, son ancienne adversaire, accusait Trump d’être un « aspirant dictateur désespéré ».

Le 18 octobre, dans Le Monde, Gilles Paris écrivait que le mandat de Donald Trump avait été « marqué par l’indifférence ou le mépris vis-à-vis des règles respectées par ses prédécesseurs ». Homme d’affaires, aux pratiques assez douteuses, il considérait que l’article 2 de la Constitution américaine, lui donnait tous les droits. « Je peux faire tout ce que je veux en tant que président », disait-il !

Il a effectivement fait ce qu’il voulait pendant quatre ans ; c’est-à-dire souvent n’importe quoi !

25-03-2020 Trump à la Maison Blanche

Dans son administration, il a passé son temps à virer des collaborateurs, portant à plus de 80 % le taux de remplacement de ses équipes à des postes souvent très importants comme ce fut le cas avec son premier secrétaire d’État, Rex Tillerson, ancien patron du géant pétrolier ExxonMobil, avec le premier secrétaire à la défense, James Mattis, qui avait juré de soutenir et de défendre la Constitution et n’acceptait pas qu’on ordonne à des soldats prêtant le même serment, en aucune circonstance, de violer les droits constitutionnels de leurs concitoyens ou poussé à la démission le directeur du renseignement national, l’ancien sénateur républicain de l’Indiana Dan Coats, dont les analyses visant la Russie ou la Corée du Nord détonnaient avec ses propres affirmations.

Sous le titre : « Donald Trump sent le vent du boulet à l’approche de l’élection présidentielle », Gilles Sengès, le19 Octobre, pour l’Opinion, racontait que Donald Trump évoquait parfois l’impensable : qu’il puisse être battu par Joe Biden lors de l’élection présidentielle du 3 novembre ! À chaque fois, il feignait de plaisanter. « Si je perds contre lui (…), je ne vous reparlerai jamais », a-t-il ainsi lancé à ses supporters de Caroline du nord, fin septembre. « Si je perds dans le Minnesota, je ne reviendrai jamais », a-t-il continué, début octobre à Minneapolis. A cette date, Joe Biden menait dans les sondages Joe Biden tweetait : « Promis ? »

« L’Amérique faisait pitié », pouvait-on déjà lire sur le site The Atlantic (Washington), alors que d’ordinaire détestés, admirés ou redoutés, les États-Unis semblaient en plein naufrage. Jamais l’opposition à l’Amérique, dans le monde entier, n’avait atteint un tel niveau. Trump était un cas unique d’un président qui n’agit que dans son intérêt personnel. Avec lui, les relations internationales n’étaient plus que des deals, des échanges transactionnels. La présidence Trump avait profondément bouleversé l’équilibre du monde. N’était ce pas l’expression du déclin américain, l’évolution inexorable qu’ont connue les anciennes grandes puissances déchues ?

Et si, comme en 2016, Trump faisait mentir les sondages, espéraient ses partisans, convaincus que la popularité de Trump était sous-estimée. Il y a beaucoup de votes Trump cachés, disaient-ils. Les électeurs du président américain, répugnent à partager leurs opinions, “de peur d’être jugés”. Dans un pays “où les gens mentent à leur comptable”, il n’est pas étonnant qu’ils ne veuillent pas être stigmatisés s’ils sont pour Trump. À quelques jours de la présidentielle américaine du 3 novembre, on pourrait être tenté “de considérer l’élection comme jouée”, observait Politico. Depuis des mois, le démocrate Joe Biden jouissait en effet d’une confortable avance sur Donald Trump dans les intentions de vote, « mais Trump pouvait très bien être victorieux au Collège électoral ».

Le 3 novembre, les événements se déroulèrent comme Trump, lui-même, l’avait annoncé. Du fait du nombre très élevé de votes par correspondance, il fut impossible de connaître le nom du vainqueur le soir même. Très vite, sur les cartes qui apparaissaient sur les écrans, un « mirage rouge » (la couleur du parti républicain) fut suivi d’une « vague bleue » (la couleur du parti démocrate), comme l’avait écrit Gilles Sengès pour l’Opinion.

Le 4 novembre, Donald Trump, de la Maison-Blanche avait revendiqué la victoire et demandé qu’on arrête de compter : « C’est une fraude contre le peuple américain. C’est une honte pour notre pays. Nous étions en train de gagner cette élection. Franchement, nous avons gagné cette élection. » « Hier soir, j’avais une bonne avance dans de nombreux États décisifs, puis, un par un, ils ont commencé à disparaître par magie avec l’apparition et le comptage de bulletins surprises. Très étrange. » « Ce vote est une imposture. Nous ne sommes pas une démocratie ! » Trump se disait prêt à demander à la Cour suprême de faire interrompre le décompte des votes.

D. Trump le 2020-12-12

La proclamation prématurée d’une victoire est fréquente dans les régimes non démocratiques. Elle est inhabituelle aux États-Unis

Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », s’interrogeait dans la livraison du 4 novembre : « Le monde ébahi a aussi entendu monter une rhétorique putschiste en fin de campagne, depuis les républicains qui accusent leurs adversaires de vouloir « voler » l’élection, jusqu’aux démocrates qui soupçonnent les républicains de fomenter « un coup d’État ».

Le même jour, dans l’Opinion, Nicolas Beytout s’exclamait : « Quelle gifle ! Quelle leçon ! C’est maintenant un fait établi, il existe dans nos sociétés contemporaines un puissant courant de résistance au changement, une base conservatrice solidement installée, dont la caractéristique principale est qu’elle est difficile à appréhender. C’est elle qui a fourni chez nous leurs bataillons aux Gilets jaunes, c’est elle qui galère au jour le jour, qui veut travailler lorsque le confinement l’en empêche, qui s’inquiète de la montée inexorable de l’insécurité et de l’incapacité des gouvernements à juguler la violence terroriste. C’est elle qui, jusqu’à présent, a préféré s’abstenir toujours davantage à chaque scrutin. Preuve est faite, avec l’élection américaine, que cela peut changer. »

Au fil des jours, les États-Unis s’enfonçaient dans la confusion et la dénonciation par Trump d’un complot électoral.

Sur sa page Facebook, Michel Mompontet titrait : « Trump c’est Néron ». Face à sa défaite qui se rapproche chaque heure davantage et qu’il ne peut concevoir ni accepter, (son narcissisme pathologique l’en empêche) il choisit de tenter de mettre le feu à son pays et de sabrer détruire ses fondations démocratiques. « C’est une conspiration, c’est une fraude massive organisée dans des centres de votes secrets tenus par les démocrates… etc.

2020-10-24 Dans le Bureau ovale

« Vous imaginez l’effet de ces propos dans la tête de ces fans ? N’est-ce pas un appel à la guerre civile » écrivait de son côté, Jean-Louis Margolin. « Le vote par anticipation a tout brouillé » et est « antidémocratique » s’écriait André Kaspi, que j’ai connu plus nuancé !

Sur ce blog, je publiais : « Les heures sombres de la démocratie américaine ».

« Les résultats de l’élection présidentielle américaine sont à ce stade extrêmement serrés et nous sommes face au pire scénario envisagé : celui où la victoire dépend de quelques milliers de voix dans quelques États. De surcroît, trois d’entre eux (Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin) n’ont commencé à compter les bulletins de vote par correspondance qu’au soir de l’élection, ainsi que le prévoit leur droit électoral. Or dans ces États qui ont permis à Donald Trump de devenir président en 2016, les républicains ont beaucoup voté en personne alors que les démocrates ont davantage voté par correspondance. Il était donc évident que le soir de l’élection, Trump apparaîtrait vainqueur dans ces trois États. Mais au fur et à mesure que les bulletins par correspondance sont dépouillés, le candidat démocrate rattrape son retard apparent et l’écart se réduit », écrivaient le 7 novembre,  Blandine Chelini-Pont Professeur des Universités et Robin D. Presthus Enseignant au Moravian College de Pennsylvanie, sur le site « The Conversation ».

Je regardais CNN quand, aux alentours de 17h30, heure française, le samedi 7 novembre, Wolf Blitzer, le célèbre présentateur, a annoncé la victoire de Joe Biden. J’ai été le premier à publier l’information sur Facebook avec une photo capturée sur mon iPhone.

Les recours n’étant pas fondés, la Cour suprême n’a pas pu sauver Donald Trump

La Une de TIME le 2020-12-11

Ce fut alors, comme l’a écrit Gilles Paris dans Le Monde, « la descente aux enfers de Donald Trump » qui « s’est lancé dans une entreprise périlleuse : celle d’un impossible maintien au pouvoir. En moins de quatre-vingts jours d’une chute vertigineuse, sa fuite en avant dans le déni et la violence s’est fracassée contre le réel. »

« Si la Cour suprême fait preuve d’une grande sagesse et de courage, le peuple américain gagnera peut-être l’affaire la plus importante de l’histoire, et notre processus électoral sera à nouveau respecté. » La conception purement transactionnelle du pouvoir de Donald Trump vient de se fracasser définitivement contre le droit, écrivait Gilles Paris. Donald Trump avait imaginé dans son scénario idéal que les juges qu’il avait nommés, « ses » juges, trouveraient le moyen, d’une manière ou d’une autre, de lui éviter la défaite. À l’instant fatidique, le sol se dérobe sous ses pieds. Trois jours plus tard, le collège des grands électeurs désignés le 3 novembre, conformément au mécanisme de scrutin indirect, valide les résultats.

Trump avait décidé de longue date de rassembler ses troupes le 6 janvier, sur la vaste pelouse située entre la Maison Blanche et l’obélisque du Washington Monument.

Gilles Paris, toujours, racontait : « La tension est matérialisée par la vitre blindée qui le protège et ses mots sont ceux d’un apprenti factieux qui dirige encore les États-Unis. Tout y est. L’invitation à la violence : « il va falloir se battre plus durement », « vous allez devoir montrer votre force, et vous allez devoir être forts ». La menace contre le vice-président, Mike Pence, par ailleurs président du Sénat, dont le rôle se limite pourtant ce mercredi à lire les résultats : « J’espère qu’il va prendre la bonne décision, s’il prend la bonne décision, nous remportons l’élection. » Donald Trump met en demeure ceux qui l’adulent : « Si vous ne vous battez pas comme des chiens, vous n’aurez plus de pays. » Il y ajoute une fausse promesse : « Nous allons au Capitole et je serai avec vous. »

« Dans quelques heures, le chaos s’abattra sur le Congrès, sans pour autant arrêter le cours de l’histoire. Un président des États-Unis vient de repousser une dernière fois les limites de la morale, de la décence et de la dignité. De s’aventurer là où aucun de ses prédécesseurs n’a jamais osé s’avancer. Pour conjurer la débâcle, Donald Trump s’est lancé dans sa dernière entreprise de démolition, celle de la démocratie américaine, mais c’est lui qu’elle va emporter ».

L’assaut du Capitole le 6 janvier

« Les partisans de Donald Trump minimisent l’assaut du Capitole et veulent croire à son retour », écrivait Arnaud Leparmentier, dans Le Monde. Dans le même journal, Damien Leloup et Grégor Brandy, évoquaient les illusions perdues des partisans de la théorie du complot qui ont attendu en vain l’arrestation de Joe Biden mercredi et l’exécution du « plan » qu’aurait, selon eux, orchestré Donald Trump. Un plan imaginé par « Q », un compte en ligne anonyme qui publie des messages destinés aux partisans les plus déterminés de Trump. Ces arrestations devaient se produire le 20 janvier – date de la cérémonie à l’issue de laquelle Joe Biden est devenu le 46e président des États-Unis. Donald Trump aurait ainsi pu conserver son fauteuil de président. Les partisans de « Q » attendent toujours !

Ils ne sont pas les seuls à se faire des illusions. Marion Maréchal, dans valeursactuelles.com, le 20 janvier, affirmait que : “C’est un mensonge” : Donald Trump n’a pas appelé à envahir le Capitole ». La directrice de l’ISSEP refusait de qualifier l’assaut du Capitole, d’insurrection” ou de “coup d’État”, préférant évoquer “un débordement, une espèce de truc tragicomique”. Elle continue à soutenir qu’il y a eu « des fraudes » lors de l’élection du mardi 3 novembre 2020 : « C’est manifeste ».

Jean-Marie Le Pen, de son côté, dénonçait « le mauvais procès » fait à Trump après l’assaut du Capitole. Il estimait que cela « n’a pas été une opération dramatique » et que contrairement à ce que la majorité des personnalités politiques ont dénoncé, « à aucun moment, les institutions américaines n’ont été mises en péril par cette manifestation ».

L’assaut

« Les quatre années de présidence Trump s’achèvent dans le chaos le plus total. Le complotisme ainsi que les violences verbales et symboliques systémiques ont abouti à une tentative de destruction de la démocratie, point d’orgue du trumpisme institutionnel. Opportunisme, surenchère communicationnelle, distorsion permanente de la réalité, culte du moi, hyper-présidence, stratégie de disqualification permanente des adversaires politiques, des partenaires internationaux, des médias et des corps intermédiaires… Par-delà les outrances diffusées sur tous les supports médiatiques, le projet de société trumpiste est bien réel. Le projet personnel l’est tout autant. Et l’ensemble nous en dit beaucoup de la crise démocratique. Notamment après l’assaut contre le Capitole », écrivait, de son côté, Marie-Cécile Naves Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI).

La Une du Monde du 2021-01-22

Dans L’Opinion, le 20 Janvier, Gilles Sengès s’interrogeait : « Mar-a-Lago sera-t-il l’île d’Elbe ou le Sainte-Hélène de Donald Trump ? À en croire Le Wall Street Journal, il aurait discuté avec ses proches de la possibilité de former une nouvelle formation et de conserver ainsi une influence sur la scène politique américaine. Il aurait même évoqué l’idée de la baptiser « Parti patriotique » (…) Le système politique américain favorise le bipartisme, ne laissant que des miettes aux petites formations comme les Partis libertariens, vert ou de la constitution.

Dans la presse internationale, c’est l’hallali.

Susan B. Glasser dans le New Yorker, signe une ultime “Lettre du Washington de Trump” dans laquelle elle souligne : “À la fin, Trump aura bien été tout ce que ses détracteurs craignaient : un candidat du chaos […] devenu président du chaos. Un démagogue américain ayant semé la division et la discorde raciale […] et monétisé la présidence pour lui-même et pour ses proches. À la veille de son investiture devant un feu d’artifice au Lincoln Memorial, il y a quatre ans, Trump avait déclaré : Nous allons rendre sa grandeur à l’Amérique, j’ajouterais même la rendre encore plus grande Sur ce point, le couperet de l’histoire sera brutal : il a échoué.”

Joe Biden n’a pas eu la fête traditionnelle en raison de la Covid et des menaces qui pesaient sur la cérémonie. Il a eu une fête virtuelle, assez réussie, dans une capitale fédérale transformée en un camp retranché. « C’est le jour de la démocratie », a-t-il lancé, juste après sa prestation de serment, alors que, il y a quelques jours, « la violence a cherché à faire vaciller les fondations mêmes du Capitole ».

Ainsi se terminait ce « voyage au bout de la nuit », cette période absurde, que Louis-Ferdinand Céline aurait sans doute aimé décrire. La parenthèse Trump, refermée, le nouveau président, comme après une guerre, doit reconstruire et unifier la nation américaine.

Vaste programme !


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