Toutes ressemblances avec les années 1930 seraient infondées, mais…


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Ceux, et celles, qui crient, applaudissent, agitent des drapeaux, dans les meetings de Marine Le Pen, n’ont évidemment pas connu les années trente et n’en n’ont probablement jamais entendu parler. C’est si loin, si différent ! Pas si sûr !

Le contexte, l’environnement international, ne sont évidemment pas comparables. Cependant, les mots, les peurs, les slogans, sont les mêmes. La dénonciation des élites, du système, des partis dits de gouvernement, de la presse en général, de la démocratie, qui ne représenterait plus le peuple, des puissances financières, de la mondialisation, revient dans tous les discours. Le patriotisme, le protectionnisme, le nationalisme, seraient les seules solutions.

La crise financière de 2008, comme celle de 1929, a eu des conséquences économiques et sociales graves. Dans de nombreux pays, les solutions proposées par les partis populistes sont les mêmes. Au nom du peuple, il faut fermer les frontières, pratiquer la préférence nationale, changer de dirigeants politiques et s’allier avec les États qui ont la même pratique du pouvoir. C’est oublier un peu vite que c’est avec les mêmes mots, les mêmes promesses qu’Hitler a pris le pouvoir en Allemagne, Mussolini en Italie, Franco en Espagne, Salazar au Portugal dans les années trente.

Les Allemands, eux, se souviennent. Il suffit de lire – ou de relire – ce qu’a écrit William L. Shirer dans le premier tome de son livre : « Le Troisième Reich ». « La crise qui frappa le monde entier vers la fin de 1929 donna à Adolf Hitler l’occasion qu’il cherchait et il sut en tirer parti. Il ne pouvait prospérer qu’en période de malheur, quand les masses étaient réduites au chômage, à la faim et au désespoir. Il entendait faire sa révolution après avoir obtenu le pouvoir, un mandat du peuple, par des moyens constitutionnels. Pour cela, il devait convaincre le peuple allemand que lui seul pouvait tirer l’Allemagne de sa triste situation. Il ne s’intéressait pas à l’économie politique, ne comprenait pas ce qui avait provoqué cette situation, mais s’en réjouissait dans la presse nazie : « Jamais de ma vie je ne me suis senti aussi bien disposé et aussi satisfait qu’en ce moment. Car la dure réalité a révélé aux yeux de millions d’Allemands les escroqueries sans précédents, les mensonges et les trahisons dont se sont rendus coupables les marxistes qui ont trompé le peuple ». La misère du peuple allemand n’éveillait nullement sa compassion. Il ne s’agissait pas de perdre son temps à compatir aux souffrances de ses compatriotes, mais bien plutôt d’en faire froidement et immédiatement un soutien politique à ses propres ambitions. Ce fut ce qu’il entreprit de faire à la fin de l’été 1930. […] Les millions de chômeurs réclamaient du travail. Les boutiquiers demandaient de l’aide. Quelque 4 millions de jeunes gens qui avaient atteint l’âge de voter depuis les dernières élections voulaient l’assurance d’un avenir qui leur donnerait au moins les moyens de vivre. À tous ces millions de mécontents, Hitler, dans une campagne menée tambour battant, offrit ce qui leur parut, dans leur désespoir, apporter quelque espérance. Il redonnerait sa force à l’Allemagne, répudierait le traité de Versailles, supprimerait la corruption, réduirait à merci les grands financiers et veillerait à ce que chaque Allemand eut un travail et du pain. Cet appel ne demeura pas sans effet auprès d’hommes affamés et désespérés en quête, non seulement d’apaisement, mais d’une foi nouvelle, d’un nouveau Dieu. »

En France, le 6 février 1934, il s’en est fallu de peu que disparaisse la République. Les ligues avaient appelé à manifester le jour de l’investiture de Daladier, à Paris, place de la Concorde, en face de la Chambre des députés. En la circonstance, la haine de la démocratie parlementaire unissait les extrémistes de droite comme de gauche. Il y avait Les Croix-de-Feu présidée par le lieutenant-colonel comte François de La Roque qui prônait un régime présidentiel. Étaient présentes également la ligue monarchiste Action française, la ligue des Jeunesses patriotes, le groupe Solidarité française du parfumeur François Coty et même une Fédération des contribuables !

À côté de ces groupes qualifiés d’extrême-droite, il y avait l’Association républicaine des anciens combattants, d’obédience communiste. Plus de 30 000 manifestants, dont une forte majorité d’anciens combattants, criaient : « À bas les voleurs ! » et réclamaient davantage de civisme, d’honnêteté… Communistes et fascistes étaient, ce jour-là, unis contre la démocratie « bourgeoise ». Trois hebdomadaires de droite et d’extrême droite soutenaient la manifestation : Gringoire, Candide et Je suis partout de Robert Brasillach. Philippe Henriot, député de Bordeaux, antirépublicain, antimaçonnique et antisémite était là aussi. Il fera parler de lui quelques années plus tard.

Bref, de nombreux régimes démocratiques se sont effondrés faute d’avoir été capables d’apporter des solutions aux conséquences de la crise économique de 1929. Les situations ne sont pas comparables ; dès 2008, des mesures financières ont été prises au niveau international pour éviter le drame. Les exigences des peuples ne sont plus les mêmes, la circulation de l’information a bouleversé le rapport de force, mais, comme l’écrivait Raymond Aron, la passion l’emporte toujours sur la raison. Les scandales, les affaires, provoquent les mêmes colères. En 1930, les gens avaient faim. Aujourd’hui, les besoins sont différents, les responsables ont changé, mais le désir de « sortir les sortants » est le même. Il ne s’agit plus de se laisser tenter par le communisme, le nazisme, le fascisme ou un autre régime en « isme », mais de porter au pouvoir un homme – ou une femme – autoritaire, qui ne s’en laisserait pas conter, remettrait de l’ordre et résisterait au système financier international qui impose l’austérité et des bas salaires.

Vous n’avez pas aimé le climat de la campagne à l’issue de laquelle les Britanniques ont décidé de quitter l’Union européenne. Vous n’avez pas aimé l’épouvantable campagne présidentielle aux États-Unis. La campagne présidentielle en France vous fait honte. Dites-vous que ces campagnes, qui rythment la vie démocratique, sont le miroir du bouleversement profond de l’état d’esprit des peuples qui ne supportent plus certains aspects du libéralisme, du capitalisme, de la mondialisation qui accroissent les inégalités sans offrir le minimum de sécurité auquel aspirent les populations. Le corps électoral exige, dans sa grande majorité, un profond renouvellement du personnel politique.

Le risque est grand de voir le monde se désunir, se déchirer. Le risque est réel de devoir assister, impuissants, au spectacle de pays qui, après s’être fait la guerre économiquement, prendront les armes, de plus en plus puissantes, pour régler leurs différends par d’autres moyens. La recomposition des zones d’influence et le repli sur soi des États-Unis font aujourd’hui craindre le pire, mais celui-ci, dit-on, n’est pas certain…

 


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