Sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. (suite et fin)


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Le débat sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN est clos depuis le discours que le Président de la République a prononcé le 11 mars à l’Ecole militaire et le vote, à l’Assemblée nationale, sur la politique étrangère du gouvernement.
Déjeunant, hier, avec le général d’armée, Jean Cot, ancien commandant de la 1er armée et ancien commandant de la FORPRONU, je lui ai demandé l’autorisation de publier sur ce blog, l’opinion qu’il vient d’exprimer sur ce sujet. Avec un sourire, il m’a, sans hésitation, accordé cette autorisation. Je publie ce texte sans tarder. Le général précise que « vous y relèverez peut être un zest d’humour et une pince d’impertinence. Tout ce qui a été écrit sur ce sujet par ceux, dont moi, qui ne souscrivent pas au discours officiel, n’a servi à rien. C’est pourquoi je me suis essayé à un discours plus léger…qui n’aura pas plus d’impact sur ce qui arrêté depuis longtemps, mais pour la rédaction duquel je me suis fait plaisir. »
Je suis également heureux de contribuer à ce plaisir ! Enfin, je recommande au lecteur de lire avec beaucoup d’attention la citation du général de Gaulle qui est intemporelle et prophétique. Il est bien entendu que chacun a le droit, et le devoir, de penser ce qu’il veut sur ce sujet. Toutes les opinions sont honorables et seul l’avenir permettra de trancher et de dire qui avait raison.
La France dans l’Otan. Enfin !
Le président de la République a confirmé le retour de la France dans l’Otan, le 11 mars 2009, à l’Ecole militaire. J’y étais. Ce fut une bien belle journée !
Vingt intervenants ont précédé le chef de l’Etat : des députés, des diplomates, un militaire, des universitaires, six étrangers.
Monsieur Solana, haut représentant pour la Pesc a dit qu’il était très content : il fut naguère Secrétaire général de l’Otan.
Monsieur Jaap de Hoop Scheffer, Secrétaire général de l’Otan, a dit qu’il était très très content.
Monsieur Kurt Volker, ambassadeur, représentant permanent des Etats-Unis auprès de l’Otan a dit qu’il était très très très content.
Monsieur Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes a assez mal lu un discours assez confus, c’est en tout cas ce qui se disait autour de moi.
Monsieur Morin, ministre de la Défense a dit, en moins bien, ce qui est normal, ce que le Président dira plus tard.
Messieurs Richard (ancien ministre socialiste de la Défense) et Boucheron (ancien président socialiste de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale) avaient aussi été conviés à s’exprimer. Ils étaient les seuls, sur vingt intervenants, à ne pas partager le même enthousiasme que le Président sur ce retour dans l’Otan. Ils ont dit des choses intéressantes mais furent tellement pondérés et mesurés, qu’ils ne pouvaient faire le poids face à la fougue des « atlantistes ». Je comprends très bien qu’il eut été déplacé que des intervenants plus vigoureux, comme monsieur de Villepin ou monsieur Bayrou par exemple, gâchent une aussi belle journée de propagande.
A la fin de la journée, donc, le Président a dit des choses très importantes. Voici l’essentiel de ce que j’en ai retenu, avec mes modestes commentaires.
Il a dit : « l’ambition française pour la défense européenne a longtemps suscité la méfiance, en Europe et aux Etats-Unis » Pour ce qui est des Etats-Unis, cela est vrai. Pour nos amis européens, je ne croyais pas cela du tout. Je croyais au contraire, m’appuyant sur une expérience concrète assez diverse, que, depuis 1966, ils étaient assez contents que nous disions à nos amis américains des choses qu’ils ne pouvaient pas dire eux-mêmes. Notre vocation de « poil à gratter » dans l’Alliance me semblait appréciée. Je me trompais. Je fais amende honorable.
– Il a dit : « J’avais dit l’année dernière que ce mouvement vers l’Alliance passait par une relance de la Défense européenne. C’est fait ». C’est fait ? Je croyais avoir bien suivi les choses et je n’avais remarqué aucune avancée significative ni avant, ni pendant la Présidence française de l’UE. J’en avais conclu que la relance en question n’était finalement pas un préalable mais pourrait au mieux être une conséquence. Cela m’inquiétait un peu parce que, en politique, il est toujours hasardeux de tout donner avant de recevoir un peu. Je suis bien content de m’être trompé puisque le Président a dit : « c’est fait ».
– Il a dit : « L’Alliance atlantique est aussi le symbole de la communauté de valeurs et d’intérêts transatlantiques ». Voila une affirmation de poids. Dans plusieurs articles (dont celui de la revue Défense de juillet-août 2008) et dans mon dernier livre (Parier pour la paix), je croyais avoir montré le contraire. Je dois me remettre une fois encore en question. C’est dur !
Bien que je ne l’aime pas beaucoup, il faut que je communique le discours du Président à monsieur Robert Kagan, conservateur américain. Il ouvre en effet son livre connu « La puissance et la faiblesse » par cette phrase : « il est temps de cesser de faire comme si Europe et Etats-Unis partageaient la même vision du monde, ou même s’ils vivaient sur une même planète ». Moi je n’allais tout de même pas jusque-là mais enfin, nous nous trompions tous les deux. Je dois aussi informer Patrice Higonnet, professeur d’histoire française à Harward. Francophone, très francophile, je l’aime beaucoup. Il a cru pouvoir écrire dans Le Monde du 3 novembre 2004 : « Nous sommes en train de vivre un grand tournant dans l’histoire de ce vieux couple Europe-Etats-Unis… un divorce, aujourd’hui me parait inévitable ».
Monsieur Alain Minc, qui n’est pas du tout anti-américain, écrivait, toujours dans Le monde, en 2002 je crois, « que partagerons-nous dans vingt ans (Europe et Etats-Unis) le marché et le suffrage universel, ce ne sont pas des traits typiquement occidentaux ». je ne vais pas contacter monsieur Minc pour le mettre en garde : il a sûrement lu le discours du Président. Ce qu’a dit le Président est capital. Seule en effet une communauté de valeurs et d’intérêts quasi fusionnelle peut s’accommoder d’une organisation militaire aussi intégrée que l’Otan. C’était le cas pendant la guerre froide, face à la formidable menace du Pacte de Varsovie.
J’avais la certitude qu’il était aujourd’hui inconcevable que l’Union européenne, première puissance économique mondiale continue de souscrire auprès des Etats-Unis, cinquante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, la même « assurance tous temps et toutes circonstances ». Mais il faut remettre en cause ses certitudes, voire ses complaisances, comme a dit plusieurs fois le Président.
Au lendemain de cette journée mémorable, j’ai rencontré un ami très cher avec lequel je partageais jusqu’ici la conviction que le retour de la France dans l’Otan était une erreur. Je lui ai dit mon illumination presque mystique après avoir entendu le Président.
Il a souri puis il m’a dit: « je suis très étonné d’une conversion aussi subite à une argumentation assez primaire qui consiste principalement à présenter les choses comme d’autant plus évidentes qu’elles ne le sont pas du tout.
La vraie question, qui n’a évidemment pas été posée, est la suivante : est-il acceptable que 500 millions d’Européens dépendent, pour leur défense collective, de 300 millions d’Américains ? N’est-il pas proprement scandaleux que la riche Europe de 2009 continue de placer son destin dans les mains d’autrui, quel qu’il soit, comme elle fut contrainte de le faire en 1949 ?. N’est-il pas indigne que ceux qui gouvernent en Europe réduisent leur ambition à une certaine autonomie stratégique au sein de l’Otan ? N’est-ce pas l’indépendance stratégique totale de l’Europe, dont nous pouvons nous donner les moyens, qu’il nous faut recouvrer ?
Le mythe de la complémentarité Otan-PESD est à vrai dire le scandale des scandales : à l’Europe les petites missions « exotiques » lorsque les Etats-Unis ne veulent pas s’y « mouiller »; à l’Otan, c’est-à-dire aux Etats-Unis, la défense de l’Europe. Aucun citoyen d’Europe n’accepterait cette démission s’il était mieux informé.
En raison de sa position particulière dans l’Alliance, la France a cette vocation de porter ce grand dessein d’une Europe-Puissance sage, maîtresse de son propre destin et contribuant à une meilleure gouvernance de la planète. La France y renonce.
Mais la France, dira-t-on, est encore bien seule sur cette position. Et alors ? Est-ce la première fois dans son histoire qu’elle se tiendrait en avant ? Ce serait son honneur de dire, par la voix de ceux qui la gouvernent, que l’Otan est le premier obstacle pour l’édification d’une défense commune européenne. L’Otan est en effet l’alibi des pouvoirs européens pour consacrer aussi peu de ressources à la sécurité de l’Europe.
Le retour complet de la France dans l’Otan ne peut que renforcer cette organisation alors qu’il faudrait au contraire la réduire à une Alliance transatlantique classique, non intégrée. Je te le dis : la décision de la France est un énorme contre-sens politique ! Et d’ailleurs, l’Allemagne…
Il allait continuer ainsi, très remonté. Je l’ai interrompu un peu vivement, Vade retro satanas ! Je sais maintenant que les Etats-Unis, demain comme hier, sont le seul et dernier recours d’une Europe qui doit leur en être à jamais reconnaissante. Ne me trouble pas davantage !
Nous nous sommes quittés, tristes l’un et l’autre. Il m’a donné un texte que j’ai lu plus tard. Le voici :
« On parle de l’unité de l’Europe… Mais il ne peut y avoir de personnalité de l’Europe si l’Europe n’a pas sa personnalité au point de vue de la défense. La défense est toujours à la base de la politique. Quand on ne veut pas « se » défendre, ou bien on est conquis par certains, ou bien on est protégé par d’autres…
Il faut que l’Europe ait sa personnalité donc sa propre défense…
Cela veut dire qu’il lui faut une direction, un plan et des moyens qui soient les siens…
Il y a l’Otan. Qu’est ce que l’Otan ? C’est la somme des Américains, de L’Europe et de quelques accessoires. Mais ce n’est pas la défense de l’Europe par l’Europe, c’est la défense de l’Europe par les Américains ! »
Note du Général de Gaulle – 17 juillet 1961.
Mon ami, hélas !, ne veut pas comprendre que, comme l’a dit le Président, l’appréciation de Gaulle en 1961 n’a plus aucune pertinence en 2009 ; mon ami restera toujours un gaulliste européen.



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