Pierre Sudreau, le « Petit prince ».


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Pierre Sudreau, ministre de la Construction du général de Gaulle, en juin 1958, disparaît au moment où le problème du logement s’invite en force dans la campagne présidentielle de 2012. Plus de cinquante années se sont écoulées, des années de prospérité économique, pendant lesquelles la France a beaucoup changé. Pourtant, le logement social, le logement des classes moyennes est toujours en crise. Ce problème n’aurait-il pas de solution ?

Le 9 juin 1958, Pierre Sudreau, savait, en prenant ses fonctions de ministre de la Construction, quela France avait, dans le domaine du logement, un retard de dix ans à combler. Après avoir reconstruit, il fallait maintenant construire et bien construire. Jeune haut fonctionnaire, il connaissait bien le problème du logement auquel il avait été confronté dans les fonctions de Commissaire à la Construction pour la Région Parisienne qu’il occupait précédemment. Dans ce  poste, il lui avait été donné de voir bien des taudis et beaucoup de sans-logis. Sa nomination avait rendu l’espoir à bien des mal-logés. Mais la bonne volonté ne suffit pas ; ses prédécesseurs en avaient eu. L’essentiel, puisqu’on ne peut pas tout faire, était de faire les bons choix et de les mener à bien avec énergie, en usant des pleins pouvoirs que la Vème République venait de lui accorder.

Aucun des quinze ministres qui l’avaient précédé n’avait eu les pouvoirs dont il disposait. « Les plans du ministre de la Construction sont ceux du gouvernement tout entier et, je puis le dire, les miens », avait déclaré le général de Gaulle, en présentant Pierre Sudreau, au cours de sa conférence de presse du 24 juillet 1958.

Pierre Sudreau

Le ministre des Finances, Antoine Pinay, aussi, était décidé à aider le ministre de la Construction.« Notre souci est de développer la construction en assainissant ses mécanismes fi­nanciers. » Pierre Sudreau avait beaucoup consulté, écouté ; il savait qu’il devait innover. « Nous devons être au rendez-vous des générations mon­tantes en 1965 », dit-il en commentant les premières mesures prises par le gouvernement. Et pour cela, il faut tout d’abord encourager la construction à usage locatif. Le ministre annonça, en insistant sur les avantages révolutionnaires dont elles bénéficieraient, la création de « sociétés immobilières conventionnées. Les primes à la construction furent rem­placées par une bonification d’intérêt ramenant le taux net à 2,75 % pour les Logécos et à 3,75 % pour les logements primés à600F. »

La France avait enfin une politique du logement. Pierre Sudreau espérait qu’avec ces mesures, les Français allaient retrouver le goût de la pierre. En lançant un appel aux capitaux privés à un pays qui retrouvait le calme, le ministre dela Construc­tion voyait juste. Pourtant certains hauts fonctionnaires du ministère des Finances étaient réservés ; les capitaux privés aussi étaient méfiants.

Alfred Sauvy, le célèbre économiste-sociologue s’insurgeait avec des mots qui font encore frémir ceux qui les lisent cinquante ans après : « Les principes de la rue de Rivoli sont d’un béton prêt à résister à tous les faits ». L’économiste tenait pour responsables ces hommes de principes qui semblent entretenir volontairement la pénurie malgré les souffrances qu’elles engendrent. Que de tortures morales au nom des principes. Au début du mois de novembre, le général de Gaulle rendit son arbitrage budgétaire. M. Sudreau, qui avait demandé beaucoup, obtient à peu près tout ce qu’il avait demandé. La franchise et l’enthousiasme du nouveau ministre réchauffaient les cœurs. « Devant les taudis qui peuplent nos villes et qui rappel­lent les camps de concentration, j’ai honte à cause des enfants qui y vivent, proclamait-t-il. Pour liquider cet héritage des générations précédentes, un sursaut national s’impose ; il y va de notre honneur et de celui de notre civilisation. La lâcheté générale nous fait depuis longtemps pratiquer une politique collective d’autruche. Est-il juste qu’un jeune ménage à l’hôtel ou dans un appartement neuf loué paie un loyer plus élevé que ses parents, dont la situation est pourtant assise ? Est-il juste qu’un appartement cossu du seizième arrondissement soit loué 15.000 francs par mois alors que le couple ouvrier verse pour un « meublé » 20.000 à 25.000 franc par mois ? »

M. Sudreau, qui avait dénoncé le « véritable détournement de fonds publics » que cons­tituait l’occupation d’HLM par des familles disposant de ressources supérieures à celles autorisées par la loi, décida de relever les plafonds pour « régulariser certaines situations » et donna trois mois aux familles dont les ressources avaient augmenté pour quitter les lieux. La politique de Pierre Sudreau paraissait d’autant plus délicate à mener qu’elle combinait certaines inspirations libé­rales conformes à l’orientation donnée à l’économie française par MM. Rueff et Pinay et une conception dirigiste du logement, non  seulement dans le secteur des HLM mais aussi dans celui des prêts du Crédit Foncier. Lorsque le Journal Officiel du 19 mars 1959 publia la circulaire fixant les nouveaux plafonds de ressources applicables aux locataires d’HLM, ce fut la déception. Contrairement à ce qui avait été annoncé, la plu­part des Français, les cadres, hauts fonctionnaires, commer­çants, particulièrement solvables, pouvaient demeurer ou devenir locataires d’un logement HLM. Les forces conservatrices, l’inertie, faisaient de la résistance.

Pour Pierre Sudreau, le moment était venu de recenser, d’étudier et de planifier les besoins. « Depuis quinze ans, on a construit presque n’importe quoi et n’importe où ! L’essor économique et démographique rend nécessaire la réalisation de villes nouvelles au service de l’homme ; c’est à dire qui ne soient pas, comme par le passé,  de nouvelles banlieues, des simples alignements de bâtiments, des cités-dortoirs ».

            Malheureusement, cette bonne intention buta sur le problème foncier, le droit de propriété et la spéculation qui étaient devenus alarmants. Les prix des terrains à bâtir avaient sextuplé entre 1952 et 1959. Les gains de productivité dans l’industrie du bâtiment étaient régulièrement absorbés par la hausse du prix des terrains. Le 31 décembre 1958, le ministre défendit son projet de création de « zones à urbaniser en priorité », complété plus tard par une réglementation des « zones d’aménagement concerté ». Il savait mieux que personne que pour aménager le territoire, il fallait avoir la maîtrise des sols. Il était indispensable de constituer des réserves foncières pour vingt ans. En face, les défenseurs du droit de propriété contestaient ces mesures de spoliation et rétorquaient que l’enrichissement sans cause n’est pas contesté quand il s’agit d’actions dela Royal Dutch ou de tableaux de Picasso !

Pierre Sudreau était sans doute le premier à avoir à la fois les pouvoirs et une vue globale du problème. Il n’en reste pas moins que ces dispositions furent insuffisantes et que ce gouvernement a manqué l’occasion qui lui était offerte de résoudre d’une manière efficace et durable le problème de la maîtrise des sols.

Après trois années passées quai de Passy, Pierre Sudreau estimait qu’il n’avait pas à rougir de son bilan mais qu’il y avait des raisons de s’inquiéter. En effet, au moment où les Français d’Algérie s’apprêtaient à rentrer en Métropole, qui connaissait une poussée démographique importante, le pays entrait en récession. Le ministre était cependant déçu au moment de transmettre ses pouvoirs à Jacques Maziol. Les années 1961 et 1962 avaient été des années records dans le domaine de la construction, mais il n’avait pas réussi à forcer le destin, à convaincre que financer le logement était un bon investissement pour l’avenir. Il était conscient également qu’il ne suffisait pas de construire des logements, il fallait aussi réaliser des équipements, des écoles, des lycées. Son testament politique démontrait, si besoin était, ce qu’avait été sa détermination : « Le logement, je le pense profondément, c’est avant tout l’affaire de l’homme et la véritable liberté de l’homme, c’est de pouvoir choisir librement son logement ». Il ajoutait cependant en guise d’avertissement : « L’accession à la propriété ne doit pas être un facteur de spéculation ».

Les mois passèrent.La France connaissait des jours sombres. L’espoir qu’avait suscité  la mise en place des institutions de la Vème Républiques’estompait jour après jour. Les recommandations du comité Rueff n’avaient été que partiellement suivies. Il faut dire que les dépenses militaires grevaient le budget de l’Etat. Il avait pourtant été fait beaucoup pour le logement, mais c’était loin d’être suffisant et encore plus d’être satisfaisant. Le Premier ministre en était conscient. C’est disait-il « un fléau social que nous traînons depuis un demi-siècle. L’objectif de 300 000 logements construits chaque année a été tenu, mais ce rythme est insuffisant. La poussée démographique est telle qu’à ce rythme nous en serons au même point dans quinze ans. » 

 Aujourd’hui,la Fondation Abbé Pierre, le chef de l’Etat, l’opposition, les acteurs de la construction, ne disent pas autre chose. Le rappel de l’action de Pierre Sudreau est troublant. Le problème du logement n’aurait-il pas de solution ?

Âgé de 92 ans, Pierre Sudreau, est mort dimanche après-midi à l’hôpital des Invalides. Encore enfant, jeune lycéen, Pierre Sudreau, avait écrit à Antoine de Saint-Exupéry pour lui exprimer son admiration. L’écrivain lui avait répondu. De cette correspondance, était née une amitié solide ; à tel point que le « Petit prince », ressemble beaucoup, parait-il, au jeune lycéen. Chef d’un réseau de la Résistanceen 1941, il fut arrêté le 10 novembre 1943, torturé et emprisonné à Fresnes avant d’être déporté à Buchenwald en compagnie de son ami Stéphane Essel. Après la Libération, il fut nommé directeur du SDECE (service de la documentation extérieure et du contre-espionnage) en 1946 et préfet du Loir-et-Cher (1951-1955). Par la suite, il fut élu député-maire de Blois et présida le conseil régional de la région Centre de 1976 à 1981.

Grand-Croix de la Légion d’Honneur, auteur de plusieurs ouvrages dont De l’inertie en politique (1985) et Au-delà de toutes les frontières (1991), Pierre Sudreau a présidé la Fondation de la Résistance de juin 2006 à juin 2009.

 


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