« Nous sommes ingouvernables »


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Des témoins disent qu’ils se souviendront longtemps de ce qui s’est passé boulevard de l’Hôpital, dans le 5e  arrondissement de Paris. Des hommes, mais aussi des femmes, vêtus de noir, visages masqués par des cagoules noires, brisaient des vitrines, jetaient des engins incendiaires sur des boutiques et des véhicules qui symbolisent la société de consommation. Ces anarchistes avaient annoncé sur les réseaux sociaux qu’ils feraient de ce 1er Mai,  » une journée en enfer « .

Qui sont ces individus qui se réclament de l’anarchisme et opèrent sous le nom de black bloc? En tête d’un cortège syndical autorisé, ils étaient 1 200, nettement plus nombreux que ce que les services de renseignement des forces de l’ordre s’attendaient à devoir affronter.  Un  » appel international à converger sur Paris «  avait été lancé sur les réseaux sociaux. Au début des années 2000, ces militants avaient déjà fait parler d’eux, à Seattle, à Prague et en Allemagne, lors de sommets internationaux, mais aussi, plus récemment, dans les ZAD à Sivens et à Notre-Dame-Des-Landes.

Le Black Bloc n’a pas d’adresse, pas de numéro de téléphone, pas de chef. Ce n’est pas un parti politique, une entité, c’est un mode opératoire, une stratégie révolutionnaire. Le Black Bloc se constitue ponctuellement, pour une action commando déterminée, puis s’évapore sans laisser de trace. La tenue noire intégrale offre le double avantage de semer la terreur et de compliquer l’identification par les policiers.

Le soin apporté à la mise en scène témoigne d’un certain professionnalisme. Comme le font les organisations terroristes, ils offrent « un spectacle » qui passe en boucle sur les chaînes d’infos en continu qui amplifient l’événement. Les rares militants qui s’expriment se défendent de casser pour casser. Leur action a un but politique : déstabiliser le pouvoir. La cause est d’inspiration anarchiste, anticapitaliste. Ils prétendent répondre par la violence à la violence sociale que l’Etat impose dans tous les domaines : les zadistes, les exilés, les étudiants, les sans emploi, les sans-papiers. Leurs cibles sont soigneusement choisies : Les grandes firmes internationales, comme McDonald’s, les magasins de luxe, les banques, les symboles de l’autorité de l’Etat, de la mondialisation et du capitalisme.

Il faut appeler cette stratégie par son nom. Toutes proportions gardées quant au niveau de la violence, le mode opératoire et la finalité s’apparentent à ceux du terrorisme, comme l’avaient fait avant eux, les anarchistes russes, les Brigades rouges italiennes, la Fraction armée rouge allemande et d’autres dans le monde.

Ce sont des anarchistes.

L’anarchisme a une histoire. Il se manifeste sous différentes formes qui ont en commun, la lutte contre l’autorité.  Les slogans résument parfaitement la philosophie des anarchistes. « Qui nous sommes est moins important que ce que nous voulons. Et nous voulons tout, pour tout le monde », « Peu importe pour qui ils votent, nous sommes ingouvernables »

Les anarchistes prônent une société basée sur la solidarité, l’égalité des conditions de vie et la propriété commune.  C’est un mode de vie, une façon d’être, une philosophie, que Louis Blanc résumait avec cette formule dans les années vingt : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Les façons de parvenir à imposer ce type de société différent. Certains considèrent qu’il faut détruire le système autoritaire avant de construire. D’autres, considèrent que le syndicalisme est la meilleure voie pour renverser la société actuelle et créer une société meilleure. La révolution sociale espagnole de 1936 avait ce but. Enfin, une forme moins violente cherche à fédérer ceux et celles qui pensent que c’est par l’éducation libertaire, la culture, l’éducation, la vie communautaire, la pratique de l’autogestion et de l’égalité des sexes, que s’imposera une autre forme de vie en société.  Internationalistes, écologistes, antimilitaristes, adeptes de l’école et de l’université populaires, de la libération sexuelle, de l’autogestion, les anarchistes ont une influence non négligeable.

Le terme « anarchisme » est, pour la plupart de nos concitoyens, synonyme de désordre social.  « La chienlit », aurait dit le Général ! Les anarchistes contestent cette idée reçue. Pour eux, l’anarchie n’est pas le désordre social. C’est le contraire, c’est l’ordre social absolu, c’est l’ordre moins le pouvoir qui corrompt. Sans le droit de propriété, qui favorise l’accumulation inutile de biens, et avec une démocratie directe organisée autour du mandat impératif, de l’autogestion et du fédéralisme libertaire, l’anarchie serait, selon eux, la société idéale.

En 1840, Pierre-Joseph Proudhon, « anarchiste » déclaré, auteur de la célèbre formule : « La propriété, c’est le vol ! »,  fut le premier à définir l’« anarchie » : « une forme de gouvernement sans maître ni souverain », une définition qui deviendra un slogan.

Il est arrivé, à plusieurs moments dans notre histoire, que l’esprit de révolte, qui anime les anarchistes, se radicalise, passe à l’action directe. De 1882 à 1894, la France a connu une vague d’attentats anarchistes qui sema la terreur. Place Bellecour, à Lyon, sur l’Esplanade des Invalides, à Paris, à la Bourse de Paris, et enfin, l’assassinat du Président Carnot, le 24 juin 1894, sous le poignard de l’italien Caserio qui voulait venger François Claudius Koënigstein dit Ravachol, le « Rocambole de l’anarchisme ». Lequel Ravachol, soupçonné pour l’affaire du Boulevard Saint-Germain, fut condamné à mort et monta à l’échafaud le 10 juillet 1892 en chantant, sur l’air de la Carmagnole :

 Pour être heureux, nom de Dieu !

Faut pendre les propriétaires !

Pour être heureux, nom de Dieu !

Faut couper les curés en deux !

Face à la Cour d’Assises, Ravachol eut une attitude courageuse en déclarant : « Les victimes innocentes que mes actes ont faites, je les regrette, moi qui n’ai connu de la vie que ses amertumes…J’ai agi au nom de l’anarchie qui serait la grande famille où tout le monde mangerait à sa faim. J’ai voulu terroriser pour qu’on fît attention à nous et qu’on comprît ce que nous sommes : les vrais défenseurs des opprimés. J’ai dit. »

Est-ce qu’aujourd’hui la nécessaire transformation de la France, avec des réformes douloureuses pour certains, va s’accompagner de manifestations anarchistes violentes ? L’histoire le dira ! Prendre en considération les cris de désespoir est une chose, indispensable. Mais il y a des limites à ne pas franchir. Quand des zozos, au nom d’une forme d’anarchisme, qualifient l’Ecole Normale Supérieure de Pierre Brossolette, d’ « Ecole nazionale sozialiste », quand le monument aux morts de cette grande école est souillé et que la mémoire des anciens élèves qui, dans la Résistance, ont donné leurs vies pour la liberté, est ainsi atteinte, l’anarchisme n’atteint pas son but, mais le dispute à la bêtise.


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