Le testament mystique


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J’ouvrais le petit bout de papier que je venais de tirer, sur lequel était écrit : « Le testament mystique », sujet sur lequel j’allais être interrogé dans quelques minutes. Je me souviens qu’il faisait chaud dans la salle de la Faculté de droit de Toulouse, rue Albert Lautmann, non loin de la place du Capitole, où se passaient les oraux du mois de juin. Nous étions à la fin des années cinquante. En 1958, si mes souvenirs sont bons.

Je savais qu’il existait trois formes de testament : Le testament olographe, le testament authentique et le testament mystique. Les caractéristiques du testament mystique m’étaient alors à peu près inconnues. J’avais fait l’impasse sur les articles 969 et suivants du Code civil.

Pendant que j’attendais mon tour, à l’écart, il me revint à l’esprit que Pierre Benoit avait écrit, dans les années trente, un roman que mes parents avaient aimé et qu’il m’avait encouragé à lire : « Le déjeuner de Sousceyrac ». Nous habitions Cahors depuis 1953 ; le cadre dans lequel se déroulait le roman nous était familier.

Je me souvenais que l’histoire tournait autour d’une sombre affaire de succession et d’un testament mystique, un nom plein de mystère que je n’avais pas oublié. Ce testament avait été falsifié. Je me souvenais surtout du repas que la Mère Prunet avait servi aux deux jeunes sous-chefs de bureau au ministère de l’Instruction Publique qui s’étaient arrêtés, pour déjeuner, à Sousceyrac, un village du Haut Quercy, au nord-est du département du Lot. Ce repas, dont Pierre Benoit fait l’éloge dans son roman, j’en avais souvent entendu parler. Peu de temps après sa nomination dans le Lot, mon père s’était rendu dans le nord du département et, à cette occasion, avait déjeuné chez la Mère Prunet dans l’espoir, sans doute, de faire le même déjeuner. Il en avait gardé un excellent souvenir. Madame Prunet parlait modestement des célèbres visiteurs qu’elle avait reçus : Pierre Benoit, bien sûr, mais aussi ses amis, Roland Dorgelès, Anatole de Monzie, Francis Carco, Pierre Brisson, Albin Michel et bien d’autres. Elle avait dédicacé à mon père l’exemplaire du roman de Pierre Benoit que j’ai conservé. Le restaurant avait pris le nom du roman.

Ah ! ce déjeuner. Nos deux jeunes sous-chefs de bureau n’étaient pas rassurés en entrant dans le restaurant Prunet.

  • Nous voudrions déjeuner, madame. Vous sera-t-il possible de nous servir quelque chose vers une heure ?

    1959 – La dédicace de Madame Prunet
  • Mais oui, messieurs, dit-elle.
  • Qu’allez-vous nous donner ?
  • Oh ! je n’ai pas de grandes ressources.
  • Mais encore ?
  • Cela dépendra de vos goûts.
  • Peut-être qu’un poulet…
  • Il y aura du poulet, si vous le désirez.
  • Enfin, tâchez que ce soit pour le mieux, conclut Jean, qui parvenait mal à dissimuler son inquiétude.

Le moment venu, nos deux compères virent arriver un foie de canard, un saladier d’écrevisses.

Le restaurant Prunet dans les années trente
  • Ce n’est pas très varié, comme hors-d’œuvre. Si vous désirez des sardines à l’huile, je peux envoyer la petite en chercher une boîte à l’épicerie qui n’est pas loin.

Vinrent ensuite des truites du pays pêchées « cette nuit », puis un plat de cèpes farcis, un civet de lièvre et, enfin, le poulet demandé…

L’histoire, en quelques mots, est la suivante :

Sur le chemin de leur retour à Paris, Philippe Mestre et son collègue de travail Jean Métérié, s’arrêtent à Sousceyrac dans un restaurant tenu par M. et Mme Prunet. Philippe connaît ce village où, enfant, il passait ses vacances. Au cours du déjeuner, il apprend que sa vieille tante, Mlle Ernestine Lauzès, avec qui sa famille est brouillée depuis longtemps, est décédée en laissant une grosse somme d’argent, alors qu’elle passait pour être sans le sou. Un marchand de bois du pays serait son légataire. Philippe, intrigué, surpris, décide de mener une enquête. Il découvre que le marchand de bois, Jean-Baptiste Cajarc, avait jadis sauvé sa tante de la ruine en mettant en valeur une forêt dont elle était propriétaire. La vieille femme, particulièrement roublarde, avait ensuite fait monter au cocotier la Compagnie Générale Hydro-Electrique qui avait absolument besoin des trente-sept hectares de terrain et d’une chute d’eau que possédait Mlle Ernestine Lauzès. Considérant qu’elle ne devait rien à personne et notamment à une famille dont elle n’avait aucunes nouvelles, la vieille dame décida de léguer sa fortune au couvent de Sousceyrac et, pour ce faire, rédigea ses dernières volontés dans le plus grand secret. Dans le plus grand secret, c’est-à-dire en choisissant le testament mystique décrit par Pierre Benoit, mais qui m’avait sans doute paru trop compliqué pour être retenu.

Au déjeuner de Sousceyrac, ancienne Maison Prunet

Le testament mystique, peu utilisé, est écrit par le testateur, par un tiers ou être dactylographié. Il doit être signé de la main du testateur. Il est présenté clos et scellé devant témoins à un notaire qui dresse un procès-verbal de sa remise, c’est l’acte de suscription. Ce testament préserve un secret absolu si les conditions de son ouverture sont rigoureusement remplies. Ce ne fut pas le cas du testament de Mlle Ernestine Lauzès qui fut l’objet d’une machination au bénéfice de Jean-Baptiste Cajarc et du notaire du village.

Au terme de son enquête, et du roman, Philippe s’éprend d’Armande, la fille du notaire qui a épousé Léonce, le fils de Jean-Baptiste Cajarc. Philippe Mestre aurait sans doute pu agir en annulation du testament et bénéficier de l’héritage, mais il y renoncera pour filer le parfait amour avec Armande.

Quand ce fut à mon tour d’être interrogé, j’avais bien peu de chose à dire. Sous le regard impatient et sévère du professeur, j’ai le souvenir d’avoir débuté ainsi. « Pierre Benoit, de l’Académie Française, a consacré un de ses ouvrages au testament mystique ». Faute de pouvoir énumérer les caractéristiques du testament mystique et disserter sur l’article 976 du Code civil, je prenais mon temps pour raconter ce que ma mémoire avait conservé de l’abracadabrantesque histoire racontée par l’écrivain. Je perçus assez vite un sourire bienveillant et intéressé sur le visage du professeur qui m’interrompit brusquement en me disant : « Je vous remercie, vous connaissez le testament mystique, 18 ». Nous étions en juin, des étudiants attendaient, il était pressé, moi aussi… de m’en être tiré grâce à la lecture !

Je raconte ce souvenir au moment où la France assiste, ébahie, à la contestation du testament laissé par Johnny Hallyday. Toutes les familles, ou presque, connaissent les jalousies, les querelles, qui accompagnent l’ouverture d’un testament.

Pour ma part, le testament évoque un bon souvenir…


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