La politique étrangère turque a-t-elle changé ?


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Et si oui, pourquoi ? Les réticences européennes sont-elles les seules explications ? Ne serait-ce pas plutôt la puissance grandissante des courants les plus nationalistes ? Assistons-nous à un tournant beaucoup plus profond du rôle que ce grand pays entend jouer dans la nouvelle géographie politique de la région ?

Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre dela Turquie et fondateur du Parti dela Justice et du Développement (Adalet ve Kalkinma Partisi, ou AKP), fait tout ce qu’il faut pour être considéré comme une référence pour les oppositions qui ont renversé les régimes autoritaires au Proche et Moyen-Orient. Son entreprise est facilitée depuis que les Etats-Unis et l’Europe n’ont plus la même influence dans cette région.La Turquie a une population et une économie qui lui permettent aujourd’hui de jouer dans la cour des grands pays développés. Longtemps considérée comme un « pays associé » aux Etats-Unis (OTAN) et un « pays allié » à Israël, la Turquie a pris ses distances avec ces deux pays ; elle s’est émancipée. Non seulement le souvenir lointain de l’Empire Ottoman ne fait plus peur aux pays de la région, mais la maitrise d’un islam considéré comme modéré, rassure les populations voisines les moins attachées à la religion. Il y a indéniablement un modèle turc.

En ce qui concerne les relations entre la Turquie et l’Union européenne, les dirigeants politiques, mais aussi les responsables économiques de ce pays, ont compris que la puissance de leur pays et l’influence qu’ils pourraient exercer seraient encore plus importantes, s’ils restaient en dehors d’une Union ( en  régression) qui présente au moins autant de contraintes que d’avantages. En revanche, une Union pour la Méditerranée, revue et corrigée, dans laquelle la Turquie pourrait jouer un rôle important, conviendrait mieux à ses ambitions.

La Turquie a une stratégie de puissance favorisée par le contexte géopolitique actuel. L’aide américaine, importante au temps de la guerre froide et de la protection d’Israël, est toujours nécessaire mais elle n’est plus aussi vitale. Les décisions prises en 2002, de refuser le passage de l’armée américaine sur son territoire lors de l’invasion de l’Irak, et en 2008 de soutenirla Russie dans le conflit en Ossétie, ont constitué un tournant dans la politique internationale de la Turquie, qui, ce faisant a restauré sa souveraineté et décidé d’adopter  une posture que certains observateurs n’ont pas hésité à qualifier de « gaullienne », c’est-à-dire qui ne cherche pas, contrairement à ce pensent certains, à exercer une puissance, voire une domination sur d’autres pays, mais simplement à se doter d’une politique internationale équilibrée et originale. Pour preuve, s’il en était besoin, de cette évolution, la Turquie, après avoir un peu hésiter, soutient aujourd’hui l’opposition au régime d’Assad avec d’autant plus de clarté que celui-ci parait condamné. Non seulement, cette option est conforme aux intérêts économiques de la Turquie, mais au surplus, les institutions démocratiques dela Turquie sont incompatibles avec ce qui se passe en Syrie.

Ce revirement a le don d’agacer profondément le régime iranien, engagé dans une escalade à l’issue incertaine avec les Etats-Unis et Israël. Iran et Turquie sont en compétition. L’un et l’autre aspirent à exercer une influence déterminante dans la région, à être « la principale puissance régionale ». Dans ce jeu de go, où il s’agit avant tout de commettre le moins d’erreurs possibles, la Turquie a incontestablement un coup d’avance. Soucieux d’un équilibre « gaullien », Erdogan gère assez habilement ses relations avec l’Occident ( Etats-Unis et Union européenne) et avec les pays voisins, notamment ceux qui tentent de s’engager dans la voie démocratique. De là à imaginer que la Turquie appartient au courant « antisystème » qui se développe, il n’y a qu’un pas qu’il faudra observer avec attention.

 


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