La liberté d’expression (suite)


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Les articles consacrés à la liberté d’expression suscitent des commentaires. C’est très bien, le sujet en vaut la peine, il faut un débat serein, sans passion.

François Buchet, après avoir écrit un premier commentaire, m’a adressé un mail que je reproduis in extenso, avec son autorisation. Sa réflexion a toute sa place dans ce blog.

Bonjour Michel,

J’apprécie que tu aies traité avec recul le thème essentiel de la liberté d’expression et de ses indispensables limites. J’ai réagi de façon elliptique sur le blog car je ne voulais pas accaparer la parole. Mais je viens te faire part de mes réflexions. Concernant l’exercice des libertés individuelles et publiques, je pense qu’il est beaucoup plus intéressant – et éducatif – de se placer, d’un point de vue socioculturel, sur le terrain de l’état d’esprit et du comportement des citoyens que sur celui du droit. Le corollaire de la liberté, c’est la responsabilité. Chacun sait que sa liberté « s’arrête là où commence celle des autres. » Cela signifie que l’exercice des libertés implique un sens élevé de la responsabilité à l’égard d’autrui.

Certes, la loi limite, au nom de l’intérêt général, l’usage des libertés. Ainsi, la liberté d’expression est-elle généralement subordonnée à l’interdiction de l’insulte publique​ et de la diffamation, de​ l’encouragement à la discrimination raciale ou du négationnisme​, ou encore limitée par des raisons de sécurité et d’ordre public. Mais se borner à cette approche légaliste appauvrit considérablement la compréhension que nous devons avoir de l’exercice de nos libertés. Nous courrons alors le risque de dériver vers une société technocratique où s’opposeraient en permanence la revendication des droits fondamentaux dans la perspective d’un usage extensif et la limitation réglementaire indispensable au maintien de l’ordre. Nous avons autour de nous bien des exemples de ces libertés frelatées par une réglementation excessive justifiée par un individualisme sans nuance…

 Goûter ensemble les libertés suppose, de la part de chacun, un comportement citoyen, un respect d’autrui, une attention aux autres, un sens élevé de sa propre responsabilité dans l’exercice de ses droits fondamentaux. Mais cela implique également de la tolérance pour ceux qui peuvent être moins attentifs ou moins nuancés dans la perception et la pratique des rapports sociaux. Cet état d’esprit est le caractère d’une société évoluée et d’un haut niveau culturel. Un journal satirique comme Charlie Hebdo est un luxe. Il n’est pas indispensable à la société et n’est pas un modèle du meilleur usage de la liberté d’expression. Pourtant, nous l’acceptons tel qu’il est et, au-delà, nous éprouvons pour lui une certaine tendresse car il est l’indice, voire même le garant de nos libertés. S’il a une utilité, c’est précisément de tester les limites de notre tolérance. I​l est parfaitement clair qu’il peut lui arriver,​ jouant​ avec les limites, de passer les bornes, donc d’avoir tort. Il est périlleux de soutenir, comme le font certains,​ qu’un journal satirique peut tout se permettre au nom de la liberté d’expression. C’est refuser l’autocensure sur laquelle repose l’exercice responsable des libertés et la cohésion sociale. Il faut bien comprendre que si les citoyens n’assument pas eux-mêmes leurs propres limites, alors la technocratie devra réglementer davantage les libertés pour maintenir l’ordre public. Que veut-on ? Une société intelligente et nuancée ou une société réglementée et uniforme ?Bal tragique à Colombey

 Il s’agit bien d’un problème culturel. Et nous nous retrouvons là, tout à coup, au cœur des questions relatives à l’immigration et à l’acculturation. Si l’on considère l’importante maturation nécessaire à la discipline qu’exige l’exercice avisé des libertés au sein d’une société développée, alors on ne peut que s’inquiéter de l’adaptation d’autres groupes culturels mal préparés à cet exercice et aux conséquences de leur incorporation​ sur l’équilibre général de la société. Si l’on admet qu’une société peut progresser, alors il faut bien admettre que toutes les cultures ne se valent pas. Préserver les cultures dans leur milieu est une chose. Les mélanger en est une autre. On ne peut pas, en cohérence, avoir une haute opinion de son propre niveau culturel, fruit d’une maturation séculaire, et vouloir en même temps une société accueillante et ouverte à toutes les autres cultures, sans limite, sans contrôle et sans nuance. D’un point de vue idéaliste, ce serait suicidaire. Pourquoi ne pas s’appliquer à soi-même le droit à la préservation ? Mais, d’un point de vue réaliste, peut-on lutter contre la mondialisation et la moyennisation culturelle qui l’accompagne ? Au moins, pouvons-nous éviter de l’amplifier…

​Amicalement,

François​

 

NDR – Dans son commentaire, sur le blog, François Buchet faisait allusion à la Une d’Hara Kiri qui avait fait scandale. Pour les plus jeunes, un rappel me parait nécessaire. En faisant référence à un dramatique fait divers du 1er novembre de la même année (1970) – l’incendie d’un dancing à Saint-Laurent-du-Pont qui fit 146 morts – pour rendre compte de la mort du général De Gaulle, Hara-Kiri Hebdo était, de l’avis général, allé trop loin. Le journal avait scandalisé une grande partie de la classe politique. Il avait aussitôt été interdit de parution.


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