Jacques Barrot vient de nous quitter.


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C’est un bien triste jour pour tous ceux – nombreux – qui ont eu la chance de connaitre Jacques Barrot et d’apprécier ses exceptionnelles qualités humaines. Le communiqué du Gouvernement, immédiatement mis en ligne, souligne ces qualités en ces termes :

 « C’était un homme de conviction, qui a incarné les valeurs de dialogue, d’ouverture, d’humanisme de la démocratie chrétienne. Tout au long de sa carrière, débutée très jeune, Jacques Barrot a servi la République en assumant à de nombreuses reprises des fonctions ministérielles.
Profondément attaché à son territoire de Haute-Loire, et à sa commune d’Yssingeaux, il était également un grand militant de l’Europe. En 2004, il est appelé comme commissaire européen et vice-président de la Commission. Travailleur acharné, son expérience et ses compétences de juriste l’avaient amené à intégrer le Conseil constitutionnel en 2010.Jacques Barrot, parce qu’il était toujours respectueux, a toujours suscité un très grand respect. C’est donc un grand homme politique, un grand responsable public qui disparait aujourd’hui. Manuel Valls, qui connaissait très bien les qualités personnelles de l’homme, adresse à sa famille, à ses proches et à sa formation politique ses sincères condoléances »

Jacques Barrot.1PNGJacques Barrot est décédé subitement ce matin, dans le métro, après avoir fait un « malaise » à la station Sablons, à Neuilly-sur-Seine, alors qu’il se rendait au Conseil Constitutionnel, dont il était membre depuis 2010.

Jacques Barrot, l’ami.

Jacques Barrot était fidèle en amitié. Notre première rencontre remonte à 1978. Encore célibataire, Jacques était depuis le 5 avril 1978, ministre du Commerce et de l’Artisanat. Député de Haute Loire, un petit appartement dans le XVème était suffisant pendant ces courts séjours dans la capitale. Ministre, il cherchait un logement plus grand, mais n’avait pas le temps de s’en occuper. Jacques Barrot me donna rendez-vous dans le XVème, pour que je puisse visiter son appartement et lui donner une idée de sa valeur. Accompagné de son chauffeur et d’un officier de sécurité, il m’apparut immédiatement d’une simplicité et d’une amabilité qui n’étaient pas toujours la règle. Nous sympathisâmes immédiatement ; il m’expliqua ce qu’il cherchait et ce qu’était sa vie entre Yssingeaux, en Haute Loire, la ville dont il était le maire et ses fonctions gouvernementales. Il avait déjà été Secrétaire d’Etat au Logement le 27 mars 1974, date de la constitution du gouvernement de Jacques Chirac, après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Il était resté à son poste dans le premier gouvernement de Raymond Barre avant d’occuper la fonction de ministre du Commerce et de l’Artisanat.

Le 6 avril 1982 Jacques Barrot avait épousé, en premières noces, Florence Cattani dans l’intimité familiale. Le 18 mai, ils donnèrent une réception dans les salons de la Présidence du Sénat. Jacques avait beaucoup d’amis. J’ai raconté dans « La vie à Dinan sous l’occupation » que ce jour-là, près du buffet, j’ai eu l’occasion d’évoquer avec le Président René Pleven les circonstances dans lesquelles le fidèle compagnon du général de Gaulle avait fait son retour à Dinan le 9 septembre 1944, un mois après la libération de la sous-préfecture des Côtes du Nord. René Pleven se souvenait parfaitement de son retour à Dinan et prit tout son temps pour me raconter les détails de ce souvenir déjà bien lointain. Il eut la délicatesse de me demander des nouvelles de mon père.

Quelques jours plus tard, je recevais de Jacques Barrot une photo du mariage en Suisse et un mot qui lui ressemblait : « Cher Michel. Votre présence à notre réception, votre cadeau…autant de délicates attentions pleines d’amitié qui me touchent profondément et nous ont fait grand plaisir. Comment vous exprimer notre gratitude…Nous aurons l’occasion de le faire dans le havre de paix et d’amitié qu’est devenu cet appartement  choisi grâce à vous. Croyez à ma très profonde amitié. Jacques Barrot »

Au début des années 2000, Jacques Barrot s’était remarié avec Béatrice.

Un autre souvenir me revient. Le 20 août 1992, dans la salle d’embarquement de l’aéroport d’Orly, Jacques Barrot m’aperçut :

  • Michel, que faites-vous là ?
  • Je vais à Cannes et vous ?
  • Je dîne ce soir chez des amis libanais, au Cap d’Antibes, avec le premier ministre Tchèque. Qu’avez-vous comme billet ?
  • Abonné
  • Moi aussi, on va voyager ensemble.

Nous parlâmes tout d’abord de la campagne du referendum pour ou contre le traité de Maastricht, qui se présentait mal pour les pro – Européens. Il était inquiet. Il évoqua ensuite l’activité immobilière, à laquelle, l’ancien ministre du Logement, s’intéressait toujours. La situation était un peu la même qu’aujourd’hui. Le Gouvernement socialiste donnait l’impression de ne pas maitriser la situation et l’opposition se préparait à revenir au pouvoir.

Jacques Barrot à l'Assemblée en 2003 (photo AFP-Verdy)
Jacques Barrot à l’Assemblée en 2003 (photo AFP-Verdy)

«  Nous n’aurons pas la même marge de manœuvre qu’en 1986, me dit Jacques, et il faudra prendre immédiatement un certain nombre de mesures, notamment dans le domaine du logement. Michel, est-ce que vous pourriez y réfléchir et me faire un papier sur ce que pourraient être ces mesures. Balladur m’a demandé de réfléchir aux problèmes de la famille. Or, on ne peut traiter de la famille sans évoquer le logement. » Nous évoquâmes ensuite la situation en Yougoslavie, les dépenses militaires, les recettes fiscales. A Nice, un chauffeur attendait Jacques Barrot ; nous nous quittâmes comme de vieux amis, heureux d’avoir voyagé ensemble.

Jacques Barrot, le politique.

Très croyant, il avait d’abord voulu être prêtre, puis, après son service militaire, fit le projet de devenir avocat. Le décès brutal de son père, Noël Barrot, à l’Assemblée nationale, le fit abandonner le métier d’avocat pour une carrière politique à laquelle droit et Science Po l’avait également préparé. Soucieux de concilier le libéralisme et la solidarité sociale, c’est au Centre Démocratie et Progrès de Jacques Duhamel et Joseph Fontanet, le nouveau MRP, qu’il s’inscrivit à moins de trente ans pour succéder à son père. Elu député de Haute-Loire le 3 avril 1967, il fut, un temps, le benjamin de l’Assemblée nationale. En 1974, le président Giscard d’Estaing et Jacques Chirac lui offrirent d’entrer au gouvernement en qualité de secrétaire d’Etat au Logement. Affectif, sensible, émotif même, mais aussi capable de colères violentes, il ne ressemblait pas aux autres politiques. Incapable de mentir et de la moindre méchanceté, ce qui est rare de nos jours, il pensait avant tout à travailler et à connaitre parfaitement ses dossiers. Sa carrière en souffrira ; Jacques n’était pas un tueur, c’était un gentil.

Plusieurs fois ministres dans les gouvernements de Jacques Chirac et de Raymond Barre, de 1974 à 1981, puis d’Alain Juppé, de 1995 à 1997, Jacques Barrot a eu une carrière politique très complète. Si Raymond Barre avait été élu président de la République, c’est vraisemblablement lui qui aurait été à Matignon. Mais le destin en a décidé autrement. Sous Mitterrand, Jacques fut un parlementaire actif, besogneux, un opposant loyal. L’avenir de l’Europe et de la France le préoccupait. En 2002, l’accession de Le Pen au deuxième tour lui tira les larmes devant les caméras de télévision. Jacques Chirac réélu en 2002, la présidence du groupe UMP de l’Assemblée nationale fut confiée à Jacques Barrot.

Trente-sept ans après sa première élection, en 2004, l’européen convaincu qu’il était, depuis toujours, fut nommé vice-président de la Commission européenne, chargé en particulier des affaires de justice. Enfin, le 24 février 2010, à 73 ans, Jacques Barrot avait été nommé au Conseil constitutionnel où il se rendait ce matin.

Cette journée était très triste.

J’adresse à son épouse, Béatrice, à ses enfants et à sa famille, mes plus sincères condoléances et l’expression de ma fidèle amitié.


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