« Charlot ! Des sous ! »


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Débarrassé du problème algérien, le Général était bien décidé, au début de l’année 1963, à se consacrer à ses grands desseins de politique étrangère. Il avait fait approuver par référendum le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel, l’ordre régnait à nouveau dans le pays, les jeunes écoutaient « les chats sauvages » et « les chaussettes noires » sur leurs transistors, les plus privilégiés allaient au Golf Drouot, c’était le temps des « Copains ».

L’UNR, le parti gaulliste, ressemblait à « La République en marche », l’opposition était quasi inexistante. Le gouvernement était conscient que pour fidéliser un électorat bienveillant, le moment était venu de « faire du social ». Cependant, le Ministère des Finances veillait. La crainte de l’inflation était permanente.

Irrité par l’attitude de M. Giscard d’Estaing qui bloquait toutes les revendications, notamment la quatrième semaine de congés payés, plusieurs syndicats de mineurs se mirent en grève le 1er mars. Le gouvernement commit l’erreur d’ordonner la réquisition. Elle fut sans effet et la grève devint totale et durera trente-quatre jours. Par solidarité, les cheminots, les électriciens, les gaziers et les pétroliers observèrent des arrêts de travail. Le 13 mars, en un cortège interminable, les mineurs du nord marchèrent « en voiture » jusqu’à l’Esplanade des Invalides. Une foule considérable accompagnait les « gueules noires ». L’allocution radiotélévisée de Georges Pompidou, qui subordonna la négociation sur des rattrapages de salaires à la reprise du travail, ne fit qu’exciter les grévistes qui, soutenus par une grande partie de la population, finirent par obtenir satisfaction le 3 avril.

Les syndicats sortirent renforcés de ce mouvement de protestation qui déstabilisa durablement le climat social. Pierre Viansson-Ponté, dans son « Histoire de la République Gaullienne », raconte (page 104 du tome 2) ce que furent les leçons et conséquences du conflit dont on ne savait pas s’il était « le dernier de « type révolutionnaire traditionnel et même insurrectionnel ou au contraire la première grande grève à « l’américaine », bien conduite, populaire et finalement payante ».

Un Parlement insuffisamment représentatif, des partis politiques faibles, une technocratie arrogante (déjà !) et les conditions étaient réunies pour qu’un conflit social déstabilise un exécutif trop sûr de lui.

Au début de l’été 1963, la colère n’était pas retombée. L’effondrement des cours de certains produits agricoles relança le mécontentement populaire. « Charlot ! Des sous ! », devint vite un slogan. Plutôt bon enfant, il fut repris par le général de Gaulle, en ces termes, dans une allocution télévisée : « Et de crier : Des sous !, des sous ! ou bien « Des crédits ! Des crédits ! Mais des sous et des crédits ne sauraient être alloués que si nous les possédons…si notre pays ne tombe pas dans l’inflation… »

Les grévistes payèrent très cher les avantages obtenus le 3 avril. Un « Plan de stabilisation » à la Giscard, plongea le pays dans l’austérité, des blocages des salaires et des prix, des restrictions de crédit et des contrôles de toutes sortes. L’année 1963 marqua un tournant sur le plan social alors que sur le plan économique, la période était faste.

Pour mémoire, en 1963, la dette de la France ne représentait pas plus de 25% du PIB (Elle est de près de 100 % aujourd’hui ! 2 200 milliards d’euros env.) Le déficit budgétaire de la France était de 1,6 % du PIB en 1963. Le déficit, aujourd’hui, est tombé en dessous de la barre des 3 % mais représente environ 75 milliards d’euros !

Le 5 mai 2018, près de 40 000 personnes ont marché de l’Opéra à la Bastille derrière quatre chars : le char Jupiter, le char Dracula, le char Napoléon et  un char Résistance, dans un esprit festif et bon enfant pour faire « la fête à Macron ».

Place de l’Opéra photo Julien AFP

Jean-Luc Mélenchon a profité de ce rassemblement, qu’il n’avait pas organisé, pour lancer un appel « au peuple révolutionnaire ». Se félicitant de l’élan populaire qui se dessine, le leader de la France insoumise, perché sur un bus à impériale, s’est référé au Etats généraux qui « avaient jeté à terre l’ancien régime il y a 227 ans », pour galvaniser tous les « corps de métier  en lutte », les cheminots, les employés d’Air France, le personnel hospitalier, les enseignants, les étudiants, les postiers, les avocats, les magistrats et toute la « fonction publique grâce à laquelle le pays tient debout ». « Nous sommes ceux qui croient à l’Etat, nous croyons au bien commun, nous croyons au service public, nous croyons au monopole, notamment le monopole du rail ».

« Vous êtes le peuple révolté de France, il vous appartient de devenir le peuple révolutionnaire qui va montrer à toute l’Europe et peut être au monde dans quelle direction il faut s’avancer » a-t-il conclu face à cette manifestation « pot-au-feu » au thème et à l’affiche à double sens assez douteux. Les pancartes en disaient plus long que les discours : « Augmentons les dépenses publiques », « Sortons des traités », « Des moyens… ».

Bref, pour satisfaire toutes les demandes, il faudrait purement et simplement doubler la dette de la France, ce qui porterait le service de la dette à 90 milliards d’euros par an au taux d’emprunt actuel. En  souvenir de 1963, il ne manquait que « Manu ! Des sous ! »

Faut-il voir, dans ce rassemblement « à l’américaine », joyeux et convivial, un changement de tactique pour faire plier le gouvernement, un an après son installation ? Le rapprochement avec le printemps 1963 me parait intéressant. Le Parlement n’est, à l’évidence, pas représentatif du résultat du premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2017, les partis politiques de gouvernement sont hors-jeu, les corps intermédiaires trop faibles, la haute administration, qui tient lieu de premier parti de France, trop puissante et sûre d’elle. Comme au début de la Ve République,  une majorité de nos concitoyens (60 %) a conscience que le chef de l’Etat est bien décidé à faire passer son programme sans se préoccuper de ceux qui ne pensent pas comme lui.

Cette attitude ne peut que pousser les opposants à l’excès et à la radicalité. Qui sont ces opposants qui rejettent son action et sa personnalité ?   En grande partie des jeunes,  des employés et ouvriers peu diplômés, aux revenus modestes,  une majorité des électeurs de Mélenchon, Hamon et Marine Le  Pen.

Une enquête Ipsos-Sopra Steria, (25  avril au 2  mai), pour le Centre de recherche de Sciences Po (Cevipof), la Fondation Jean-Jaurès et le journal Le Monde révèle l’état de l’opinion un an après l’élection présidentielle.

Comme le général de Gaulle, mutatis mutandis, Emmanuel Macron incarne bien la fonction. Il conserve le soutien des Français qui l’ont élu : 68  % de ses électeurs du premier tour de la présidentielle jugent son bilan positif. Une majorité de Français estime que l’action du pouvoir exécutif va  » dans le bon sens «  en matière de politique étrangère (63  %), d’aide aux entreprises (61  %), d’Union européenne (60  %), de lutte contre le terrorisme (57  %) et d’amélioration du fonctionnement de la vie politique (50  %). Il n’en va pas de même sur d’autres sujets qui préoccupent les Français.  La préservation du système de retraites (70  %), l’amélioration du système de santé (72  %), l’amélioration du pouvoir d’achat (78  %) et la réduction des inégalités sociales (78  %). La méthode de gouvernement suscite également des réserves. 55  % des sondés jugent que le président et le gouvernement  » sont trop autoritaires et ne laissent pas assez de temps à la négociation. Les Français prennent conscience que la promesse de  » plus d’efficacité « , dans le programme du candidat Macron, se traduit par un déficit social et que la promesse de  » plus d’écoute «  aboutit à un excès d’autoritarisme.

Emmanuel Macron résiste mieux que ses prédécesseurs à l’usure du pouvoir après un an de mandat. Les Français reconnaissent la volonté de changement du candidat devenu le président Macron, mais ne savent pas encore si cet homme jeune, « sorti d’un chapeau », veut gérer la France comme une entreprise ou s’il aspire à réaliser ce que Michel Rocard et Pierre Mendès-France n’ont pas pu faire, mais dans un style moderne, managérial pour ne pas dire monarchique.

A suivre…


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