XXIe siècle – Géopolitique : 1 – « Nous allons débarrasser le monde des malfaisants » !


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Pour répondre à la 17e des 21 questions que posait « L’Avenir », le numéro de collection consacré au XXIe siècle conçu par les rédactions du Monde et de France Info, en 1999, qui avait pour titre : Apocalypse tomorrow ? La mondialisation touche aussi les armes chimique et nucléaire, Jacques Isnard, le spécialiste des questions de défense, avait interrogé les meilleurs experts en polémologie sur la vision qu’ils avaient de l’évolution des rapports de forces internationaux. Au tournant du siècle, la plupart des stratèges n’excluait pas le « retour à un environnement belliqueux au sein duquel menaces et risques de toute nature seraient le pain quotidien de la plupart des populations. » Le délégué général pour l’armement, Jean-Yves Helmer, rappelait que, dans ce domaine, « les équilibres sont fragiles et que les situations de stabilité, si souhaitables soient-elles, ne sont, à l’échelle du temps séculaire, que des pauses dans la transformation dynamique des sociétés. » Mon camarade de l’IHEDN, l’amiral Jean Dufourcq, alors capitaine de vaisseau, imaginait, de son côté, « à partir d’une constatation du général Lucien Poirier, l’un des pères fondateurs de la dissuasion nucléaire française, que la planète est comme suspendue à « une nouvelle oscillation stratégique » : elle tend à devenir une planète « grise » et « anarchique », voire « insaisissable ». Un état peu propice à suivre les règles antérieures de la dissuasion. »

Le XXIe siècle, dès lors, avait, selon Jacques Isnard, toutes les chances d’être « le siècle de la prolifération sans contrôle efficace et accepté par tous les partenaires, celle d’une quasi-explosion et d’un « élargissement » indéfini – pour reprendre le terme de M. Helmer – de la technologie militaire, si les diplomates, d’ici là, ne parvenaient pas à édifier un code de savoir coexister entre nations solidaires ».

Les experts avaient de bonnes raisons de penser que l’environnement géostratégique du XXIe siècle serait constitué « de nouveaux espaces, d’une autre nature que les espaces militaires traditionnels, porteurs d’une dimension stratégique. Des zones et des réseaux, pensait Jean-Yves Helmer, « où s’exerceront, nouvelles technologies aidant, le contrôle de l’information et le développement de la richesse économique. » Autant d’activités qui seront peut-être les champs de bataille de demain et qui inspireront des agresseurs d’un nouveau genre, moins soucieux de respecter les usages ou les lois. C’est, par exemple, l’espace extra-atmosphérique, avec les milliers de satellites de tout acabit qui le peupleront et qui s’affranchissent déjà des souverainetés nationales. C’est aussi le cyberespace « qui tisse sa toile, selon le délégué général français pour l’armement, jusque dans notre intimité » qu’il viole en toute impunité comme le fait déjà le réseau de la National Security Agency (NSA) américaine. »

Pour tenter de comprendre, vingt-deux ans après, comment et pourquoi nous en sommes arrivés à craindre une troisième guerre mondiale, il est intéressant de se remémorer les principaux événements survenus dans leur contexte et leur chronologie.

L’encre de cet article était à peine sèche, qu’une succession d’attaques terroristes contre le World Trade Center de New York et le Pentagone à Washington, faisait brutalement entrer la puissante Amérique et l’ensemble du « monde libre », dans le XXIe siècle.

Des Américains placardaient des affiches demandant à George W. Bush : « Monsieur le Président, bombardez-les MAINTENANT ! » Bombardez qui ? Oussama Ben Laden, milliardaire saoudien, djihadiste notoire, avec son réseau de terroristes protégé par des talibans qui l’abritent en Afghanistan, fut rapidement désigné comme le « suspect numéro un ». Ironie du sort, depuis vingt ans, les Américains avaient aidé et financé les combattants afghans, et les militants islamistes radicaux à chasser les Russes de l’Afghanistan, sans se rendre compte qu’ils pourraient, à leur tour, le moment venu, être chassés au nom d’une interprétation ultra-rigoriste des textes sacrés de l’islam. « Les fatwas contre les Soviétiques pouvaient également être adressées aux « impies » américains qui profanaient, par leur présence, leur « terre sacrée« , disait Gille Képel.

En février 1998, depuis l’Afghanistan, Ben Laden et les siens, avaient créé un « Front islamique international contre les juifs et les croisés » dont la charte fondatrice précisait les menaces contre les États-Unis en appelant à « tuer les Américains et leurs alliés, civils et militaires, en tout pays où cela est possible ». Le 7 août suivant, les ambassades de Nairobi et de Dar es-Salaam avaient été attaquées, causant plus de 200 morts. En 2000, l’USS Cole avait été endommagé par un canot-suicide dans le port d’Aden.

« La stratégie du faible au fort, qui consiste, pour un faible, à s’attaquer aux vulnérabilités du fort – en contournant sa force militaire -, pour obtenir des effets disproportionnés, matériellement et psychologiquement, aux moyens mis en œuvre », figurait dans le Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies (Ramsès), publié par l’Institut français des relations internationales (Ifri) en 2001, à la veille des attentats perpétrés aux États-Unis, était prémonitoire.

« Nous allons débarrasser le monde des malfaisants » ! disait George W. Bush, qui ne tarda pas à dire aux Américains qu’ils devaient se préparer à un « effort long, large, soutenu », qui s’étendra « non sur des semaines ou des jours, mais sur des années ». « Nous sommes en guerre », avait déclaré George W. Bush le 16 septembre. Le Sénat et la Chambre des représentants votèrent, dans les mêmes termes, l’autorisation d’employer « tous les moyens de coercition nécessaires et appropriés » contre « les nations, organisations ou personnes dont il aura déterminé qu’elles ont programmé, autorisé, exécuté les attaques terroristes qui se sont produites le 11 septembre 2001, ou aidé à ces attaques, ou hébergé ces organisations ou ces personnes ».

 

S’adressant à la presse un mois après les attentats du 11 septembre, le président George W. Bush disait ne pas comprendre la haine dont les États-Unis étaient l’objet en de nombreux endroits du globe, y compris chez de nombreux Européens qui déploraient l’arrogance, l’isolationnisme et l’unilatéralisme de l’administration américaine sur la scène internationale.

Dans l’introduction qu’il consacrait à l’édition 2002 de L’Année stratégique, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), décelait dans cette défiance, un début d’érosion du soft power américain.

« Nous sommes tous Américains », écrivait cependant Jean-Marie Colombani dans son édito du Monde du 13 septembre 2001. Mais, il devenait soudain évident que l’hyperpuissance de l’Amérique, suscitait plus de haine que d’envie. Une haine qui pourrait bien à l’avenir, s’exprimer sous une forme nouvelle de barbarie. Le nouveau siècle commençait dans la violence.

L’effondrement des tours jumelles semblait valider la thèse de Samuel Huntington, Professeur à l’université Harvard, auteur de « The Clash of Civilizations », paru en 1993 aux États-Unis dans la revue Foreign Affairs, selon laquelle, les attaques-suicides contre l’Occident, n’étaient qu’un début. Pour Huntington, la croyance en l’avènement d’une civilisation universelle, d’une démocratie libérale acceptée sur la planète entière, était une illusion. Il fallait, au contraire, se préparer à une « guerre de civilisations. »

Le secrétaire d’État, Colin Powell reçut pour mission de construire une large « coalition ». « Nous allons trouver ceux qui ont fait cela ; nous allons enfumer leurs terriers pour les en faire sortir ; nous allons les faire courir et les livrer à la justice », menaçait George W. Bush, encore sous le coup de l’émotion, pour ne pas dire de la panique.

Commencées dès le mois d’octobre, les opérations américaines contre les talibans et les camps supposés d’Al-Qaida dans le sud de l’Afghanistan, furent rondement menées, mais un an après, Oussama Ben Laden et le mollah Omar n’avait toujours pas été capturés.

George W. Bush voulait maintenant en finir avec Saddam Hussein. Animé par une vision messianique du rôle des États-Unis au XXIe siècle, entouré du vice-président Dick Cheney, du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld et de son adjoint Paul Wolfowitz, ainsi que de sa conseillère pour les affaires de sécurité Condoleezza Rice, Georges W. Bush entendait appliquer la doctrine néoconservatrice – selon laquelle l’unique superpuissance de la planète devait interdire l’émergence de toute puissance susceptible de la contrarier. Paul Wolfowitz l’avait convaincu que la réaction américaine devait être dirigée à la fois contre l’Afghanistan et contre l’Irak qui possédait des armes de destruction massive – chimiques, biologiques et peut-être même nucléaires, que pourraient utiliser des organisations terroristes. C’était une idée fixe. Accessoirement, l’Irak était la deuxième réserve de pétrole du monde ! Faire de ce pays, un allié démocratique, débarrassé de Saddam, était chez lui, depuis son élection, une obsession.

Cette thèse était combattue par des hommes comme Brent Scowcroft, ancien conseiller pour la sécurité nationale de Gerald Ford et de George H. W. Bush, père, James Baker, Henry Kissinger, Richard Holbrooke, qui estimaient qu’attaquer l’Irak, aurait des conséquences désastreuses, même avec l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU. Les objections venaient aussi des militaires qui étaient hostiles à une offensive si toutes les conditions requises n’étaient pas satisfaites.

Dès février 2002, Washington s’engagea dans une stratégie de désinformation. Le New York Times révéla que le Pentagone (le Bureau de l’influence stratégique (OSI), créé après le 11 septembre) avait un plan visant à fournir des informations dénouées de tout fondement, à des organes de presse, dans des pays « amis » ou « ennemis » des États-Unis, pour lutter contre l’« axe du Mal » en référence à l’axe Allemagne-Italie-Japon de la Seconde Guerre mondiale et à « l’empire du Mal » de Reagan.

Sur l’Irak, le Conseil de sécurité ne l’entendait pas de cette oreille. Il était profondément divisé et sceptique, le 20 janvier 2003, une semaine avant de prendre connaissance du rapport que devaient présenter les inspecteurs du désarmement de l’Irak, alors que les États-Unis estimaient que « le temps était compté » et déployaient des troupes supplémentaires dans la région, la France s’opposait à toute opération militaire.

Fin janvier 2003, les pays d’Europe de l’Est soutenaient fermement les États-Unis dans la crise irakienne. Le secrétaire général de la Maison Blanche, Andrew Card, n’écartait pas l’usage d’armes nucléaires tactiques en cas de conflit en Irak, conformément au Nuclear Posture Review (NPR), qui, depuis 2002, régissait la doctrine des États-Unis en matière d’emploi des armes nucléaires. Tiens, tiens…

Rien n’était encore gagné en Afghanistan : exécutif inexistant, influence des seigneurs de la guerre, insécurité totale, que l’Amérique, s’apprêtait à dilapider le capital de sympathie qu’elle avait engrangé depuis le 11 septembre 2001 en se lançant dans une aventure en Irak.

La France et la Belgique semblaient prêtes à mettre leur veto à ce que l’OTAN commence, en son nom propre et à la demande des États-Unis, des préparatifs de guerre en Irak. La règle du consensus prévoit que le veto d’un seul pays suffit à bloquer une décision de l’Alliance.

Biden le jour de la proclamation de l’indépendance du Kosovo

Depuis 2002, l’administration américaine cherchait des preuves, quitte à les inventer, que le dictateur irakien détenait des armes de destruction massive, menaçant les États-Unis et leurs alliés, et que l’Irak faisait partie des trois pays qui, aux yeux de la Maison-Blanche, étaient complices du terrorisme qui venait de frapper les États-Unis le 11 septembre 2001. Il fallait coûte que coûte, justifier une guerre contre l’Irak, y entraîner leurs alliés et obtenir l’aval des Nations unies pour renverser Saddam Hussein.

Les États-Unis étaient incapables de prouver ni la réalité ni l’imminence d’une menace irakienne. La Maison Blanche, sous l’influence de Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la défense, Richard Perle, l’un des conseillers du Pentagone, et le journaliste William Kristol, directeur de l’hebdomadaire The Weekly Standard s’était mis dans la tête de faire ce que les États-Unis avaient fait en Allemagne et au Japon au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il fallait « changer le régime » à Bagdad et faire en sorte que les États-Unis soient craints et que, désormais, nul ne s’attaque plus impunément à l’Amérique. Les régimes, lancés dans la course aux armes de destruction massive, doivent savoir ce qui les attend ! En clair, les États-Unis s’accordaient un droit suprême, que les autres nations n’avaient pas, d’agir, au nom de ce qu’ils considéraient être le Bien, pour qu’aucune autre puissance militaire n’émerge dans le monde.

Il n’est pas inutile d’avoir en mémoire cette conception particulière du droit du plus fort, dans l’analyse objective de la situation en Ukraine, en cette fin d’été 2022.

Les forces terrestres américano-britanniques sont entrées dans le sud de l’Irak le 20 mars 2003, après une préparation de l’artillerie lourde américaine. On connaît les suites de cette aventure…

Surgit, en 2007, l’affaire du Kosovo. Les pays occidentaux, notamment la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, étaient favorables à une indépendance du Kosovo sous surveillance internationale, Moscou y était opposé. Vladimir Poutine comparait la puissance arrogante, hypocrite, coloniale, guerrière et aventurière, des États-Unis, au Troisième Reich allemand ! Les relations entre les Américains et les Russes s’étaient fortement dégradées. La question du bouclier de défense antimissile, que les États-Unis voulaient installer en Pologne et en République tchèque, s’ajoutait aux autres désaccords.

Le dimanche 17 février 2008, les Albanais du Kosovo ont proclamé leur indépendance. Moscou n’a pas obtenu que les Nations unies déclarent « nulle et non avenue » la proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo, mais les Russes n’oublieront pas…

La proclamation d’indépendance du Kosovo était la dernière étape dans le processus de démantèlement de l’ex Yougoslavie. Depuis 1991, la Slovénie, la Croatie, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro avaient déclaré leur indépendance.

Le bilan de ces premières années du XXIe siècle n’était pas brillant. L’intervention américaine en Irak était un désastre qui contribuait à déstabiliser un peu plus la région ; l’intervention occidentale en Afghanistan, un échec, et l’intervention internationale au Kosovo aboutissait à une déclaration d’indépendance qui ne manquerait pas de constituer un précédent.

Que de maladresses dans la construction du nouvel ordre que les États-Unis entendaient imposer au monde ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde n’était pas plus sûr qu’au tournant du siècle !

Poutine, quant à lui, avait dorénavant « les mains libres » sur la Tchétchénie, persuadé que les Américains ne pourraient rester longtemps en Asie centrale, l’affaire afghane réglée, ce qui permettrait à la Russie de redevenir la grande puissance de la région.

À suivre…


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