Une journée détestable


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Avec un peu de recul, ce n’est pas l’utilisation du 49-3 par le gouvernement qui a fait du 19 février une journée détestable, mais le spectacle assez lamentable que l’Assemblée nationale a offert ce jour-là à l’ensemble du pays. La représentation nationale a donné l’impression qu’elle était « hors sol », qu’elle n’était préoccupée que par ses intérêts partisans, des postures, des arrière-pensées, à des années lumières des problèmes quotidiens des Français. Heureusement, pendant que la comédie, qui dura des heures, retransmise par les chaines d’info en continu, se déroulait, les Français travaillaient et n’en ont eu qu’un bref résumé le soir, au journal de 20h.

A l’évidence, l’exécutif avait mal apprécié et anticipé l’importance de l’opposition à la loi Macron au sein de la majorité parlementaire et du parti socialiste en particulier. L’opposition avait ce jour-là l’occasion de démontrer sa crédibilité et son intelligence. Elle jugea plus pertinent de se couvrir de ridicule en refusant de voter un texte, qui, loin d’être ultralibérale, n’en est pas moins un signal vers plus de liberté économique et un peu moins de blocages qui freinent le développement de l’économie française. Une majorité d’idée, comme le regretté Edgar Faure l’a prônée sans succès pendant des années, aurait donné une autre image de la politique. Sous la Ve République, c’est impensable. L’opposition, quel qu’elle soit, est à l’Assemblée pour s’opposer, aussi stupide que puisse être cette attitude. Pour remédier aux défauts de la IV e République, les rédacteurs de la Ve République avaient fait en sorte que les institutions permettent à un exécutif minoritaire de passer en force et de se maintenir au pouvoir.

Alors que je regardais, éberlué, se dérouler cette journée détestable, me revenait en mémoire la journée du dimanche 20 janvier 1946. Ce jour-là, à 12 heures, dans la salle des Armures du Ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique, le général de Gaulle, les traits tirés, entra et déclara : « Messieurs, je vous ai demandé de venir pour vous dire que j’ai décidé de me retirer. Je considère que ma mission est terminée. La France est libérée, elle a participé à la victoire finale, il y a eu des élections régulières, la démocratie est donc rétablie.  Nous avons fait des réformes qui étaient attendues par le peuple, mais, néanmoins, je constate que la trêve des partis n’a pas eu lieu, nous rencontrons de l’hostilité au sein même du gouvernement. Les trois partis continuent à s’attaquer et sont préoccupés par les prochaines élections. Je considère que c’est un malheur pour la France et moi, je ne veux pas participer à ces luttes de partis… » La suite est connue. C’est le régime des partis qui succéda au Général. Commençait alors le gouvernement de la France par les partis politiques et leurs pratiques souvent détestables.

Dix ans plus tard, à quelques jours près, les élections législatives du 2 janvier 1956, au scrutin proportionnel, permirent à 52 députés poujadistes de faire leur entrée à l’Assemblée nationale. Les combinaisons, les ambitions, les arrière-pensées des principaux dirigeants politiques, eurent pour effet de mettre le gouvernement, en permanence, dans une situation instable qui nuisait à l’intérêt du pays. Sans majorité, critiqué par ses propres amis politiques, Guy Mollet, leader de la gauche et, à ce titre, chef de gouvernement, pratiqua, pendant seize mois, un record sous la IVe République, une politique de centre-droit. Sa longévité n’était due qu’à la division interne des partis et à l’impossibilité de constituer une majorité franche en raison du scrutin proportionnel. Guy Mollet gouvernait au jour le jour avec des soutiens de circonstance, sous l’œil goguenard des poujadistes qui provoquaient sans cesse des incidents dans l’hémicycle. Le chef de gouvernement excellait dans l’art de se maintenir en équilibre dans un contexte difficile. Le 6 février 1956, deux ans avant la fin de la IV e République, à Alger, Guy Mollet fut accueilli par des jets de tomates lancées par un peuple qui avait l’impression d’être abandonné par la France.

Le général de Gaulle,place de la République
Le général de Gaulle,place de la République

Pierre Poujade, libraire-papetier dans le Lot, à Saint Céré, n’était pas un inconnu pour tout le monde. Avant la guerre, il avait milité dans la mouvance du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot. En 1953, il réapparut en prenant la tête d’un groupe de commerçants qui s’opposaient, par la violence, à des contrôles fiscaux. Assez bon orateur, Pierre Poujade savait parler aux classes moyennes, dénoncer le comportement des élites, de l’Etat et de ses technocrates. Il était capable de réunir 200 000 personnes, à Paris, (le 24 janvier 1955), venues l’écouter dénoncer, avec véhémence, « l’État vampire » et prononcer des propos xénophobes et antisémites qui s’adressaient en particulier à Pierre Mendès France qui, selon lui, « n’avait de français que le mot ajouté à son nom ». Jean-Marie Le Pen, élu député poujadiste en janvier 1956, partageait cette idéologie dont il fit, plus tard, le socle doctrinal du Front national avec la même dénonciation des partis de gouvernement, de l’État qui écrase les « petits », de la préférence nationale et de la menace que constituent l’immigration, l’Europe, une fonction publique pléthorique.

L’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA), le mouvement syndical de Pierre Poujade et sa version politique « l’Union et fraternité française (UFF), connurent un incontestable succès dans le contexte de crise de l’époque, au point d’envoyer 52 députés, avec 2,4 millions de suffrages, à l’Assemblée nationale en 1956.

Les graves crises économiques, celle qui a commencé en 2007 en est une, s’accompagnent inévitablement d’une forte montée des mécontentements. Les « oubliés » de la société française, et ceux qui le ressentent ainsi, ont très vite le sentiment que les politiques, en général, ne se préoccupent pas de leur sort. Le parti qui, par sa communication et son idéologie, récupère les mécontents a d’autant plus de chance de voir ses troupes grossir rapidement, qu’il n’a aucune responsabilité à assumer et peut se contenter de vendre du rêve. Il y a dans l’histoire de sinistres exemples qui se sont terminés dans le drame.une constitution pour la France

De nombreuses, et excellentes études sociologiques récentes expliquent ce phénomène. Les agriculteurs, par exemple, sont, malgré la PAC, dans une situation économique qui ne cesse de se détériorer. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Agriculture, explique très bien pourquoi un certain nombre d’exploitants agricoles, pas tous, cèdent « aux extrêmes ». Ceux qui ont le « couteau sous la gorge », sont de plus en plus « incapables de faire face aux frais de leur exploitation » et ne peuvent qu’assister impuissants à l’effondrement des prix dans certains secteurs et filières » sont découragés. Or le découragement s’accompagne souvent de décisions suicidaires. Rejoindre le Front national est une de ces formes de réaction de colère qui, pourtant, ne peut leur apporter que des illusions. En attendant, c’est dans les urnes que certains d’entre eux pousseront un cri de désespoir.

C’est dans ce contexte que l’UMP, pour des raisons purement tactiques, a pris la décision de s’opposer à la loi Macron au risque de rendre sa position incompréhensible après quatre-vingt-deux heures de débats en commission et cent onze heures de discussions en séance publique. Utiliser l’article 49 – 3 de la Constitution n’est pas un acte de faiblesse, comme l’ont inutilement proclamé les représentants de l’opposition, mais un acte d’autorité que la Constitution offre précisément à l’exécutif pour faire passer un texte utile pour le pays, mais qui n’a pas de majorité, alors qu’il y a 3,5 millions de chômeurs.

Sous prétexte de ne pas laisser à Marine Le Pen le monopole de l’opposition au gouvernement, l’UMP et l’UDI, bien que plus partagée, n’ont pas voulu accréditer encore la dénonciation de l’  « UMPS » dont elle a fait un de ses slogans favoris. S’en prendre au système, à ceux qui mépriseraient le peuple, aux abonnés au pouvoir, c’est facile, c’est payant. Résultat, la droite de gouvernement s’est faite un « croc en jambe » qui a contribué à faire de cette journée une journée détestable et à donner de la représentation nationale l’image de personnes qui vivent dans une bulle, loin des préoccupations de nos concitoyens. Le Front national, avec un programme d’extrême gauche, se frotte les mains.

La constitution de la Ve République
La constitution de la Ve République

Que l’aile gauche du parti socialiste, en admiration devant le peuple grecque, mais qui ferait bien d’y réfléchir à deux fois, dénonce les conceptions libérales du Premier ministre et de son ministre de l’économie, n’a rien de surprenant. Cette tendance conservatrice d’une idéologie totalement dépassée n’a en tête qu’un but : l’emporter au congrès de juin, à Poitiers tout en conservant le plus longtemps possible ses postes de député et son pouvoir de nuisance. Un remaniement, au lendemain des élections départementales qui n’intéressent personne, dans le seul but de calmer les frondeurs, ne ferait que confirmer, si besoin était, les arrière-pensées purement tactiques pour faire passer des réformes a minima. Cette méthode de gouvernement agace profondément les Français. Les promesses d’inverser la courbe du chômage, de redistribuer dans la deuxième partie du quinquennat, après la réduction de l’endettement et le tournant social-libéral de la politique gouvernementale, ont laissé des traces dans l’électorat de gauche qui apparaissent clairement dans les sondages. Que reste-t-il du parti socialiste né à Epinay en 1971 ? Pas grand-chose ! Le monde a changé. Une grande partie des membres actifs de ce parti ne le comprennent pas ou ne veulent pas le voir tel qu’il est.

Le 19 février a été une journée détestable pour la France et pour la Ve République qui n’a cessé, depuis sa création, de se méfier de la représentation parlementaire tantôt rebelle, tantôt godillot. Un rassemblement monstre, le 11 janvier, a été nécessaire pour répondre à une kalachnikov ; quel événement parviendra à rendre inutile l’utilisation du 49 -3 et à faire entrer la démocratie française dans la modernité ?

 


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