Sur l’impuissance de ceux qui nous gouvernent.


Publié

dans

par

 Pour Raymond Aron, la puissance c’est « la capacité d’imposer sa volonté aux autres ». Les définitions ne manquent pas depuis que Thucydide, au cinquième siècle avant notre ère, a analysé dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, la lutte pour la prédominance entre Athènes et Sparte.

Au début des années 1990, une distinction entre le Hard power et le Soft power est apparue pour montrer que la puissance peut s’exercer de différentes façons. Les capacités militaires demeurent le premier critère de puissance mais d’autres critères tels que l’économie, la recherche et le développement technologique, l’information, le savoir, les ressources naturelles, la démographie, entrent aussi en ligne de compte. La complexité des interactions entre acteurs étatiques et non étatiques, les alliances, les partenariats, influencent grandement les relations internationales. La chute de l’URSS, alors une des principales puissances militaires, est l’illustration la plus récente que les capacités militaires ne sont pas suffisantes.

L’actualité montre que les puissances se trouvent de plus en plus souvent confrontées à des acteurs asymétriques qui s’avèrent être des adversaires particulièrement coriaces. A l’horizon 2025, il n’est pas exclu que les menaces les plus redoutables, pour les grandes puissances, proviennent d’acteurs non identifiés, apparemment faibles, mais difficiles à contenir.

Les exemples d’impuissance sont trop nombreux pour ne pas être inquiétants.

En France, la gauche, comme la droite, est incapable de réformer l’Etat. C’est une forme d’impuissance des dirigeants politiques. Manque de courage, crainte de perdre le pouvoir, manque d’idées. Peu importe, le constat est là. La révolution technologique se chargera de contourner l’impuissance et de trouver des solutions démocratiques et pratiques à ce qu’il faut bien appeler une crise de légitimité. La pratique actuelle du pouvoir, qui consiste à imposer des décisions sans se préoccuper de leur acceptation, à priver sans cesse nos concitoyens de libertés, ne survivra pas à la révolution technologique qui est en marche.UE

Impuissante Union européenne qui est incapable de faire face à des crises qu’elle s’ingénie à compliquer. Bruno Le Maire est un peu radical, mais il n’a pas tort, quand il déclare : « Nous sommes en train de voir la mort d’une vieille union européenne. Il faut la réinventer de A à Z, lui donner un projet, un gouvernement de la zone euro, un idéal politique, des méthodes de fonctionnement plus efficaces et indépendantes. »

Sur la crise de la dette grecque, l’impuissance saute aux yeux. Le Premier ministre grec, marxiste de formation, rêve de devenir le père d’une nation grecque qui, grâce à lui, retrouverait son honneur. Si, pour ce faire, il faut renverser la table, il n’hésite pas un instant. Il sait que, le dos au mur, sa force réside dans la faiblesse et l’impuissance de ses partenaires européens. Dans cet esprit, il n’exclut rien, pas même un renversement d’alliances. Les agissements du président Poutine lui servent de modèle. La menace peut faciliter les négociations.

Que d’erreurs commises dans ce dossier. Jacques Attali a raison de rappeler dans l’Express.fr que « depuis qu’en 2010 on a autorisé le FMI à participer aux négociations de la dette grecque, sous prétexte qu’il était l’un des créanciers, et surtout depuis qu’on s’est résigné à penser qu’il pouvait mieux que la Commission faire des prévisions économiques crédibles, la discussion sur la présence grecque dans la zone euro a glissé peu à peu dans une dérive hallucinante. D’abord, les dirigeants politiques de l’Eurogroupe ont laissé le FMI se glisser parmi les négociateurs, jusque-là uniquement issus de la Commission et de la Banque centrale européennes, de l’ensemble de la dette grecque. Ensuite, les mêmes leaders européens, au lieu d’assumer leurs responsabilités politiques, ont affirmé haut et fort qu’ils n’accepteraient aucun compromis qui ne serait négocié d’abord avec les trois institutions, formant ce qu’on nomma triomphalement « la troïka ». Au point même de refuser de parler avec les Grecs de sujets n’ayant pas l’aval de la troïka ! Plus tard, même si le nouveau gouvernement grec a obtenu, dérisoire victoire, que la troïka change de nom pour devenir « les institutions », les patrons de celles-ci se sont défaussés de leur rôle politique au profit de leurs experts. »la puissance au XXIe siecle

Impuissance et manque de réalisme du politique ; impuissance et manque de lucidité des chefs d’Etat et de gouvernement dans cette triste affaire. Il était évident que ce pays ne pourra jamais rembourser sa dette. Lui imposer des mesures d’économie drastiques ne mène à rien. Il faut annuler tout ou partie de la dette. Impuissants aussi les Etats-Unis qui ont soutenu le FMI sans prendre en compte plus activement l’importance géostratégique de la Grèce qui doit rester dans la zone euro.

Comment les chefs d’Etat et de gouvernement européens ont-ils pu se laisser enfermer dans le corner sans trouver une solution qui ne semble pourtant pas si compliquée à condition de vouloir régler ses affaires en famille, c’est-à-dire sans le FMI. Jacques Attali en donne les grandes lignes : « un plan d’économies raisonnable, socialement juste, sans aide nouvelle, mais accompagné d’une réduction de la dette grecque en dessous de 100% du PIB, par annulation d’une part importante des prêts publics, bilatéraux et multilatéraux, dont chacun sait qu’ils ne pourront pas être honorés, mais dont on continue à réclamer le remboursement, pour sauver la face. Pour cela, il faut créer d’urgence un véritable Fonds monétaire européen, amorce d’un Trésor et d’un ministère des Finances de l’Eurozone.

Jacques Attali ne serait pas Jacques Attali, s’il ne concluait pas son papier par ce conseil : « Européens, réglez entre vous vos problèmes. Ne comptez que sur vos propres forces. Ne cédez à aucune pression ni aucune mode de pensée venues de l’autre côté de l’Atlantique ou des rives du Pacifique. Donnez-vous un projet, et agissez. Il n’est que trop temps de le faire. »

Impuissance ou excès de puissance ? Il est légitime de se poser la question quand les autorités européennes s’immiscent dans la campagne et se prononcent en faveur du « oui ». La BCE ne sort-elle pas de son rôle monétaire et financier ? Ne devient-elle pas un acteur politique engagé contre le gouvernement Tsipras ? Les élites perdraient-ils la raison en s’ingérant pareillement dans la vie politique d’un Etat membre. Impuissants, les dirigeants européens gèrent la crise au jour le jour sans vision à long terme. Angela Merkel est déçue mais prudente. Elle considère que le gouvernement grec est entièrement responsable de l’échec des discussions. « L’Europe ne peut fonctionner qu’avec des compromis. Personne ne peut avoir 100 % du résultat. Il n’y avait pas de volonté de compromis du côté grec ».sommet sur la puissance

Impuissante FMI qui, arrogante et sûre d’elle, n’a pas vu venir l’exploitation par la Grèce d’une clause de la charte fondatrice du FMI (la provision G, section 7, article 5) qui permet à un pays de demander le report d’un remboursement pour échapper à « une épreuve exceptionnelle ». Cette clause tombée dans les oubliettes, n’avait pas été appliquée depuis 1982 (Nicaragua).   Quelques jours auparavant, la Grèce s’était déjà prévalue d’une clause qui lui permet de regrouper les quatre paiements attendus en juin et, ainsi, d’obtenir un sursis. C’est un grand tort de négliger la puissance du faible !

Impuissance aussi face au terrorisme. Bruno Le Maire encore, ne comprend pas que la communauté internationale se révèle  incapable d’éradiquer la menace au Moyen-Orient. «  On ne peut pas laisser Daech s’emparer de la Syrie » dit-il. Le Liban et la Jordanie tomberaient à leur tour ». De la Tunisie au Koweït, après la Libye, le Yémen et en Arabie saoudite, Daech sème la terreur dans les populations. En Europe, et en France en particulier, Daech cherche à monter les communautés les unes contre les autres et à casser le « vivre ensemble » auquel nous sommes attachés. François Fillon tient un discours comparable quand il réclame « un virage diplomatique international, qui obligerait les pays dont la position est ambiguë (Qatar, Turquie par exemple) à choisir leur camp. »

En grande partie impuissants, les services de renseignement qui se demandent comment déceler les menaces, détecter les signes avant-coureurs de radicalisation, repérer les pulsions des djihadistes avant le passage à l’acte ? Comment désintoxiquer ceux qui ont combattu en Irak ou en Syrie pour le compte de l’Etat islamique ou du Front Al-Nosra? Il faut se faire à l’idée qu’il est impossible de déceler toutes les menaces potentielles et qu’il est inutile de sur-réagir à chaque agression comme nous le faisons. C’est précisément le but que Daesh cherche à atteindre.

Impuissance des Etats-Unis qui écoutent le monde entier pour en définitive accumuler les erreurs stratégiques. L’invasion de l’Irak, en mars 2003, a donné naissance au djihadisme. C’est aujourd’hui une évidence. La politique suivie par l’administration Obama depuis son « retrait » d’Irak en 2011 a rendu inévitable la naissance de Daech qui rêve, par un attentat de grande ampleur en Europe, de forcer les Occidentaux à intervenir au sol, comme en 2003. Hubert Védrine a raison de dire que « la force de Daech réside dans la faiblesse de ses adversaires ».

Sans doute insuffisamment puissants aussi, les négociateurs qui se révèlent incapables d’arracher aux Iraniens un accord « solide » sur les capacités nucléaires de l’Iran. Dans cette confrontation de puissance comment ne pas se demander qui est le plus puissant. Après des mois, des jours, des heures de négociations, il apparait clairement que l’Iran veut et va garder ses secrets. Le négociateur en chef de l’Iran, Mohamad Javad Zarif, ne cède rien sur l’accès aux sites dont l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a besoin pour vérifier le respect des engagements pris par l’Iran. Comme dans la négociation sur la dette grecque, la date butoir est sans cesse repoussée en raison du nombre de désaccords encore trop important. Les Occidentaux soupçonnent les Iraniens de vouloir cacher, sur la base militaire de Parchin, des recherches en vue de fabriquer une arme nucléaire. Il y aura sans doute un accord, mais incomplet, insuffisant. Il y aura un accord parce qu’une collaboration avec la République islamique d’Iran est nécessaire pour venir à bout de Daesh. L’Occident ne négocie pas en position de force. Dans les conversations, il n’est jamais question de Daesh, les discussions ne portent que sur le nucléaire, mais l’Iran met ses capacités militaires dans la balance.

Pour finir, car les exemples d’impuissance seraient trop nombreux et l’énumération fastidieuse et désespérante, il faut évidemment évoquer la lutte contre l’immigration clandestine ? Les pays de l’Union européenne ont dépensé 11,3 milliards d’euros depuis 2000 pour renvoyer les migrants illégaux, et 1,6 milliard d’euros, pour assurer la protection des frontières de l’Europe. Pour quel résultat ? Plus de 600 000 migrants ont demandé l’asile dans l’Union européenne en 2014. De janvier à la fin de mai 2015, plus de 100 000 migrants ont traversé la Méditerranée et 1 865 se sont noyés, selon l’Office international des migrations. Les grillages édifiés pour fermer les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc coûtent 10 millions d’euros par an pour leur entretien. La barrière entre la Grèce et la Turquie coûte plus de 7 millions par an aux contribuables grecs. Pour quel résultat ?cover de Valeurs actuelles

Le nombre de déplacés et de réfugiés a atteint le niveau record de 60 millions de personnes en 2014 (source HCR). En 2014, chaque jour, 42 500 personnes sont devenues des réfugiés, des déplacés internes ou des demandeurs d’asile. Les Etats, les agences humanitaires sont impuissants. La « Stratégie pour la migration », élaborée par Bruxelles, avec son plan de répartition de demandeurs d’asile et de réfugiés proposé par la Commission européenne, est un aveu d’impuissance pour ne pas dire une « faillite » de l’Europe, alors qu’il est urgent d’aider l’Italie et la Grèce et de prendre des mesures plus efficaces, mais qui ont peu de chance de faire l’unanimité au sein de l’Union européenne.

La Grèce et l’Euro, l’Europe et son avenir, l’Iran et le Nucléaire, l’Europe et l’afflux de migrants, n’ont en apparence rien en commun, si ce n’est l’impuissance des dirigeants politiques à apporter, par la négociation, des solutions durables. Celles-ci sont nécessairement difficiles à élaborer, d’une complexité extrême, mais c’est de l’avenir qu’il s’agit. Doit-on à tout prix éviter que l’Iran figure sur la liste des pays qui disposent de l’arme atomique ? Peut-on se permettre de laisser la Grèce se rapprocher de Moscou ? Gagner du temps, hésiter sans cesse, c’est la faiblesse du fort par rapport au faible.

C’est un signe d’impuissance chez ceux qui nous gouvernent.

 

 

 


Publié

dans

par

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.