Sur le long hiver qui vient


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La France attend un événement ou un Deus ex machina, capable de dénouer la situation dans laquelle elle se trouve, capable de provoquer un sursaut. Dans cette phase d’attente, la tension monte, les esprits s’échauffent, les discours deviennent de plus en plus violents. Les Français n’attendent plus rien des institutions, des responsables politiques. Un sondage IFOP d’octobre 2015 révélait un besoin d’autorité, une demande « d’un vrai chef pour remettre de l’ordre dans le pays » et, paradoxalement, une demande d’experts pour gouverner le pays et mettre en œuvre les réformes nécessaires que les politiques, obsédés par leur réélection, n’ont ni la volonté, ni le courage, d’entreprendre.

Quand la défiance atteint ce niveau, la démocratie est en danger. La crise, les excès de la mondialisation, l’ultralibéralisme, la menace terroriste, le chômage de masse, la perte des valeurs, une Union européenne décevante, expliquent, en grande partie, l’état dans lequel se trouve la France aujourd’hui. La fin visible du monde d’hier laisse nos concitoyens pantois et les pousse vers des solutions extrêmes qui n’effraient plus. C’est le signe d’une situation assez désespérée.

Deux ex machina -représentation théâtrale en 2009 à Syracuse
Deux ex machina dans le théâtre grec Medea par Euripides mise en scène en 2009 à Syracuse

Une autre enquête réalisée par l’Observatoire France Sociovision 2015-2016 met en évidence ce que sont les peurs que ressentent les Français. Le terrorisme, depuis les attentats de janvier, a ravi la première place au chômage. Par voie de conséquence, la proportion de Français qui pensent « qu’il y a trop d’étrangers en France » atteint maintenant 65 % (59 % en 2014). L’appartenance à une communauté qui partage une histoire et des valeurs » (70 % des Français, en hausse de 9 points en un an) monte également dans les réponses, alors que le discours des responsables politiques sur les valeurs, n’accroche plus. Les politiques – à tort ou à raison – donnent l’impression de vivre « hors sol » ou dans le déni, ce qui n’est pas mieux, au point que les Français interrogés ne font plus guère de différence entre la gauche et la droite de gouvernement.

Dans ce contexte, la gauche et la droite agitent la peur que le FN arrive au pouvoir par les urnes. Ce qui a pour effet de faire monter le FN encore un peu plus. « Le FN peut gagner, le FN va gagner, le FN doit gagner », écrit Christophe Barbier dans l’Express, avant d’ajouter que « c’est le moment de vérité où l’on doit choisir : résister ou collaborer, agir ou regarder. Il est tentant de sortir d’un débat national appauvri, sans grande figure ni grandes idées, par un accident démocratique majeur. » Certains pensent « qu’il faut un 10 mai 1940 pour connaître un 18 juin. »

Le célèbre éditorialiste n’a pas tort. Faute de solutions et de résultats, la tentation FN s’enracine en effet au cœur de la nation. Entre ceux, nombreux, « qui veulent punir et chasser les politicards, ceux qui souhaitent pour le pays une purge autoritaire, sécuritaire et xénophobe, un « chacun chez soi » au blindage d’ordre et aux barbelés d’intolérance et ceux qui aspirent carrément à un effondrement du pays, une nouvelle « divine surprise », une nuit purificatrice, une catharsis », cela représente beaucoup de Français qui ne connaissent pas, où ont oublié, l’Histoire de notre pays qui n’est pas toujours sorti indemne de pareilles situations.

Son confrère Franz-Olivier Giesbert, qui n’y va jamais avec le dos de la cuillère, écrit dans le Point, qu’il reconnaît, à droite, « les avatars propres sur eux de Doriot, Pétain, Laval ou Déat. Ils sont certes plus présentables, souvent talentueux, et parfois même de gauche comme pouvaient l’être leurs aînés. » Il est certain que la progression en France de la xénophobie, du populisme et du souverainisme, est préoccupante dans un moment où l’Europe n’est pas en mesure d’apporter les réponses que les peuples sont en droit d’attendre d’elle.

Les réacs s’en donnent, en effet, à cœur joie !Villiers

Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel), l’ouvrage de Philippe de Villiers, après Le Suicide français, d’Eric Zemmour (300 000 exemplaires vendus) et avant le livre de Patrick Buisson bien décidé à dire ce qu’il pense du quinquennat de Nicolas Sarkozy, sont la preuve qu’une certaine droite est bien décidée à peser sur la présidentielle de 2017. Des éditorialistes écrivent même que ces « écrivains » sont décidés à dynamiter l’offre politique. C’est au premier étage de la Rotonde, la célèbre brasserie de Montparnasse, que le « coup » se prépare. La droite identitaire, souverainiste, conservatrice, réactionnaire, en un mot, une droite anti-Juppé, se prépare à passer à l’action, convaincue que « ce qui va se passer aura lieu en dehors des partis ». Des intellectuels, des médias, des journalistes, accompagnent ce courant de pensée. La Manif pour tous a donné des idées ! La menace d’une « déchristianisation de la France et de son islamisation » obsède en effet une partie de la population décidée à résister à l’air du temps en dehors des partis politiques. Patrick Buisson résume ainsi la période actuelle : « Ce sont les réacs qui font le spectacle et le débat d’idées. La gauche n’a plus rien à dire… »

Ils ne sont pas les seuls. En Rhône-Alpes, Charles Millon, ancien ministre UDF et Charles Beigbeder, entrepreneur, ont avec leur mouvement « L’Avant-Garde », un réseau participatif hors des partis traditionnels, un « programme présidentiel » basé sur la famille, sur l’immigration, l’école, l’islam. Pour l’instant, Charles Millon et Charles Beigbeder sont d’une grande prudence à l’égard du Front national, mais reconnaissent une proximité de pensée avec Marion Maréchal-Le Pen. Dans le même état d’esprit, les opposants au mariage pour tous se préparent à voter en masse lors de la primaire de la droite. Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, dit que « cette primaire est très attendue par ses troupes. » Elle rappelle aux candidats que « le combat de 2013 n’est pas terminé pour l’électeur de droite ». C’est un désaccord sérieux avec les principaux dirigeants de la droite de gouvernement.zemmour

L’idée de l’économiste Jacques Sapir de rassembler l’extrême droite et l’extrême gauche dans un « front de libération nationale » anti-euro ne manque pas de cohérence, peut faire sourire, mais témoigne du clivage de la société française et du délire qu’il provoque.

Au-delà de nos frontières, les mêmes causes provoquent les mêmes effets. Matteo Salvini, s’impose à la tête de la droite populiste italienne. Son discours, violent, souvent haineux, est entendu par une partie de l’électorat que l’arrivée en masse de migrants inquiète. Le leader de la Ligue du Nord, parti populiste et xénophobe, a un côté camelot qui plaît toujours à l’extrême droite. Avec 30 % d’opinions favorables dans les sondages, il s’impose déjà comme une personnalité politique de premier plan derrière Matteo Renzi, le président du Conseil. Il s’est fixé pour but de rassembler tous les Italiens que l’arrivée des migrants en pleine crise économique préoccupe au plus haut point.

Il n’y a rien d’étonnant non plus à ce que la droite nationaliste, souverainiste, soutienne Poutine, l’homme qui modifie les frontières par les armes dans le but de restaurer l’empire soviétique. Son autorité, son nationalisme, font de lui un exemple à suivre. Il en est de même d’Erdogan, le nouveau sultan, à la tête de la « Nouvelle Turquie », décidé à modifier la constitution de son pays pour le diriger d’une main de fer, par la peur, comme dans tous les régimes autoritaires. C’est ce que souhaiteraient ceux qui demandent plus d’autorité, de populisme, de nationalisme ?

Si c’est le cas, alors, c’est bien un long hiver qui nous attend.

Je mets en ligne cet article au moment où Paris est l’objet d’une vaste attaque terroriste qui aurait déjà fait plus de 35 victimes.

 


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