« Qu’est-ce qu’on leur a mis ! »


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Il faut remonter à 1958 pour trouver, dans le comportement de l’électorat, une certaine ressemblance. Les institutions de la IVe République étaient à bout de souffle, la guerre d’Algérie n’en finissait pas et les Français en avaient assez de l’instabilité gouvernementale, des combinaisons stériles des partis politiques et de la dégradation de l’État. Ils voulaient du changement. Le général de Gaulle, revenu au pouvoir, avait entendu le message et disait à ses proches : « Tout ce qui est à la tête de l’État et du pays doit être renouvelé. J’ai reçu mandat de le faire ».

Le général de Gaulle en 1958

La priorité absolue était de réformer les institutions, de « fonder un État qui en soit un » et de faire approuver par les Français une nouvelle constitution. Vaste programme ! Les élections législatives, destinées à constituer la nouvelle Assemblée nationale, avaient été fixées aux 23 et 30 novembre 1958. Au préalable, il fallait une nouvelle loi électorale. Ce ne fut pas une mince affaire. Les discussions furent vives. Certains, comme M. Pfimlin et le MRP, voulaient la proportionnelle. D’autres, comme M. Pinay, un scrutin départemental de liste à deux tours, M. Debré et les gaullistes préconisaient un scrutin départemental de liste à un tour, Guy Mollet avait une préférence pour le scrutin majoritaire uninominal de circonscription à deux tours. Le général de Gaulle arbitra en faveur de cette dernière formule qui offrait un certain nombre d’avantages. Elle devait éviter les coalitions et les agissements des partis politiques. Elle empêchait un parti, notamment le parti communiste, de réunir une majorité. Cette décision était grave et lourde de conséquences. L’avenir l’a montré. Il fallut ensuite procéder à un découpage des circonscriptions. C’est un exercice qui n’est jamais sans arrière-pensées. Il fut, de l’avis des spécialistes et des historiens, honnêtement fait. L’institution d’un suppléant, en revanche, donna lieu à beaucoup de discussions et de contestations.

Restait, pour les gaullistes, à constituer un parti pour préparer les élections. Le mouvement, très « Algérie Française », très à droite, regroupait diverses tendances et des hommes très différents. Chaban-Delmas, Michelet, Frey, Michel Debré, d’un côté et de l’autre des hommes très engagés en faveur de l’intégration algérienne : André Morice, Georges Bidault, Roger Duchet, Jacques Soustelle ; des hommes en qui le général n’avait pas confiance. Le mouvement gaulliste, l’UNR (Union pour la nouvelle République) et les Indépendants disposaient de gros moyens pour faire campagne. L’opposition, assommée par son échec au référendum, n’imprimait pas dans l’opinion qui voulait du neuf. Celle-ci était bien décidée à « sortir les sortants ». Les hommes de la IVe, l’électorat n’en voulait plus. L’impopularité était trop importante. Les Français voulaient du neuf, des inconnus. Le général de Gaulle avait demandé que son nom ne soit pas utilisé pendant la campagne. Peine perdue, les affiches comportaient très souvent la mention : « Voter pour M. Untel, c’est voter pour Charles de Gaulle ! »

L’abstention fut importante en raison de la confusion des candidatures et de l’indifférence de l’opinion qui était bien décidée à « sortir les sortants » et à procéder à un grand renouvellement de la classe politique. Dans ce contexte, l’UNR n’eut aucune difficulté à prendre des voix à tous les partis, y compris au parti communiste.

Le 30 novembre, L’UNR avait 198 élus et les modérés 133. La gauche était pulvérisée. Ce fut le renouvellement le plus important depuis 1 871 à l’exception de la « Chambre bleu horizon » de 1919. 131 députés sortants seulement, sur 537, furent réélus. Mendès-France, Daladier, Bourgès-Maunoury, Laniel, Edgar Faure, Ramadier, Le Troquer, Mitterrand, Defferre, Morice, Lacoste et quelques autres figures de la IVe furent battus. Le Parti communiste, avec 10 députés (contre 150 en 1956), fut le grand perdant de la nouvelle loi électorale. Ce fut l’hécatombe !

Pierre Viansson-Ponté, auteur d’« Histoire de la République Gaullienne », à laquelle je me réfère souvent, rapporte cette exclamation du général de Gaulle : « Qu’est-ce qu’on leur a mis ! »

Voilà pourquoi ce qui se passe en France actuellement ressemble à ce qui s’est passé en 1958. Un « mouvement » ex nihilo, bien organisé, capable, en très peu de temps, de présenter des têtes nouvelles, souvent inconnues, et de servir de réceptacle à tous ceux, de gauche, comme de droite, qui veulent une recomposition complète du personnel politique et une vision moderne de la politique de la France. L’hécatombe est comparable à celle de 1958. C’est le coup de balai, le grand remplacement, qui suscite à la fois engouement et inquiétude.

La composition de l’Assemblée nationale en 1958

Comme le général de Gaulle, Emmanuel Macron avait écrit ce qu’il voulait faire pour satisfaire le besoin de renouvellement exprimé par les Français. Comme le pensait son illustre prédécesseur, le nouveau chef de l’État impose, avec autorité, une autorité apparemment bienveillante, par le haut, verticalement, un renouvellement complet pour remettre en mouvement la société française, encourager les initiatives, ne pas avoir peur de la destruction créatrice, accompagner les individus. Cette majorité présidentielle sera-t-elle capable de constituer un contre-pouvoir suffisant ? L’avenir le dira !

Pendant combien de temps, la langue de bois, les postures, les éléments de langage si exaspérants, seront-ils absents du comportement des nouveaux élus ? « Balai neuf, balai bien ! » Des résultats seront très vite demandés à ces nouveaux élus. Les Français sont lassés des promesses qu’on leur fait régulièrement. Ils exigent de l’efficacité et moins de bavardages. En d’autres temps, le général de Gaulle avait été capable de redresser le pays, de lui redonner les attributs de la puissance et de mettre fin à la guerre d’Algérie avec une autorité contestée et parfois une certaine brutalité, mais le résultat fut au rendez-vous.

Assistons-nous à la fin de la République Gaullienne ? Au mois d’avril, je me suis posé la question dans ce blog. Aujourd’hui, je pense qu’Emmanuel Macron a donné suffisamment de signes pour que nous commencions à penser qu’il est capable de la régénérer sans en perdre l’esprit et sans en faire une hyper Ve République.

 


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