« Populiste était un beau mot»


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Employer l’expression « Au nom du peuple » est au mieux un abus de langage, au pire une escroquerie intellectuelle. De la part d’un parti politique qui ne peut parler qu’au nom d’une minorité de citoyens, ce ne peut être qu’une stratégie de conquête du pouvoir. Cette pratique politique, appelée populiste, consiste à s’opposer aux élites, au « système », et à promettre que les décisions les plus importantes seront prises par le peuple et non par ses représentants.

Le sens du mot « populisme » a changé au cours des époques et au gré des circonstances. Il désigne, le plus souvent, l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques qui prétendent exprimer l’opinion du peuple. C’est une des formes de la démagogie. L’expression, devenue péjorative, sert à disqualifier des mouvements contestataires, à l’idéologie simpliste, qui s’opposent, en Europe et aux États-Unis, aux partis de gauche et de droite qui ont conduit, depuis plusieurs décennies, des politiques économiques ayant créé des inégalités sociales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En France, des enquêtes ont montré que plus des deux tiers de la population considèrent que les députés à l’Assemblée nationale devraient suivre la volonté du peuple ; les décisions politiques les plus importantes devraient être prises par le peuple et non par les hommes politiques ; les différences politiques entre les citoyens ordinaires et les élites sont plus importantes que les différences entre citoyens ; préféreraient être représentés par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel et que les hommes politiques parlent trop et n’agissent pas assez.

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le populisme – ce mot attrape tout – s’exprime, à chaque consultation électorale, sous forme de votes en faveur de partis qui appellent à en finir avec les partis de gouvernement ou d’abstention, l’autre forme de protestation des citoyens qui se désintéressent de la politique et qui « n’y croient plus ».

« Au nom du peuple », le slogan de campagne de Marine Le Pen, est caractéristique de cette forme de populisme à la fois anti-establishment, anti-élitisme, anti-système et probablement anti-pluralisme. « Au nom du peuple » signifie : Nous – et seulement nous – représentons le peuple. » Ceux qui s’opposent à « leur peuple » n’aimeraient pas le peuple et seraient sans doute même des personnalités immorales, corrompues et nuisibles.

Il est évident que la situation dans laquelle se trouve la société française aujourd’hui favorise le développement de ces formes de populisme. Les fractures, jeunes et vieux, population de souche et population d’origine immigrée, riches et  pauvres, éduqués ou non, bien ou mal logés, personnes à statut protégé et personnes exposées à la précarité, expliquent le développement des populismes.

Le substantif – populiste – est apparu en France au début du vingtième siècle. Il était employé jusque-là pour définir des mouvements politiques proches du peuple, aux États-Unis et en Russie à la fin du XIXe siècle. En France, le terme est employé, au début du XXè siècle, pour désigner une nouvelle école littéraire soucieuse de raconter la vie des gens modestes, des « gens de peu ».

Au début du XXè siècle, en réaction contre une littérature bourgeoise prenant généralement pour cadre les familles les plus fortunées de la société française, de brillants écrivains ont voulu raconter la vie réelle, quotidienne, souvent dure du peuple. « Le peuple plus le style », la formule a réuni des auteurs comme Jules Romains, Henri Troyat, Jean-Paul Sartre, Louis Guilloux, René Fallet, mais aussi Jean-Pierre Chabrol, Bernard Clavel, Louis Nucéra et bien d’autres.

Il existe un Prix du roman populiste, inspiré du manifeste de Lemonnier et Thérive, qui récompense une œuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ». Il a été décerné pour la première fois en 1931 à Eugène Dabit pour son célèbre L’Hôtel du Nord. En octobre 2012, le prix du roman populiste prend le nom de « Prix Eugène Dabit du roman populiste », en hommage et pour faire référence à son premier lauréat.

Le lecteur intéressé trouvera à la fin de cet article la liste des lauréats du « Prix Eugène Dabit du roman populiste ».

22 décembre 2016-Article de Valentine Goby dans La Croix

Valentine Goby, membre du jury du « Prix Eugène Dabit du roman populiste » a admirablement raconté dans le journal La Croix du 22 décembre 2016, la remise du prix 2016 à Hugo Boris pour son livre POLICE auquel j’avais consacré un article le 22 octobre 2016. L’article de Valentine Goby peut encore être lu à l’adresse suivante :

http://www.la-croix.com/Debats/Chroniques/Les-lettres-noblesse-populisme-Valentine-Goby-2016-12-22-1200812257

Pour ceux qui ne pourraient en prendre connaissance, je le reproduis ci-dessous.

Ce soir-là, 16 décembre, à l’hôtel du Nord à Paris, on remet le prix Eugène-Dabit du livre populiste. L’hôtel du film, pourrait-on écrire, tant Marcel Carné, la gueule « d’atmosphère » d’Arletty et sa gouaille y sont à jamais attachés. Mais le film était d’abord un livre, l’auteur s’appelait Eugène Dabit. C’est un nom intriguant que celui de ce prix, qui habille d’une référence au colossal capital de sympathie un adjectif suscitant la méfiance, voire le mépris. Populisme, n’est-ce pas un synonyme de démagogie ?

C’est justement pourquoi on lui a récemment ajouté le patronyme du premier lauréat en 1931 – Jules Romains, Jean-Paul Sartre, Emmanuel Roblès ou Leïla Sebbar, entre autres, lui ont succédé. Des mots quittent la langue familière, de nouveaux apparaissent, certains changent de sens au gré de l’usage et de leur collusion à l’histoire ; « populisme » est victime de l’opportunisme des fous de pouvoir, ils lui ont ôté sa beauté. En Russie dans les années 1870, il incarnait la foi en la transmission entre gens dit « éduqués » et paysans modestes ; on est aujourd’hui légitimement tenté de railler pareil paternalisme, mais c’est bien cet esprit humaniste qui fonde les centaines d’universités populaires à travers le territoire. En France, le roman populiste a son manifeste depuis 1929, né d’une « réaction contre une littérature bourgeoise prenant pour cadre unique les sphères les plus fortunées ». Diable ! Marqué par les grands combats politiques et sociaux de l’entre-deux-guerres, le manifeste voyait dans l’art une déclinaison de la lutte des classes, et souhaitait que la littérature puisse faire, en quelque sorte, réparation. À présent, il s’agit surtout de distinguer un texte qui, en plus de ses qualités littéraires, préfère mettre en valeur des personnages et des milieux populaires, et dont « il se dégage une authentique humanité ». Moins un prix pour Balzac et Proust, donc, que pour Zola, c’est sûr…

Je participe à ce jury depuis cinq ans. C’est Michel Quint qui me l’a proposé, comme Jean Vautrin lui en avait ouvert la porte, une filiation dans l’amour des mots et l’attrait pour les sans-grade. Je me tiens habituellement à distance de ces instances où se côtoient, d’une certaine façon, juges et parties. Ce qui m’a émue et décidée, c’est la mise en valeur d’une écriture qui fait la lumière où on ne l’attend pas, donne voix aux invisibles, aux lésés, à ces vies courageuses, persistantes comme on le dit des arbres qui résistent à l’hiver, sans pour autant, c’est un point essentiel, soumettre la langue à une doctrine qui en confisquerait la puissance – défaut récurrent d’une certaine littérature engagée. Il y a de cette générosité exigeante chez Violaine Schwartz (Le Vent dans la bouche), Thierry Beinstingel (Ils désertent), et dans le livre d’Hugo Boris, POLICE, primé cette année.

J’aime le naturalisme de ce roman, la peinture du quotidien des gardiens de la paix que l’auteur a documenté avec la précision d’un Zola, sur le terrain, dans la rue et le commissariat, incarnant formidablement ses personnages et restituant, page à page, avec délicatesse et lucidité, la langue et les gestes d’un métier. Il rend compte d’un paysage social déchiré – les policiers se disent « éboueurs de la société » qui a échoué à protéger les plus faibles (femmes et enfants battus, quartiers laissés pour compte…) –, tente de nommer sans les juger la détresse et la violence qui les traverse. J’en aime aussi les reflets hugoliens, le nom de l’un qui est prénom de l’autre, ils semblent se chuchoter des obsessions jumelles, elles se déploient dans la tempête sous un crâne qui constitue l’intrigue même du roman d’Hugo Boris où résonne une scène éblouissante des Misérables : chez Victor Hugo l’intérieur d’une voiture à cheval, chez Hugo Boris l’habitacle d’un véhicule de police ; là Javert, inspecteur, ici un trio de policiers en mission ; là un homme promis au bagne à vie que Javert a poursuivi sa vie durant, ici un clandestin reconduit à l’aéroport – sans doute à la mort. À cet instant et pour la première fois, Javert est le granit qui doute, écrit Victor Hugo ; et dans la voiture de police surgit à son tour la question de la désobéissance, le dilemme entre loi et conscience. La littérature m’émerveille, qui revisite des motifs anciens et en révèle la modernité.

Populiste était un beau mot. POLICE est un beau roman, qui contribue à rendre au prix qui le couronne son sens le plus noble. Sur les bords du canal Saint-Martin, Joseph Da Costa lève son verre, Wolinski nous observe peut-être depuis le firmament ou le fond d’une chope, lui qui fut une figure de ce prix. On tente, ce soir, de suturer les bords du temps.

Valentine Goby

Le 22 octobre 2016, j’avais dit tout le bien que je pensais du livre d’Hugo Boris POLICE publié aux éd. Grasset 17.50 € – EAN : 9782246861447), le 24 août 2016. Je suis très heureux qu’il ait été récompensé.

Liste des lauréats

 


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