Pierre Lefranc : un « Français libre »


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Pierre Lefranc est mort samedi dernier à l’hôpital du Val-de-Grâce. Il aurait eu  90 ans le 22 janvier prochain. Le Premier ministre, François Fillon, dans un communiqué a déclaré :  « Pierre Lefranc était un homme de fidélité (…) au Général de Gaulle (…), à l’esprit de résistance (…), à l’indépendance de la France qui était le combat de sa vie. Avec lui nous quitte un homme de loyauté (…). C’est un acteur privilégié de l’histoire du gaullisme qui disparaît ». Etre libre et résister furent le fil conducteur de son existence. Il s’insurgeait en permanence contre les abandons de souveraineté auxquels  conduisait notamment la construction européenne.

J’ai eu l’honneur de rencontrer et d’échanger avec Pierre Lefranc à de nombreuses reprises depuis ce jour de juin 97 où, par le hasard des réservations, je me trouvai; dans le TGV Paris-Poitiers, en face de lui. A l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, il était un membre très actif de la commission du prix Vauban et de la commission des études. J’occupais également des fonctions dans les instances de cette grande et belle association. Nous nous croisions fréquemment mais nous n’avions pas encore eu l’occasion de faire véritablement connaissance. Ce jour là, le président du Sénat René Monory nous avait invités à visiter le Futuroscope en sa compagnie.  Nous parlions de choses et d’autres pendant que le train traversait la Beauce à grande vitesse. Je ne sais plus pour quelles raisons la conversation porta sur le Lot, département qu’il connaît bien pour des raisons familiales. Pierre Lefranc me dit :

« Vous connaissez le Lot ? »

Oui, très bien, lui répondis-je, j’y ai passé une grande partie de ma jeunesse, de 1953 à 1962 ; mon père était directeur de la construction dans ce département. Son visage s’illumina. Si près de lui, je fus frappé par la ressemblance avec le général de Gaulle. Son physique d’abord, mais aussi un certain mimétisme. Il me confia alors ce souvenir étonnant : « Au printemps 1970, après avoir quitté ses fonctions, le général de Gaulle me fit part de son intention de se rendre en Espagne. Il voulait visiter Madrid, voir l’Escurial, passer quelques jours dans un hôtel tranquille. Madame de Gaulle souhaitait, pour sa part, se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Roncevaux. Ils avaient l’intention de faire une halte dans le Lot, mais ne souhaitaient pas descendre au Château de Mercuès qu’ils connaissaient déjà. Il me demanda si, par hasard, je n’en connaitrais pas un autre aussi « tranquille et discret ». Je lui répondis : « Mon général, le « Château de Roumegouse », appartient à un membre de ma famille. C’est un excellent hôtel près de Gramat et Rocamadour, qui n’a que quinze chambres et un grand parc magnifique clos de murs. Le Général en parla à madame de Gaulle qui fut d’autant plus satisfaite de ce choix que le château se trouve précisément sur la route du pèlerinage de Compostelle. Le 3 juin, le Général, madame de Gaulle et le colonel Desgrées du Loû, traversèrent la France dans le plus grand secret à bord de leur célèbre DS. Le couple présidentiel se déclara très satisfait de leur séjour au « Château de Roumegouse » et poursuivit son périple dont la presse ne rendit compte que plus tard. Quelques kilomètres après avoir quitté Gramat, le chauffeur s’arrêta à un passage à niveau fermé. La garde-barrière reconnut le couple présidentiel. Très émue, alors que la sonnerie retentissait encore, elle releva la barrière pour permettre à la voiture de passer. Le chauffeur démarra et, à une fraction de seconde près, traversa la voie au moment où le train arrivait. Madame de Gaulle eut très peur ; le Général se contenta d’un « Oh ! ».

Le général de Gaulle, à son retour d’Espagne, raconta à Pierre Lefranc cette étonnante rencontre avec le destin. Pierre, en me contant cet incident, qui ne figure dans aucun récit, pas même dans l’importante biographie de Jean Lacouture qui, en page 777 du troisième volume, fait seulement état de la halte au Château de Roumegouse, ajouta qu’à sa connaissance, la garde-barrière ne s’était jamais remise de ce qui avait failli se passer ce jour-là.

A l’Ecole militaire, si riche en hautes personnalités, Pierre Lefranc était un « camarade » particulièrement écouté et respecté pour son passé et sa grande culture. Toujours très élégant, avec sa petite moustache qui avait blanchie, il était amical, attentionné, mais il n’était jamais familier. Contrairement aux usages dans cette institution, il ne tutoyait que ses camarades de session. Au comité directeur, dans les réunions de commissions, tout le monde l’appelait « Monsieur le préfet ».

Qui était Pierre Lefranc ? Il n’avait que 18 ans, le 11 novembre 1940, quand il fut arrêté sur les Champs-Elysées au cours de la célèbre manifestation de lycéens et d’étudiants contre l’occupation allemande. Libéré quelques mois plus tard, il passe en zone libre où il rejoint le mouvement de résistance Combat. Décidé à se rendre à Londres, il commença par faire un séjour dans les prisons de la Guardia civil en Espagne. Admis à l’Ecole militaire des cadets de la France libre, qui forme les officiers, l’aspirant, Lefranc est, à la sortie, affecté au BCRA, le service secret de la France libre. En août 1944, il est parachuté dans l’Indre, département dont il sera plus tard le préfet, avec pour mission d’aider les maquisards à harceler les troupes allemandes qui remontaient du Sud-ouest vers la Normandie. Pierre Lefranc terminera la guerre dans le service de presse de la 1ère armée française, que commandait le général de Lattre de Tassigny. Toujours dans l’ombre du Général pendant que durât la IVèmeRépublique, Pierre Lefranc fut nommé en 1958, chef de cabinet du nouveau président du Conseil, Charles de Gaulle. Au cours des premières années de la Ve République, il fut, comme chargé de mission puis conseiller technique, l’un des proches collaborateurs du chef de l’Etat.

Le gaullisme, pour Pierre Lefranc, c’est avant tout le respect d’un certain nombre de principes fondamentaux : la défense de l’indépendance nationale et de l’identité nationale, la séparation réelle des pouvoirs, la prédominance de l’exécutif sur le législatif à travers la personne du président de la République élu au suffrage universel direct. Le gaullisme, c’est aussi la capacité de dire « non » dans certaines circonstances.

En 1971, il participa à la création de l’Institut Charles-de-Gaulle qui deviendra une fondation. Il en fut, un temps, le secrétaire général et le vice-président avant d’en être le président d’honneur. Il a présidé, jusqu’à son décès, l’Association nationale d’action pour la fidélité au général de Gaulle. En 1973, quand Georges Pompidou accepta l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, à laquelle de Gaulle s’était toujours refusé, il prit ses distances avec des « gaullistes » qui, à ses yeux, s’étaient éloignés du gaullisme. Sa nostalgie et  son amertume furent grandes. Un « gaulliste de conviction » ne transige pas.

En 1974, c’est tout naturellement qu’il participa à la 27ème session de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale et adhéra par la suite à l’association des auditeurs. Il se faisait de cette institution une très haute idée. La confrontation des points de vue des officiers supérieurs appelés aux plus hautes fonctions, des hauts fonctionnaires et des représentants de la société civile était, à ses yeux, d’une grande richesse. Il regrettait cependant « le peu d’usage fait par les gouvernements successifs de cet exceptionnel centre de réflexion ».

Pierre Lefranc était Grand Croix dela Légion d’honneur et de l’Ordre national du mérite, Croix de guerre 1939-45 et médaillé dela Résistance.

 

 


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