« Nos amis Allemands » (suite)


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Rendre l’Allemagne responsable de tous les maux n’a aucun sens. Reprocher continuellement à Angela Merkel d’être inflexible sur la discipline budgétaire et le respect du traité et de manquer à ses devoirs de solidarité européenne est abusif. La Chancelière a fait de nombreuses concessions – discrètes, souvent tardives – pour ne pas inquiéter son électorat. Que des erreurs d’analyse économique et d’évaluation des politiques aient été faites est une autre histoire. Que des politiques de diminution brutale des dépenses publiques aient empêché le retour de la croissance, c’est probable. Que ce fut un grand tort de ne pas lancer le grand plan d’investissement préconisé, en son temps, par Jacques Delors, fut une erreur, c’est certain. Que la politique monétaire de la BCE, qui a pour mission de contenir l’inflation, ait contribué à conduire l’Europe au bord d’une déflation dont elle aura beaucoup de mal à sortir, c’est un constat.

Mario Draghi
Mario Draghi

Mario Draghi s’efforce d’y remédier en employant des méthodes  » non conventionnelles « . La décision a ainsi été prise de consentir des méga prêts aux banques de la zone euro. Ces  » targeted long-term refinancing operations « , ou TLTRO ont pour but d’améliorer le financement des entreprises. Les banques pourront emprunter jusqu’à 400 milliards d’euros sur quatre ans au taux très avantageux de 0,15 %, dans la limite de 7 % de leur encours de crédit aux ménages et entreprises (hors immobilier). Ce n’est pas la première fois que la BCE procède de la sorte. Fin 2011 et début 2012, c’était pour éviter le krach qui menaçait la zone euro et fournir des liquidités aux établissements qui refusaient de se prêter entre eux.

Cependant, la politique monétaire ne sera pas suffisante. Les gouvernements doivent prendre des mesures de relance et encourager l’investissement privé. A cet égard, la proposition de Jean-Claude Juncker, prochain président de la Commission européenne, de lancer un grand plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur trois ans, laisse espérer un changement d’orientation. Reste encore à définir les projets qui seront ainsi financés.

Sur la façon de relancer l’économie, les avis divergent. L’Allemagne et les pays du nord de l’Europe privilégient la discipline budgétaire et les réformes structurelles alors que la France -et l’Italie -, demandent une application plus  » flexible «  du traité de stabilité et de croissance.

Il y a un débat en Allemagne sur la nécessité ou non de relancer les investissements. Un certain nombre d’économistes, de syndicats et d’entreprises réclament cette relance. La coalition SPD – CDU y serait favorable si c’est le secteur privé qui finance ces investissements. Pourquoi ? Tout simplement parce que le déficit zéro est gravé dans la Constitution. Les deux pays n’ont pas la même conception des moyens à mettre en œuvre pour sortir l’Europe de la crise.

Le 20  octobre, les ministres des finances, Michel Sapin, et de l’économie, Emmanuel Macron, étaient à Berlin pour un échange avec leurs homologues allemands, Wolfgang Schäuble et Sigmar Gabriel sur la situation économique de la zone euro et la mise en œuvre du programme d’investissement européen que préconise le prochain président de la Commission, Jean-Claude Juncker.

Wolfgang Schäuble, Sigmar Gabriel, Michel Sapin, Emmanuel Macron à Berlin le 20 octobre
Wolfgang Schäuble, Sigmar Gabriel, Michel Sapin, Emmanuel Macron à Berlin le 20 octobre

La demande formulée par M.  Macron :  »  50  milliards d’euros d’économies chez nous, 50  milliards d’investissements publics chez eux », avait peu de chance d’être entendue. Le nouveau tandem français en était conscient. « On ne fait pas en quelques mois les réformes qu’il aurait fallu faire depuis vingt ans ! » De leur côté, les Allemands admettent qu’ils doivent stimuler les investissements, mais M.  Schäuble répond : Nous ne voulons pas de croissance à crédit  « .

Cependant, le discours que tient M. Macron plait aux Allemands. Il est là pour les rassurer sur les intentions de la France et faire en sorte que les Européens regardent dans la même direction.  »  Le rêve européen est encore possible, mais il passe par des efforts (…)Rénover, moderniser, c’est la condition pour recréer la confiance chez nous et chez nos partenaires, qui nous voient comme un pays qui se rétracte.   » Ces propos sont accueillis avec une certaine bienveillance, mais les Allemands exigent des preuves. Ils sont agacés, impatients, mais ils sont réalistes et veulent sauver l’Europe. Ils tendent donc la main à la France ; ce qu’ils n’avaient pas fait avec la Grèce, l’Espagne, et l’Italie. Le gouvernement allemand ne veut pas laisser la France seule face à la Commission européenne dans ce moment difficile », mais la chancelière Angela Merkel fait très attention. Elle ne veut pas donner l’impression d’accorder à la France ce qui avait été refusé aux autres pays de la zone euro, qui, tenus à l’écart, observent ce nouvel accord franco-allemand et n’en pensent pas moins. Ce qui n’est jamais très bon pour l’unité de la zone euro. Les autres pays comptent sur la Commission européenne pour rétablir la justice, mais ils savent aussi que rien n’avancera en Europe sans un nouvel accord franco-allemand.

Inutile de se faire trop d’illusions, l’Europe, dans son ensemble, et la France en particulier auraient surtout besoin d’un grand plan d’investissement européen. Une augmentation de la consommation et des investissements publics en Allemagne seulement, pour un montant de 1  % de son produit intérieur brut (PIB) par an en  2015 et 2016, soit 60  milliards d’euros au total, ne valoriserait le PIB français que de 0,11 point. Comme l’agence de notation américaine Standard &  Poor’s, le FMI pense qu’une hausse des dépenses publiques chez nos voisins Allemands n’aurait qu’une faible incidence sur notre activité économique. Il n’en reste pas moins que ce serait un signal de nature à rétablir la confiance.

En attendant, il est vain de répéter sans cesse « C’est la faute de l’Allemagne ». Le gouvernement français a des réformes à faire, il doit les faire ; à son rythme, mais il doit les faire. L’Allemagne l’y aidera, parce qu’elle a tout intérêt à avoir près d’elle une France prospère. Les deux pays présenteront, avant le conseil franco-allemand prévu le 1er  décembre, un document commun qui contiendra des mesures ambitieuses, peut-être même plus ambitieuses encore que celles du prochain président de la Commission, M. Juncker.

Sept ans après le début de la crise économique mondiale, la France donne l’impression de parler pendant que l’Allemagne agit. L’Allemagne triomphante, l’Allemagne « modèle », l’Allemagne donneuse de leçons agace. La France « malade », incorrigible, incapable de se réformer, bloquée, pleurniche, n’a plus confiance en elle et inquiète ses partenaires. Les choses ne sont cependant pas aussi simples. L’Allemagne a aussi des faiblesses (un manque d’investissements publics et privés, une population vieillissante), des doutes sur la viabilité à long terme de son modèle. Dans un livre qui fait grand bruit ces derniers jours, « L’Illusion allemande », Marcel Fratzscher, président de l’Institut allemand de recherche économique (DIW), conteste l’idée que l’Allemagne serait en bonne santé économique. La politique d’austérité aurait fait des dégâts. L’auteur soutient que « La déflation ne vient pas d’un coup mais entreprise par entreprise, secteur par secteur ». La presse fait écho à ses travaux : « En dépit d’une façade brillante, le cœur même de l’économie de l’Allemagne s’effondre », écrit par exemple « Der Spiegel ». Il est trop tôt pour porter de tels jugements. Le passage difficile de l’économie allemande n’a peut-être que des causes conjoncturelles comme les difficultés rencontrées par les autres pays de l’Union européenne (exportations), le ralentissement de la croissance des pays émergents – notamment de la Chine – et les conséquences de l’embargo russe et de la crise en Ukraine.

"L'illusion allemande" de Marcel Fratzscher
« L’illusion allemande »

Discrètement, l’Allemagne étudie les moyens d’y remédier et de  » soutenir l’investissement «  en utilisant les marges de manœuvre budgétaires dont elle dispose, sans pour autant déroger à son équilibre budgétaire. Comment  » inciter le capital privé à investir dans des infrastructures publiques  » ? Telle est la question sur laquelle planchent les économistes et représentants patronaux et syndicaux.

La France, de son côté, a des atouts qui, un jour ou l’autre, prévaudront quand notre pays sera sorti de ses contradictions. Une réduction de la dépense publique de 1% a un effet négatif sur la croissance de 1%. Il faut trouver un équilibre entre la réduction de la dette et la stimulation de la croissance. Ce n’est pas facile, comme dirait le chef de l’Etat !

Ces jours derniers, Joschka Fischer, l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, a exprimé son inquiétude sur l’avenir de la solidarité européenne ». Une «  Europe allemande » ne sera pas acceptée. Il considère que le dédain affiché par certains commentateurs allemands est dangereux et n’hésite pas à mettre en garde : « Ce n’est absolument pas dans l’intérêt de l’Allemagne que nous adoptions de nouveau un rôle de quasi-hégémonie, cette fois-ci pas militaire ni politique, mais économique. »

Sur le plan international, l’absence de Mme Merkel à la récente Assemblée générale de l’ONU – elle n’y est allée qu’en 2007 et en 2010 – a été très commentée. Fallait-il y voir une certaine réserve à l’égard de l’engagement de la coalition contre l’Etat islamique (EI) ou plus probablement une posture pour exprimer le mécontentement de l’Allemagne qui réclame depuis longtemps une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies dans lequel elle estime qu’une place lui est due ?

L’Allemagne affirme qu’elle  » prend toute sa part «  dans cette coalition, mais en fait, elle ne livre que des armes aux Kurdes irakiens et n’apporte qu’une aide humanitaire. Elle serait d’ailleurs bien incapable de participer à des frappes aériennes. Le général Volker Wieker, a récemment révélé devant la commission de la défense, que la plupart des équipements de la Bundeswehr était inutilisable. Les sept instructeurs allemands qui devaient former les Kurdes ont mis près d’une semaine pour rejoindre le nord de l’Irak.

Le patron d’Airbus, Tom Enders, se montre, dans le même temps, très critique sur la politique de défense de son pays. « Dans aucun autre grand pays européen que l’Allemagne, il n’existe un tel antagonisme entre les industriels de défense et les politiciens », vient de déclarer le président d’Airbus Group lors d’une conférence sur la sécurité organisée par le quotidien allemand Handelsblatt. Il se fait même plus précis quand il ajoute : «  En maintes occasions, il a été suggéré que les façons de voir allemandes pourraient et devraient simplement s’appliquer au reste de l’Europe. » C’est Sigmar Gabriel, le vice-chancelier et ministre de l’économie qui est visé. Des décisions récentes ébranlent dangereusement la coopération franco-allemande qui découle des accords « Debré-Schmidt » des années 70. « A la fin, l’Allemagne va s’isoler un peu plus », déplore Tom Enders.

Face à une situation d’une extrême complexité, la coopération entre Français et Allemands demande beaucoup d’intelligence, de réflexion et d’efforts partagés. Dans le passé, les responsables politiques de ces deux pays ont toujours réussi à se rapprocher pour trouver des solutions. Nous avons le devoir d’être optimistes

 


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