Munich, le 5 septembre 1972


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Les travaux du village olympique étaient bien avancés quand j’ai emmené des journalistes, banquiers, et entrepreneurs de bâtiment à Munich le 17 février 1972. Les Allemands de l’ouest, qui voulaient faire oublier les Jeux de Berlin en 1936, faisaient de cet événement, la vitrine de leur réussite économique. Ils avaient confié aux meilleurs architectes du moment la conception et la réalisation du stade, de la tour de 290 mètres de haut – l’Olympiaturm- et du village sur un terrain situé à 4 km de la ville. De toute part on venait voir le chantier, les prouesses techniques, les technologies employées. Je me souviens qu’il régnait dans la ville, à l’hôtel Bayerischerof, où nous étions descendus, dans les rues, une joie qui faisait oublier, à ceux de ma génération, les images de Munich pendant les jours sombres du nazisme. Toutes les conditions paraissaient réunies pour que les XXème Jeux olympiques soient un grand succès. L’organisation allemande ne laissait place à aucune incertitude.
Dans la nuit du 5 septembre, un commando de l’organisation palestinienne Septembre Noir, du nom du massacre de la résistance palestinienne par l’armée du roi Hussein de Jordanie, s’introduit dans le Village Olympique, force l’entrée du pavillon israélien, abat deux athlètes et en prend neuf autres en otages. Vingt et une heures plus tard, tous seront morts et 900 millions de téléspectateurs auront découvert en direct le nouveau visage du terrorisme à l’extérieur du Moyen Orient. Munich, le film de Steven Spielberg, sorti ces jours-ci, raconte les conditions dans lesquelles Golda Meir monta une opération de représailles sans précédent.
Trente quatre ans après, les Palestiniens poursuivent leur errance et pratiquent le terrorisme pour exister et exprimer leur désespoir. Comment assurer la sécurité d’Israel et donner un territoire viable à la nation Palestinienne ? La Communauté internationale n’a pas été capable, même après la chute de l’Union soviétique, de régler le conflit dans la dignité. Laisser l’Etat d’Israël régler seul le problème, par ses propres moyens – les bons et les mauvais – relève de l’irresponsabilité. Les extrémistes, tant chez les Israéliens que chez les Palestiniens, peuvent continuer impunément à faire obstacle au Processus de Paix et à déstabiliser l’ensemble du Monde occidental sur lequel les terroristes font pression par la violence. Le 11 septembre, qui a traumatisé le Monde entier, n’a été que le prolongement du 5 septembre 1972 par d’autres moyens.
Il se trouve que deux ans après le voyage que j’avais organisé au Village olympique de Munich, je me suis rendu à Beyrouth, à l’invitation d’un de nos actionnaires, un riche commerçant libanais. Il était venu m’attendre à l’aéroport, avec Mercedes et chauffeur, pour me conduire au Phoenicia, le grand hôtel Inter-continental en bord de mer. Je me souviens qu’en traversant les camps de Sabra et Chatila, je lui avais posé des questions auxquelles il n’avait répondu que très vaguement. La « Suisse du Moyen Orient », comme on appelait alors ce pays heureux et très occidentalisé, avait honte de ces camps occupés par des déracinés qui vivaient dans des conditions épouvantables. J’ai passé trois jours inoubliables dans ce pays. La vie y était heureuse. La veille de mon départ, j’avais dit à monsieur Pringuey, le directeur général de la Banque de Syrie et du Liban, filiale de la Banque de Paris et des Pays-Bas à laquelle appartenait également mon entreprise, que je ne voulais pas partir sans avoir vu Baalbeck. Il avait tout fait, en vain, pour me décourager. Il ne voulait pas, sans me le dire franchement, que j’aille seul, avec un collaborateur juif marocain, me promener dans les ruines et le village occupés par des hommes du Hezbolha en armes. La vallée de la Bekaa, véritable supermarché de la drogue, n’avait pas bonne réputation mais, en février 1974, les Monts du Liban enneigés étaient magnifiques et la visite s’est bien passée. J’ai bien fait d’y aller ; dans l’après-midi du 13 avril 1975, commençait une épouvantable guerre civile. La place des Canons, lieu de rendez-vous des libanais, devint une ligne de démarcation entre Beyrouth-est, tenue par les Phalanges, et Beyrouth-ouest tenue par les Palestiniens et leurs alliés. Cette ville, où il faisait si bon vivre, devint au fil des mois, un champ de ruines. La ville a été reconstruite par Rafick Hariri mais la paix n’est pas revenue. Les hommes du Hezbolha, occupent toujours Baalbeck et la Bekaa ; avec l’appui des Syriens, ils font toujours régner la terreur et les Américains, qui étaient convaincus qu’ils détenaient la solution avec leur projet de Grand Moyen-Orient, commencent sérieusement à en douter.
Raymond Aron disait, à propos de la guerre froide, qu’il fallait se faire à l’idée qu’il y a des problèmes qui n’ont pas de solution. Il faut malheureusement craindre que ce soit vrai aussi dans cette région du monde.


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