« Le temps de l’alternative »


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Pendant que les Gilets jaunes manifestent pour la 14e fois depuis le 17 novembre, je viens de lire un essai politique de grande qualité publié, en accès libre, sur le site http://alternativelelivre.fr, par un « citoyen engagé », ainsi qu’il se présente sur le site. À toutes les époques, des intellectuels ont, de cette façon, publié le résultat de leur « remue-méninges ». Le « citoyen engagé », qui nous livre ses réflexions, a, malgré son jeune âge, une vaste expérience de la politique, de la gestion de l’État, du monde de la finance, de l’entreprise et de l’international. Dans « Le temps de l’alternative », c’est donc, avec une vision globale, que le « citoyen » décrit, avec talent, l’état dans lequel est actuellement l’économie mondiale, l’Europe, la démocratie et, en particulier, la gestion de la France. Il ne se contente pas de dresser un constat ; il avance cinq propositions qui devraient, je l’espère, faire leur chemin.

Le lecteur ne sort pas indemne de la lecture de cet essai. Les critiques formulées sont autant de coups de poing qu’il ne peut esquiver. Les faits, les arguments, troublent le lecteur, dérangent les idées reçues, bousculent la pensée unique. Le néolibéralisme, en particulier, est chahuté. Le lecteur sort KO de cet essai. Les propositions sont intelligentes, argumentées. « C’est un grand tort d’avoir raison trop tôt », disait Edgar Faure ! C’est souvent le destin de ces essais. Certaines critiques peuvent paraître un peu exagérées ; certaines propositions, utopiques, mais elles méritent d’être étudiées sans préjugés, au moment où la promesse d’Emmanuel Macron, la « révolution » qu’il s’engageait à mener à bien, perd de sa crédibilité.

Extrait :

Emmanuel Macron, candidat autoproclamé du « nouveau monde », promit, pour restaurer la souveraineté des Français sur leur destin, de « transformer » la France en la remettant « en marche », et de changer l’Europe. La déclaration d’intention était prometteuse. Mais une fois au pouvoir, il reprend le mantra de la « réforme » récité par les gouvernants depuis trente ans. Ce glissement de la transformation vers la réforme, les Français en connaissent parfaitement le sens : « réformer », c’est céder au cours des choses ; « réformer », c’est payer plus et recevoir moins ; « réformer », c’est abdiquer devant l’ordre néolibéral.

Trente ans, de 1988 à nos jours, où le lien entre la société et le corps politique, le peuple et les gouvernants, auraient eu besoin d’être plus féconds que jamais pour traverser un moment de bascule historique qui voit les représentations du monde ébranlées, les cartes de la puissance redistribuées, et les vies humaines éprouvées. Mais, au contraire, les Français, comme d’autres peuples, se sont sentis dépossédés de leur souveraineté au profit d’intérêts lointains, essentiellement financiers, et d’organisations technocratiques, qui, en conclave avec les gouvernants, paraissent forcer le cours des choses.

À l’origine, le projet libéral entendait fonder la démocratie dans l’équilibre entre la liberté des personnes, la liberté d’entreprendre et la liberté d’échanger. Ses fondateurs étaient des humanistes. Mais le libéralisme a été dévoyé. L’idée s’est imposée que toutes les aspirations collectives pouvaient être satisfaites et tous les problèmes individuels résolus par l’expansion continuelle de l’économie de marché mondialisée. Cet ascendant pris par la tendance la plus mercantile du libéralisme a été décuplé par le jaillissement des nouvelles technologies et la numérisation du monde. Le profil du consommateur et ses désirs ont été substitués aux droits de la personne et à ses aspirations. L’alliance entre le marché sans limites et la technologie sans conscience exproprie sournoisement les peuples de leur droit à disposer d’eux-mêmes : « un système de libertés sans démocratie a pris le dessus ». Le projet libéral ainsi perverti est un avorton idéologique, le néolibéralisme, que les gouvernants laissent s’imposer alors que les peuples ne l’ont jamais approuvé.

Pendant que le commerce des choses se déploie sans fin, le lien entre les hommes s’affaiblit et les peuples se désagrègent. Les obsessions identitaires et communautaristes déstructurent les relations sociales. Le projet cosmopolitique est remisé – qui croit encore à la paix universelle ou au désarmement global ? La Terre elle-même, responsabilité « inappropriable » de tous les humains, est menacée d’effondrement. L’humanisme est sous l’éteignoir.

Dans le même temps, la politique a été abaissée au rang d’un divertissement confus, souvent violent, sans cesse plus vulgaire, qui laisse l’impression que tout se vaut. Et si tout se vaut, l’engagement est vain, et la République est vide.

Assurément, la construction de l’avenir commun échappe au cadre des institutions démocratiques, et la possibilité même d’une délibération civique s’efface. La politique ne semble plus être le lieu central où s’élabore, se décide et se construit l’avenir de la condition humaine.

En dépit du bouleversement du printemps 2017, le délitement de la vie politique française s’accélère. L’irruption flamboyante d’Emmanuel Macron, dont le coup d’éclat permanent est la marque de fabrique, a dépoussiéré la scène, mais précipité la décomposition des partis républicains traditionnels, et achevé leur marginalisation. Ils n’inspirent aux Français pas plus de confiance, si ce n’est moins, que les extrêmes. Ces derniers, qui exploitent des fonds de commerce aussi datés que leurs dirigeants, en font recette malgré la toxicité de leurs idéologies et l’absurdité de leurs « remèdes ». Leur accession au pouvoir condamnerait la France à l’autoritarisme, à la discorde, à la haine. Aucune force politique nouvelle, capable de réaliser une véritable alternance démocratique, ne s’est constituée à ce jour. La configuration actuelle de la politique française est périlleuse. Nulle démocratie ne peut exister sans opposition effective.

Depuis trente ans, nos gouvernants promettent : « une remise à plat fiscale », voire même « un Big-Bang » fiscal. Rien n’a été fait, sauf augmenter les impôts et creuser le déficit tout en réduisant les moyens de l’État.

Dans les faits, la situation est devenue plus injuste que jamais. L’explication, qu’étrangement aucun acteur politique de premier plan ne donne, se trouve dans les chiffres publiés par le ministère du budget. En 2011, l’impôt sur les sociétés rapportait près de 44 milliards d’euros, un montant équivalent à un tiers de la collecte de TVA. Aujourd’hui, l’impôt sur les sociétés équivaut à moins d’un sixième de la TVA. Sur la même période, les recettes de l’impôt sur le revenu augmentaient de 38,5 %, passant de 52 à 72 milliards. La charge du financement de l’État a été transférée massivement sur les ménages.

Nous sommes ainsi parvenus à une fiscalité absurde et insoutenable. Le tout est d’autant plus aberrant que les évolutions fiscales des dix dernières années ont abouti à un appauvrissement de l’État, et, de fait, à une réduction de sa capacité à agir pour le bien commun.

Face à cela, le seul choix que propose le gouvernement comme l’opposition, est de continuer la politique du rabot. Preuve en est que dans le cadre du #Granddebatnational, Emmanuel Macron ne cesse d’inviter les Français à choisir les services publics dont ils doivent se passer !
Quoi de plus ubuesque et pourtant d’aussi prévisible que les remontrances de la cour des comptes, qui fait remarquer à l’exécutif que son objectif de réduction des dépenses est incompatible avec des mesures sociales pourtant nécessaires.

Je fais une proposition différente : remplacer tous les impôts et prélèvements (y compris l’impôt sur le revenu, sur les sociétés, la TVA, la TIPP, etc.) par une seule contribution universelle de 4 % assise sur tous les paiements nationaux. Ces derniers représentent selon la Banque de France 27.000 milliards d’euros en 2017 (paiements scripturaux). Un prélèvement de 4 % est à même de couvrir tout le budget de la nation, protection sociale et collectivités territoriales incluses, qui s’élève à environ 1,2 milliard d’euros. Cette proposition est détaillée dans Le temps de l’alternative page 39 et suivantes.

Notre « citoyen engagé » n’était pas né en 1970 quand Jean Jacques Servan-Schreiber publia « Ciel et terre », un manifeste dans la ligne d’une pensée économique qu’il avait déjà développé dans « Le défi américain ». Dans cet ouvrage, il évaluait les conséquences prévisibles de l’importance que prenaient de grandes sociétés internationales qui commençaient à dominer le marché mondial. Les GAFA n’existaient pas, il prenait surtout l’exemple d’IBM. Il dénonçait la « théologie » de la croissance et réclamait le retour du politique dont le rôle est de permettre à l’homme d’échapper aux fatalités économiques, à la « nature des choses ». Son manifeste proposait des solutions pour passer de la résignation au volontarisme et dépasser le dilemme « réforme ou révolution », en proposant des réformes globales capables de produire des changements qualitatifs. Le chapitre sur « la fin du pouvoir privé héréditaire dans les entreprises » avait particulièrement frappé l’opinion. Sur le cas de la France, il insistait dans son livre, sur ses chances propres dans le domaine économique et sur une meilleure utilisation de son capital culturel.

En résumé, je recommande vivement la lecture de cet essai, très bien écrit, dans un style non dépourvu d’une élégante force de provocation nécessaire pour bien nommer les choses.


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