Le sens des mots


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Barricadé, protégé derrière les hauts murs de la Constitution que le général de Gaulle a voulue pour le redressement de la France en 1958 – et que le peuple français avait approuvé à 80 % lors du référendum de 1958, Emmanuel Macron est déterminé à poursuivre le même but, aujourd’hui, malgré la vive opposition qui s‘exprime dans le pays.

Pugnace, le président de la République ne doute jamais ! « Je n’ai pas de regret, moi, je vis de volonté, de ténacité ». « Quand on gagne un vote, c’est une victoire, pas une défaite ». D’ailleurs, « Lundi, il a été montré qu’il n’y avait pas de majorité alternative ». Où est le problème ? La réforme est « nécessaire » pour assurer l’équilibre du régime par répartition. C’est « l’intérêt supérieur de la nation », n’en déplaise aux irresponsables et aux syndicats qui refusent tout compromis ! Financer les retraites par le déficit, c’est NON, « mettre la poussière sous le tapis, comme l’ont fait mes prédécesseurs, c’est NON ». Il assume. « S’il faut endosser l’impopularité aujourd’hui, je l’endosserai », assène-t-il. Le seul regret qu’il daigne exprimer, c’est de ne pas avoir réussi à convaincre les Français de le nécessité de cette réforme. « Nous n’avons pas réussi à partager la contrainte, ou plus exactement la nécessité, de faire cette réforme ».

Comme c’est souvent le cas avec Emmanuel Macron, des mots échappent à sa volonté de maîtriser sa parole. « Ni les factieux, ni les factions », une expression employée par François Mitterrand en 1988, a été très commentée, contestée. Elle était sans doute maladroite, comme son allusion à l’assaut du Capitole et à des bâtiments gouvernementaux à Brasilia. Comparer des manifestants français jusque-là pacifiques, qui ont le droit d’exprimer leur mécontentement, avec des activistes proches de Trump, notoirement fascistes et ultra-minoritaires, était une faute, même si certaines pancartes sont inquiétantes.

La veille, déjà, devant les parlementaires de sa majorité relative, le président avait dit : « la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus », « les meutes ne l’emportent pas sur les représentants du peuple. » (Propos rapportés !)  Il y a chez lui, un besoin d’en découdre, qu’il ne parvient pas toujours à masquer !

Un sondage Harris interactive, réalisé dans les heures qui ont suivi l’intervention du chef de l’État au journal télévisé de 13 heures de TF1 et France 2, révèle que ceux qui ont voté Macron au premier tour de la Présidentielle, lui maintiennent leur confiance, que 2 Français sur 10 approuvent le recours à la violence dans les manifestations, que l’intervention d’Emmanuel Macron va probablement renforcer les manifestations, pour 47 % des personnes interrogées et calmer les manifestations, pour 40 %, d’entre eux.

Ce n’est pas la guerre, mais les mots échangés par les forces en présence, sont comme des balles au sens appauvri. « Les Français », « la foule », la « légitimité », « la légalité », le déni », la « démocratie », la « victoire », la « défaite », la « crise politique », les appels à la « destitution » du chef de l’État et à la démission d’Élisabeth Borne, aux cris « d’imposteurs, d’assassins », le « mépris », « l’arrogance du chef de l’État », le « chaos », le pays est en « révolte » !

L’élection présidentielle et les Législatives ne sont pas purgées. Il y a dans l’air un climat de revanche, d’humiliation, de règlement de comptes qui s’exprime avec de plus en plus de violence verbale et physique. Le débat public se dégrade à vue d’œil.

Les chaînes d’information en continu ont une part de responsabilité dans cette inflation de mots et dans les commentaires, les « partis pris » mal maîtrisés. La France n’est pas une dictature. Nous ne nous dirigeons pas vers le fascisme. Les Français ne vont pas mourir au travail parce qu’ils travailleront progressivement deux ans de plus. Il semble qu’il y ait un certain plaisir, une griserie, à abuser, à surenchérir dans les mots et les images, qui inquiètent.

Dans ce climat très lourd, les Sages ont du mal à se faire entendre. Historiens, politologues, hauts fonctionnaires techniciens des institutions, professeurs de droit constitutionnel, ont des choses à dire, pour redonner du sens aux mots, « remettre l’église au milieu du village ».

Jean-Marc Sauvé, Secrétaire général du gouvernement de 1995 à 2006, vice-président du Conseil d’État de 2006 à 2018, un des principaux spécialistes du fonctionnement des institutions, a, récemment, donné au journal L’Opinion, sa part de vérité sur l’étrange période que nous traversons.

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum : c’est l’article 3 de la Constitution. Certes, le gouvernement a eu recours au vote bloqué mais un vote bloqué, c’est mieux que pas de vote du tout. Certes, les débats ont été encadrés par des délais stricts : mais c’est l’article 47-1 de la Constitution. Certes, il aurait été préférable d’avoir un vote formel plutôt qu’un 49.3. Mais qu’y a-t-il de plus démocratique que l’engagement de responsabilité et son corollaire, la motion de censure qui, si elle est adoptée, fait tomber le gouvernement ? »

Interrogé par Marie-Amélie Lombard-Latune, l’ancien vice-président du Conseil d’État précise : « Au risque du paradoxe et en dépit du discours ambiant trop unanime pour être juste, nos institutions fonctionnent correctement. Il est légitime qu’en l’absence de majorité sûre, le gouvernement lie son destin à l’adoption de la réforme. Mais, attention, on ne peut pas se contenter de dire : « Nos institutions sont résilientes. Tout va bien ». Il faut aller au fond des choses pour comprendre pourquoi une réforme si nécessaire et opérée dans tous les pays se heurte chez nous à tant d’oppositions.

Il ne fallait pas courir le risque d’un rejet en l’absence d’engagement de la responsabilité du gouvernement : car cette réforme est essentielle. Cet engagement de responsabilité est donc sage. Mieux vaut une réforme adoptée par le 49.3 que pas de réforme du tout. Le coût de l’absence de réforme, qu’il soit politique, économique ou social, serait ravageur et son impact terrible pour la suite de l’action gouvernementale. Je ne parle pas de l’international où le crédit de la France serait très atteint. »

Pour Anne Levade, professeure de droit constitutionnel à l’université Paris-I et présidente de l’Association française de droit constitutionnel, « nous sommes plongés dans une crise du modèle représentatif, de la part des citoyens, mais aussi de certains députés qui remettent en cause leur propre légitimité lorsqu’ils proposent une motion référendaire au début des travaux ou lorsqu’une députée de la Nupes déclare que la commission mixte paritaire n’a pas de mandat ». Emmanuel Macron a promis une réforme des institutions avant 2027, dans le cadre de la Ve République qui va avoir 65 ans. Mercredi, il n’a pas jugé que c’était le moment d’en dire plus. C’est dommage. Parler « printemps », expression qui lui est chère, n’empêche pas de voir plus loin ! Nombreux sont ceux – je suis de ceux-là -, qui pensent que la Constitution n’est plus adaptée aux exigences de la population. Les derniers gaullistes ne veulent pas en entendre parler. « La majorité des trois cinquièmes au Congrès est impossible à obtenir », disait ce matin le président du Sénat, invité d’Adrien Gindre sur LCI.

« J’aimerais tellement qu’il suffise de changer quelques points de la Constitution pour régler ce problème, mais la Constitution n’est pas un carcan, elle n’est qu’une partition et tout dépend parfois de la qualité des musiciens qui la jouent », disait récemment Madame Levade.

À Wimbledon, les joueurs qui sortent des vestiaires pour entrer sur le court central, ne peuvent pas ne pas lire ces mots, en gros caractères : « If you can meet with triumph and disaster and treat t’ose two impostors just the same ». C’est un passage du célèbre poème de Rudyard Kipling « Tu seras un homme mon fils » écrit en 1910 pour son fils John âgé de 12 ans. La meilleure traduction a été donnée en 1918 par André Maurois : « Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite et recevoir ces deux menteurs d’un même front ». Les sportifs le traduisent souvent plus simplement par : « La victoire, la défaite, ces deux menteurs. »

Tentons donc de relativiser !


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