Le logement en France

Partie V : Le temps de la complexité

Chapitre 1 : Le retour du social

Il était 14h20, le dimanche 18 décembre 1994, quand la nouvelle tomba sur les dépêches d’agence. « Droit au logement, avec l’aide de l’Abbé Pierre viennent d’installer 17 familles avec enfants et 26 célibataires, en tout 126 personnes dans un immeuble, situé rue du Dragon à Saint Germain des Prés, dont ils viennent de prendre possession ». L’abbé Pierre, de sa voix chevrotante, criait dans un porte-voix, au milieu de la foule qui se massait devant l’entrée de l’immeuble. « C’est ma dernière sortie parmi vous.  Ce n’est pas par plaisir, mais par nécessité, que nous occupons des immeubles. Nous savons bien que cela ne peut être qu’une solution d’attente. Nous voulons juste le relogement Nous n’acceptons pas qu’on considère comme coupables des gens qui occupent des logements vacants. Nous avons la loi pour nous. L’Abbé était ému, fatigué, mais il aimait ces situations qui le requinquaient. « Monsieur le Premier ministre, prenez ce soir l’engagement de ne pas utiliser la force publique contre nous. Quelle honte pour notre pays si les CRS devaient traîner des enfants parce qu’ils demandent un toit. » Derrière lui, Marie-Claude Mendes-France, la veuve de l’ancien Président du conseil, Alain Krivine, Jacques Higelin, Léon Schwartzenberg applaudissaient. L’Abbé, à la lueur d’une lampe de poche téléphona, avec un bi-bop,  à l’Hôtel Matignon. « Bonjour, c’est l’abbé Pierre, je veux parler au Premier ministre. » L’appareil marchait mal. La délégation partit à 17h pour l’Hôtel Matignon. Le Premier ministre qui était dans son bureau, les reçut et raccompagna l’Abbé sur le perron, comme il le faisait pour tous les hôtes de marque, après lui avoir proposé que son chauffeur le raccompagnât en Normandie, dans sa retraite d’Esteville. L’abbé Pierre déclara aux micros qui se tendaient : « Je suis rassuré, Edouard Balladur nous a promis sa bonne volonté, sans pour autant couvrir une opération illégale. Il nous a confirmé qu’il avait acquis 20 hectares sur Paris pour des réalisations. Mais, en attendant, il faut trouver des solutions. On en impose une ».

Simone Veil déclara « comprendre ce cri de révolte, ce problème douloureux et crucial du logement, quand une famille perd son logement, c’est la vie qui se défait.  On nous dira qu’on se réveille tard, qu’il faut que l’abbé Pierre pousse un coup de gueule pour qu’on agisse. Nous avons tout de même fait certaines choses, mais sans doute pas assez. » A gauche, on se déchaîna, alors que bien peu avait été fait depuis quatorze ans. Jean Glavany rappela : « Quand le ministre du Logement, Louis Besson, avait présenté sa loi en faveur du droit au logement, la droite avait combattu ce texte et Chirac et Balladur avaient voté contre. Au journal de 20 h, l’occupation de l’immeuble de la rue du Dragon fut l’événement du jour. Le lendemain, à quelques heures de Noël, Libération titrait « Les mal logés squattent la présidentielle, l’abbé Pierre repart en croisade ». « Seule la force me fera sortir », déclara l’Abbé Pierre. C’est alors que parvint la déclaration que venait de faire Jacques Chirac sur TF1, à son retour de voyage : « J’ai décidé d’engager le processus de réquisition d’un certain nombre de logements qui appartiennent à de grands groupes financiers et qui sont vides pour des raisons spéculatives ». Jacques Chirac, qui avait annoncé sa candidature à la Présidence de la République le 4 novembre 1994 sur le thème de la « fracture sociale », ne connaissait pas les textes relatifs au droit de réquisition. Qu’importe, Edouard Balladur a fait raccompagner l’Abbé en Normandie, il décida de le prendre au mot avec des mesures extrêmes comme la réquisition. Il apparut évident que cet événement entrait à merveille dans sa stratégie contre les puissants, les élites, loin des réalités, les riches égoïstes, les grands organismes spéculateurs et anonymes. C’était la déclaration d’un candidat à la prochaine élection présidentielle bien décidé à mettre « l’égalité des chances » et la lutte contre la « fracture sociale », au centre de son programme. L’occupation de cet immeuble confirmait ce que deux polytechniciens, Pierre-André Périssol et Olivier Debains lui conseillaient de mettre dans son programme en ce qui concerne le logement : une rupture avec l’immobilisme de Balladur et une complète remise en question des aides de l’Etat.

Cette déclaration prit à contre-pied la majorité et l’opposition. Elle s’inscrivait dans la stratégie de Chirac qui, pour trouver un espace politique différent de celui de Balladur, qui caracolait en tète des sondages, avait décidé de « faire du social ». Le leader communiste, Robert Hue, s’écria : « Pas lui, pas ça. S’il y a autant de sans abris à Paris, c’est parce que Chirac les a mis dehors. Pour l’Abbé et ses protégés, la surprise fut « divine ». Jean Baptiste Eyraud, le responsable du DAL, Droit au Logement, n’en croyait pas ses oreilles. Les échéances électorales aidant, les sans abris pouvaient revendiquer le droit au rêve jusqu’en mai. Il s’engouffra dans la brèche et demanda la démission du ministre du Logement, Hervé de Charette qui refusait de réquisitionner.

La presse exploita l’événement. Info Matin titra «Chirac illuminé par l’Abbé Pierre» ; Libération : «  Chirac réquisitionne l’Abbé Pierre et bat le rappel des logements vides à Paris ». Il était manifeste que, ne voulant pas subir l’événement et se laisser repasser le mistigri par Balladur, le maire de Paris décida de prendre les devants et de contre­-attaquer. Rue du Dragon, l’hôte le plus connu était Monseigneur Jacques Gaillot, devenu SDF, «  Sans Diocèse Fixe », depuis que l’évêché d’Evreux lui avait été retiré. Il s’installa dans l’appartement jadis occupé par la directrice du Cours Désir, un trois pièces dont les fenêtres ouvraient sur le clocher de l’église Saint-Germain-des-Prés. De cet appartement de « fonction », il accorda interview sur interview. « Je suis venu dormir et vivre ici pour rappeler que personne ne doit être exclu de cet immeuble. Je suis actif au sein du DAL depuis cinq ans. J’ai toujours soutenu les actions de l’abbé Pierre. J’étais au quai de la Gare, j’ai investi les immeubles de la Banque de France, de la rue du Président René Coty, c’est une longue histoire. Je suis arrivé le dimanche 18 décembre vers 19heures. J’étais au courant de l’action depuis quinze jours. La couverture de l’événement par Canal Plus confirmait que cette opération avait en effet été très bien préparée..

Le Premier ministre, Edouard Balladur, qui caracolait en tête des sondages à la fin de l’année 1994, sembla victime du syndrome de Matignon. A la fin de l’émission « 7 sur 7 », alors que tout le monde s’attendait à l’annonce de sa candidature, l’ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors, déclara qu’il ne serait pas candidat. Lionel Jospin, premier secrétaire du parti socialiste, fut donc désigné et organisa sa campagne. Il était loin d’être le favori au mois de mars 1995. Les « Guignols de l’info », l’émission satirique de Canal Plus, donna l’impression de favoriser Jacques Chirac avec le slogan : « Mangez des pommes » repris presque tous les soirs dans les meetings. Dans le même temps, TF1 soutenait clairement la candidature du Premier ministre. François Mitterrand  aida discrètement mais efficacement Jacques Chirac. Tel était l’environnement politique deux mois avant le premier tour de l’élection.

Le 23 avril, pour une surprise, ce fut une surprise. Lionel Jospin arriva en tête, au premier tour avec plus de 23% des voix, devant Jacques Chirac, 20%. Edouard Balladur, troisième, était éliminé. Le second tour, le 7 mai, ne fut pas passionnant, ce fut presque une formalité. Jacques Chirac l’emporta face à un candidat socialiste étonné d’avoir réussi un tel score. Il nomma, comme prévu, Alain Juppé, Premier ministre et ce fut Pierre-André Périssol qui s’installa au ministère du Logement. Président du groupe Arcade, polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, c’est à un professionnel qu’était confiée la difficile mission de relancer la construction en France.

Les travaux préparatoires de la commission Périssol pouvaient, maintenant que la route était dégagée, se transformer rapidement en projets de lois et de décrets. Les deux idées maîtresses de Pierre-André Périssol étaient, d’une part, de promouvoir un prêt à taux zéro distribué par toutes les banques et compréhensible par tout le monde, et d’autre part, la disparition du PAP, le prêt à l’accession à la propriété, distribué par le Crédit Foncier de France. C’est une véritable révolution qui se préparait dans ce domaine. Le nouveau ministre, et son directeur de Cabinet, Olivier Debains, conscients de la panne de ce secteur d’activité et qui connaissaient bien la promotion immobilière, étaient décidés à mettre au point des incitations fiscales importantes pour relancer efficacement l’investissement locatif.

Alain Juppé prononça son discours de politique générale le 23 mai 1995. Les projets concernant le logement occupaient une place significative. Le Premier ministre, abordant les formes d’exclusion dit ceci : «  L’absence de domicile fixe que subissent des dizaines de milliers de nos compatriotes est inacceptable. Le Gouvernement lancera en 1995 un programme de 10 000 logements d’insertion venant s’ajouter aux 20 000 logements très sociaux déjà prévus. Il ne s’agit en aucun cas de réaliser de nouveaux ghettos : les logements d’insertion doivent être un passage, une étape vers un relogement durable en HLM. La politique menée en faveur du logement permettra de libérer les capacités d’accueil nécessaires. Pour remédier aux détresses les plus immédiates, 10 000 logements d’extrême urgence devront en outre être créés dans les plus brefs délais, avec pour objectif d’être prêts cet hiver. Seule la mobilisation conjointe de l’État, des départements, des communes, des associations, des organismes constructeurs et des propriétaires institutionnels permettra de tenir un tel objectif qui suppose que soient renforcées les affectations de logements HLM à des ménages en situation de précarité et que soient dégagés des terrains ou des locaux à réhabiliter. L’État, pour sa part, mobilisera les moyens financiers nécessaires. Au-delà de ces mesures d’urgence, il nous faut concevoir et appliquer une nouvelle politique du logement.

Cette nouvelle politique devra relancer l’accession à la propriété et réorienter l’épargne privée vers le logement en encourageant l’investissement locatif. L’accession à la propriété a toujours été et reste, plus que jamais, un puissant ressort de promotion sociale, un objectif pour lequel les Français sont prêts à travailler, investir, entreprendre. Permettre aux Français d’acheter leur logement, c’est créer une dynamique dans notre société. C’est créer des emplois. C’est aussi favoriser la solidarité car l’accession à la propriété libère des places dans les logements HLM, qui doivent être réservés à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut donc réformer les aides de l’État en faveur de l’accession à la propriété pour les rendre plus efficaces.

Conformément aux engagements du Président de la République, le gouvernement mettra en place une nouvelle aide de l’État pour les ménages modestes, sous forme de prime ou de prêt à taux zéro, qui complétera l’apport personnel des accédants. Il faut aussi que le nouveau propriétaire puisse faire face à un accident dans sa vie professionnelle. C’est la raison pour laquelle le gouvernement entend, avec tous les professionnels concernés, lancer une réflexion qui devra aboutir à une nouvelle formule de prêt intégrant la garantie contre ces risques.

L’accroissement continu de la fiscalité immobilière a découragé l’investissement locatif. Pour inverser ce processus, il est indispensable de rétablir la confiance des investisseurs, notamment par un relèvement significatif de la déduction forfaitaire sur les loyers. Cette nouvelle politique illustre notre ambition de refaire du logement une activité économique majeure et de construire le droit au logement.

Troisième forme d’exclusion : les conditions de vie dans les quartiers difficiles de nos villes et de nos banlieues. Certains quartiers de nos grandes villes sont devenus des loupes grossissantes de l’exclusion. Une politique de la ville aux responsabilités, aux procédures et aux financements enchevêtrés n’a fait trop souvent qu’exacerber les tensions et les frustrations qu’on souhaitait apaiser. Il y a donc urgence à réagir. Au-delà de l’attaque frontale contre le chômage et de l’élan nouveau donné au logement d’insertion, il faut compléter le traitement social des quartiers difficiles par un traitement économique puissant et cohérent.

Pour réussir la réinsertion économique et sociale de ces zones, il faut en particulier compenser leurs handicaps par la réimplantation des services publics et par la mise en oeuvre d’un régime fiscal différencié. Cette politique n’a de sens que s’il y a complète communauté de vue et d’action entre l’État et les communes concernées car, au-delà de la réparation des cicatrices du passé, c’est la création d’un habitat et d’un urbanisme nouveau, source d’espoir et, si possible, de bonheur qu’il faut réaliser. J’ai demandé au ministre de l’Intégration et de la Lutte contre l’exclusion de préparer un programme national pour l’intégration urbaine qui concrétise cette approche nouvelle des difficultés de la ville et rende l’espérance aux habitants de nos cités et quartiers en difficulté. »

Il faut du temps pour passer des déclarations aux actes. La conjoncture ne s’améliorait que timidement. Les investisseurs privés, notamment, attendaient des mesures plus incitatives. Dans le même temps, les Allemands avaient déjà pris 50 mesures très énergiques, à « l’allemande », pour relancer la construction, alors que le gouvernement français empilait des plans successifs depuis plusieurs mois, avec plus ou moins de bonheur. Pierre-André Périssol, qui avait juré qu’après le prêt à taux zéro, il n’y aurait pas d’autres mesures, obtint l’accord d’Alain Juppé et du ministère des Finances et rendit publique l’annonce d’un dispositif d’incitation à l’investissement locatif puissant. Si « les Finances » acceptèrent ces mesures, à contrecœur, alors que l’état des finances publiques était calamiteux, c’est parce qu’elles se rendaient compte que la lutte contre l’inflation avait fait des dégâts, que les mises en chantier continuaient à chuter, que les investisseurs continuaient à bouder et que les taux de crédit ne baisseraient plus. La priorité était pourtant l’assainissement budgétaire car il était impératif de rentrer en temps voulu dans les critères de Maastricht.

Les promoteurs demandaient ces mesures depuis plus de vingt ans. Ils citaient en exemple les Allemands qui  considéraient depuis longtemps que l’investissement pour louer était une activité économique pouvant donner lieu à amortissement. Le 30 janvier, la surprise fut totale. Un plan de relance qui comportait un changement de régime de la taxation de l’investissement locatif et la possibilité d’amortir le bien destiné à la location dans certaines conditions fut annoncé. En quoi consistait ce projet ? La mesure devait permettre d’amortir 80% du prix d’acquisition d’un logement neuf destiné à la location, dès lors que cette acquisition interviendrait entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 1998. L’amortissement serait de 10% pendant les quatre premières années et de 2% pour les vingt années suivantes. Par ailleurs, les bailleurs bénéficieraient d’un relèvement de 70 000 à 100 000 francs du plafond d’imputation des déficits fonciers sur le revenu global. En cas de vente, avant la neuvième année, l’amortissement viendrait en diminution du prix de revient. Il s’agissait bien d’une mesure choc !

Au Salon immobilier du Figaro, Pierre-André Périssol fut chaleureusement accueilli par une profession qui avait retrouvé le sourire et des raisons d’espérer. Les investisseurs privés ont une longue mémoire de l’inflation. Ils savent, qu’au début d’une récession, les taux à long terme deviennent faibles pour permettre à l’activité de repartir. Ils savent aussi qu’un achat immobilier, c’est avant tout l’immobilisation d’une certaine quantité de liquidités, épargnées ou empruntées, et son affectation à un emploi durable qui apporte plus de jouissances différées qu’immédiates. Il n’existe pas de valeur absolue, de valeur intrinsèque, de valeur raisonnable d’un bien. La valeur se détermine par référence au marché. Sur le long terme, l’achat d’un logement représente trois années de revenus d’un ménage. La reprise dépendra donc du retour de la confiance, de la croissance, de la baisse des taux, de l’épargne disponible ou du produit d’une revente, de la qualité et de la quantité de l’offre, ainsi que du niveau des prix. En refusant d’acheter au delà de leur apport personnel, la demande a fait baisser les prix. Cette baisse a été d’autant plus spectaculaire qu’il n’y a pas une bourse, comme pour les valeurs mobilières, avec des institutionnels qui « ramassent » à la baisse. Le prix était devenu l’obsession des clients comme toujours dans un processus de déflation. La rare demande faisait le cours et provoquait la baisse indépendamment de la valeur économique des biens. C’est ce phénomène qui caractérise le krach, sans aucun amortisseur, et les anticipations à la baisse. Le doute s’était installé depuis 1991. Il changea profondément les comportements et déclencha des peurs inconnues depuis cinquante ans. Les prix recommenceront à monter quand la demande se manifestera à nouveau.

1996 fut, dans ce domaine, la meilleure année depuis 1990. Le marché, certes douloureusement corrigé, était redevenu normal. Les promoteurs, enfin, les survivants, se déclarèrent satisfaits mais bien décidés à prendre beaucoup moins de risques, à n’entreprendre que de petites opérations placées en grande partie avant le début des travaux et à privilégier les petites surfaces demandées par les investisseurs.

La crise était finie. Le marché, après une sévère correction, avait retrouvé une certaine fluidité, les investisseurs institutionnels revenaient et le volume de ventes augmentait significativement. Dans l’Express, Corinne Scemama écrivait le 16 octobre 1997 que : « Les Français prouvent qu’après sept ans d’attente, ils ont une furieuse envie d’acheter. La mise en vente d’une part importante du parc immobilier des compagnies d’assurances, AXA-UAP notamment, permet de satisfaire la demande. Cette fois, c’est la bonne, après des années de fausses alertes sur la fin des baisses de prix, lesquels ont continué à chuter de 30 à 50%, les prix sont maintenant stabilisés. Les acheteurs ne négocient pratiquement plus. »

En ce qui concerne le logement social, Pierre-André Périssol disposait du rapport annuel du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées dans lequel il était mentionné que les aides publiques au logement n’étaient pas à la hauteur des besoins. Ce Haut comité réclamait une loi de programmation pluriannuelle prévoyant la réalisation de 40 000 logements d’insertion par an avec le souci d’une solidarité nationale significative. Le ministre en était très conscient mais les contraintes budgétaires ne permettaient pas de faire plus pour le moment. D’autant que dans le même temps, l’Union nationale de la propriété immobilière faisait état d’une enquête dans laquelle était recensé un « parc social de fait » de 1 500 000 logements privés très bon marché. Le ministre, soucieux de cohésion sociale, décida de remettre de l’ordre dans l’attribution de logements HLM et présenta un projet de loi qui avait trois objectifs : « Transparence, égalité des chances et citoyenneté ». Ce projet prévoyait un renforcement du pouvoir des préfets dans les procédures d’attribution.

Le 21 avril 1997, le Président Chirac annonça à la télévision qu’après y avoir longuement réfléchi, il avait pris la décision d’abréger le mandat des députés. La conjoncture ne s’améliorait pas, le Premier ministre était à bout de forces et les efforts qu’il fallait faire pour tenir les engagements pris à Maastricht plombaient la croissance. Le mécontentement et l’incompréhension de la population étaient tels qu’à ses yeux, il n’y avait pas d’autre solution. Le président de la République ne voulant pas changer de Premier ministre, il décida donc de dissoudre et de prendre le risque, qui se réalisa, d’un changement de majorité et d’exposer le pays aux difficultés d’une nouvelle cohabitation.

Dans le domaine du logement, le gouvernement d’Alain Juppé aura pris des mesures énergiques, peut être trop diront certains, avec le « prêt à taux zéro » et la possibilité pour les investisseurs d’amortir un bien destiné à la location. Le logement social devra attendre des jours meilleurs.

Chapitre 2 : Repenser la ville

Comme le veut la pratique des institutions, dans le cas de cohabitation, le président de la République propose au chef de file du parti maintenant majoritaire de le nommer à Matignon. Lionel Jospin accepta et constitua un gouvernement de « gauche plurielle ». Jean-Claude Gayssot, communiste, fut nommé ministre de l’Equipement, des Transports et du Logement. Louis Besson fut nommé sous-secrétaire d’Etat chargé du Logement.

Le nouveau Premier ministre sait que l’état des finances publiques laisse peu de marges de manœuvre. Dans le cadre du « pacte de développement et de solidarité » qu’il propose au pays, dans son discours de politique générale, le logement tient en quelques lignes : « Un programme exceptionnel de réhabilitation d’un million de logements sera réalisé avant la fin de la législature. Dès cette année, les crédits nécessaires à la réhabilitation de 100 000 logements supplémentaires, dont 50 000 HLM, seront mobilisés. Au 1er juillet, le barème de l’aide personnalisée au logement sera actualisé et revalorisé ; il ne l’avait pas été depuis 1994. La taxation du surloyer dit de solidarité sera réexaminée. »

De la ville, il n’est pas précisément question dans ce discours. Le 1er juillet 1997, c’est Martine Aubry, numéro deux du gouvernement, ministre de l’emploi et de la solidarité, qui, lors d’une conférence de presse, évoque la nécessité d’une réorientation en profondeur de la politique de la ville sur la base de « politiques transversales » et fait état des réflexions en cours. Un rapport de Jean-Pierre Sueur, maire d’Orléans, intitulé « Demain la ville » appelle à une « mobilisation nationale » pour les quartiers dégradés et préconise une loi de programmation sur dix ans pour mener à bien une action d’envergure dans ce domaine, ainsi que la création d’un ministère de la ville, doté de compétences interministérielles, chargé de définir les priorités locales de la politique de la ville. Cet important rapport propose également des contrats d’agglomération négociés avec des représentants élus de la population, le rééquilibrage des services publics en direction des quartiers défavorisés, dans un souci « d’égalité républicaine » et la réaffirmation des principes de la loi d’orientation sur la ville (LOV) en matière d’habitat et de solidarité financière.

Le 30 mars 1998, Claude Bartolone est nommé ministre délégué, chargé de la Ville. Son ministère est rattaché au ministère de l’Emploi et de la Solidarité que dirige Martine Aubry. L’action en profondeur que le gouvernement entend mener à bien dans ce domaine, ne figurait pas dans le pacte de développement et de solidarité, mais la mobilisation de l’équipe gouvernementale est totale. Le 23 juin 1998, le Premier ministre installe le nouveau « Conseil national des Villes » et, dans son discours, en profite pour exprimer la «  nouvelle ambition pour la ville », de son gouvernement  et sa volonté de doter la France d’un plan à long terme dans ce domaine si complexe. Le nouveau « Comité interministériel de la Ville » annonce très vite, dès le 30 juin, des décisions qui rompent avec les pratiques discriminatoires existant jusque là et définit une « approche globale et de long terme ».

Dans le même temps, Jean-Claude Gayssot et Louis Besson profitent des congrès de l’Union nationale des HLM qui se tiennent à Lille et à Marseille, pour faire des annonces en matière de logement. Il s’agit essentiellement des dispositions relatives aux engagements du Premier ministre : Plan exceptionnel de réhabilitation d’un million de logements, dont 600 000 logements sociaux, et de la revalorisation de l’APL. A Marseille les deux ministres évoquent la nécessité d’une relance de la construction et précisent leurs intentions sur le soutien aux organismes HLM, l’évolution de leurs missions. La destruction de certains immeubles HLM est évoquée, de même que la délicate question de la mixité sociale et des logements vacants. Il faut dire que peu de temps auparavant, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, présidé par Xavier Emmanuelli, a remis au président de la République son rapport annuel dans lequel cette instance attire l’attention des plus hauts responsables de l’Etat sur le déficit de construction de logements destinés aux ménages à très faibles ressources et les contradictions de la politique dans ce domaine. Dans le rapport de l’année 1999, Xavier Emmanuelli critique vivement la forte réduction du nombre de logements à loyers bas depuis dix ans. Cet appel sera partiellement entendu, contraintes budgétaires obligent, avec l’annonce par Louis Besson de 10 000 logements ou résidences sociales destinés aux personnes en situation de grande exclusion en Ile de France avant la fin de la législature.

C’est à la fin du colloque « Habiter, se déplacer, vivre en ville », que le Premier ministre définira la « nouvelle politique urbaine ». Celle-ci, à ses yeux, repose sur trois principes : solidarité, cohérence et citoyenneté. On retrouvera ces principes lors de la promulgation de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain. Cette loi est considérée par les spécialistes comme le texte le plus important depuis la loi de répartition des compétences du 7 janvier 1983. Elle est l’aboutissement d’un grand débat national lancé en 1999 sur le thème du colloque clôturé par Lionel Jospin. Ce débat a mis en évidence la nécessité  de mettre beaucoup plus de cohérence entre les politiques d’urbanisme et les politiques des déplacements. C’est en ce sens que s’ouvre une période nouvelle caractérisée par la gestion de la complexité et la difficile pratique de la transversalité et de l’inter ministérialité qui ne sont pas une spécialité française pour employer une litote.

Repenser la ville, qu’est ce que cela signifie en 2000 ?  C’est tout d’abord rompre, comme le préconise le rapport de Jean-Pierre Sueur, avec le développement de l’urbanisation qui avait perdu de vue le sens de la cité. C’est restaurer les caractéristiques de la ville, la vraie, la « ville centre », c’est-à-dire des espaces organisés avec des logements, des commerces, des circulations adaptées, des emplois, des écoles, etc. Autant dire le contraire des cités dortoirs, des ensembles de logements trop souvent réalisés ex nihilo. La politique qui a consisté à urbaniser des espaces non équipés, peu ou mal desservis, a été une grave erreur et la négation même de l’urbanisme. L’urbanisme, ce mot si souvent galvaudé, est l’art d’aménager la ville pour y assurer, dans un cadre esthétique, la commodité, la salubrité et la sécurité. Chaque mot contient tout ce que doit comporter une ville organisée, digne de ce nom. Le passé nous avait pourtant fourni, depuis la nuit des temps, suffisamment d’exemples réussis que nous avons tant de plaisir à visiter, à découvrir ou à revoir. La cité doit être un lieu politique organisé et évolutif, pour l’échange, la circulation des flux économiques et sociaux.

Le bilan de vingt ans de politique de la ville que Jean-Pierre Sueur a dressé provoqua une prise de conscience et prépara un nécessaire débat national et les mesures qui seront prises. Le constat met en évidence à quel point les politiques de la ville ont jusque là été hésitantes, insuffisamment réfléchies, sans gestion intelligente de la complexité des données du problème qui interfèrent. La gestion de la complexité caractérise le monde moderne. Il faut donc être capable de penser la transversalité qui ne va pas de soi, qui n’est sans doute pas dans la nature humaine. Etre capable d’avoir une vue globale, de concilier et de synthétiser les compétences des uns et des autres, ne va pas de soi. Les strates de l’évolution des politiques de la ville montrent les bonnes volontés successives, les contributions à la recherche de solutions expérimentales, mais sans la vision globale qui restait à organiser dans les textes. « Habitat et vie sociale » en 1977, « Ensemble, refaire la ville », le rapport Dubedout de 1983, ont été des contributions socialistes de grande qualité, mais qui n’avaient pas suffisamment pris en compte l’équilibre entre le confort de l’habitat et la qualité des équipements, entre l’espace de vie privée et la vie en société, la participation des habitants et l’engagement des élus.

C’est l’article 55 de la loi SRU, loi de Solidarité et de Renouvellement urbain, promulguée le 13 décembre 2000, qui est le plus connu. Au nom de la mixité urbaine, de la mixité sociale et de la nécessité d’offrir un habitat diversifié, cet article stipule qu’à compter du 1er janvier 2002, les communes qui n’atteignent pas le seuil de 20% de logements locatifs sociaux devront payer une contribution et s’engager dans un plan de rattrapage pour tendre vers l’objectif de mixité sociale. Le logement social, dans l’esprit de cette loi, doit être considéré comme un service d’intérêt général. Des communes riches ne l’entendent pas ainsi. Soucieuses de leur image, elles redoutent « l’invasion » de populations immigrées à très faibles revenus et préfèrent payer pour conserver leur unité sociale. Cette disposition apparemment contraignante, et qui a tant inquiété les représentants des communes aisées, ne suffira pas, on le verra, à résoudre le problème. La résistance a été efficace.

La loi « Solidarité et Renouvellement Urbain » comporte plusieurs volets. Dans le volet « urbanisme », le texte adapte les documents d’urbanisme au nouveau contexte urbain. Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) se substitue au schéma d’urbanisme. Cet outil juridique devait permettre de mieux encadrer les plans locaux d’urbanisme qui remplacent les plans d’occupation des sols. Les PLU  présenteront le projet d’aménagement des communes qui devra définir les orientations d’urbanisme. L’innovation réside également dans la volonté exprimée de permettre aux populations concernées  de participer effectivement à l’élaboration des nouveaux documents d’urbanisme. Dans ce volet, la fiscalité de l’urbanisme est également réformée. La taxe de surdensité est supprimée.

Dans le volet habitat, le texte ne se limite pas à l’article 55 évoqué ci-dessus, il organise également une meilleure protection de l’acquéreur immobilier et du locataire et étend les compétences des Offices HLM. Enfin, il y a un volet Déplacements dans lequel on trouve une  « boite à outils » permettant aux collectivités territoriales d’élaborer une politique des déplacements au service du développement durable. A ce titre, il est prévu qu’à partir du 1er janvier 2002, les régions seront chargées d’organiser les services ferroviaires de transport de voyageurs sur leur territoire.

Derrière les réformes, les ruptures, les bonnes intentions, les discours, les débats, il y a la dure réalité quotidienne. En 1998, elle est malheureusement inquiétante. Les statistiques officielles du ministère du logement et de l’INSEE, notamment, font état d’une situation du logement en France préoccupante. Le désengagement de l’Etat dans le domaine du logement social, depuis un vingtaine d’années, se traduit par un déficit auquel il n’est pas suffisamment remédié. Les crédits prévus ne sont même pas consommés. Il n’a été construit que 287 300 logements. Dans ce chiffre anormalement bas, la construction sociale est tout simplement en déclin.

Un récent rapport de la Cour des comptes soulignait notamment que « l’organisation administrative, comme le dispositif budgétaire dans lequel se traduit la politique de la ville étaient inadaptés sur de nombreux points, ce qui expliquait largement les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des moyens consacrés par l’Etat à cette politique ».

Quant au rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, il alertait les pouvoirs publics sur le problème récurrent des personnes mal logées, le nombre croissant des logements vacants, l’habitat précaire, les conséquences sur la santé. La Fondation déplorait que le mouvement HLM ne réponde plus à sa vocation. Celui-ci considère que sa vocation et de loger les « classes moyennes ». Dans ce cas, qui doit prendre en charge les populations les plus pauvres ? Un rapport du « Groupement d’Etude et de Lutte contre les Discriminations » met en lumière les pratiques discriminatoires (état de santé, handicap, appartenance à une ethnie, etc…) en matière d’accès au logement. Un allocataire du RMI sur cinq est logé dans le secteur social, alors que cette population est exclue du secteur libre. Se pose à nouveau la question délicate de l’attribution des logements sociaux.  Jean-Claude Gayssot et son secrétaire d’Etat Louis Besson y répondront en annonçant le 7 mars 2001 un plan de relance de la production de logements sociaux

La reprise économique et l’amélioration du marché immobilier qui se dessinent, accélérèrent les réflexions sur la démolition progressive du parc de logements sociaux devenus obsolètes. Ce n’était pas une mince affaire. Les fonctionnaires du ministère du Logement n’y étaient pas favorables. Ils craignaient que ces démolitions amplifient le déficit de logements sociaux. La démolition est une opération lourde et compliquée sur le plan financier, technique et psychologique. La Caisse des Dépôts et la Fédération du Bâtiment exerçaient depuis longtemps une pression sur les pouvoirs publics qui aboutit au début des années Jospin. Louis Besson prépara un changement de doctrine qui fut rendue officielle en 1999. Le 1er octobre 2001, Lionel Jospin se rendit à Trappes pour présenter un plan en faveur des quartiers en difficulté dans lequel figurait la démolition de 30 000 logements HLM par an dans les années à venir, un programme de grands travaux ayant pour objectif de désenclaver certains quartiers et l’extension du programme de renouvellement urbain déjà décidé par le Comité interministériel des Villes.

Chapitre 3 : « Redonner de l’humanité  à ces cités »

Lionel Jospin avait toutes les raisons de penser que passer de l’Hôtel de Matignon au Palais de l’Elysée, serait dans la nature des choses. La surprise du 21 avril, suivie du triomphe de Jacques Chirac le 4 mai 2002, étaient l’occasion de constituer un gouvernement d’union nationale dont le pays avait le plus grand besoin, ne serait-ce que pour éviter, une nouvelle fois, des changements de politique dont la France souffre depuis trop longtemps.

Jacques Chirac y pensa, mais ne retint pas cette option. Il avoue dans le deuxième tome de ses Mémoires : « Je ne l’ai pas fait et ce fut probablement une erreur au regard de l’unité nationale dont j’étais le garant. » Alors, quel Premier ministre pour quelle politique ? Désireux d’être en « complète harmonie » avec son Premier ministre, le président de la République choisit un sénateur, président de région, centriste, représentant de la France profonde, fin politique, loyal, fidèle, sympathique : Jean-Pierre Raffarin. Avec lui, le Président confia le ministère de l’Equipement à Gilles de Robien et le ministère de la Ville, qui s’impose désormais, à un homme qui a la fibre sociale  et qui a fait ses preuves dans sa ville de Valenciennes: Jean-Louis Borloo.

En principe, le discours de politique générale en dit long sur l’état d’esprit du nouveau Premier ministre. Le 3 juillet 2002, Jean-Pierre Raffarin affirma d’entrée son intention de « mettre l’homme au centre de son projet et de rendre la France plus humaine. » Le nouveau Premier ministre, qui sait de quoi il parle en sa qualité de président de région, évoque très rapidement son intention d’entamer une deuxième phase de décentralisation. Il estime que pour mieux répondre aux besoins des Français, de nouveaux transferts de compétences et de responsabilités sont nécessaires. « Pour donner corps au principe de subsidiarité et lui donner plus de valeur juridique, il faut refondre les textes qui existent, notamment ceux sur l’intercommunalité. Point n’est besoin de nouveaux rapports – « tout a déjà été écrit ». Il propose un débat national, une concertation avec les élus locaux qui ont besoin d’une simplification des textes et procédures et souhaitent avoir plus de responsabilités dans ces domaines. En ce qui concerne la politique du logement, le Premier ministre considère qu’elle est indissociable de la politique de la ville et que cette dernière a besoin de plus de cohérence. Dans cet esprit, son gouvernement définira un cadre contractuel négocié avec les élus locaux et les bailleurs sociaux. C’est pour lui « la clé du renouveau des quartiers difficiles ». Enfin, il s’engage à poursuivre et accélérer la destruction des grands ensembles devenus obsolètes.

Très vite, dans le droit fil du discours du Premier ministre, le ministre de l’Equipement réaffirma son attachement à la mixité sociale qui figure dans la loi SRU, mais précisa, devant les congressistes du mouvement HLM, l’intention du gouvernement de donner un caractère plus contractuel aux obligations que cette loi contient. Le ministre exprima également sa volonté de faire entrer dans la nouvelle phase de décentralisation, « toute la chaîne du logement », y compris les missions des organismes HLM.

Qualifiée par certains commentateurs de texte « fourre tout », la loi « Urbanisme et habitat » fut promulguée le 2 juillet 2003. Dans le « mot du ministre » qui introduit la brochure de présentation « grand public » de la loi, Gilles de Robien dit « avoir été frappé par la virulence de la critique des élus de toutes les régions envers la loi SRU ». Il « entend donc simplifier cette loi, supprimer les contraintes excessives et apporter des réponses concrètes aux préoccupations des élus locaux ». Le ministre veut éviter « l’étalement urbain anarchique, les procédures inutiles, les lourdeurs juridiques ». Il reconnaît dans cette introduction que cette loi a donné lieu à un débat parlementaire souvent « vif ». Dans cette loi, est instauré un nouveau système d’amortissement fiscal dans le cas d’investissement immobilier à usage locatif. La loi Robien du 3 avril 2003, a remplacé la loi Besson de 1990. Ce nouveau dispositif eut du succès ; 50 000 logements furent vendus en 2003 grâce aux avantages qu’il offrait. Avantages d’ailleurs critiqués en raison des abus et effets pervers auxquels elle donna lieu.

Les services du ministre de la Ville mettaient au point un nouveau concept de « rénovation urbaine ». Ils préparaient une loi « historique » d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine ainsi qu’un ambitieux programme de démolition de logements sociaux devenus obsolètes qui seront prochainement proposés au pays. La loi porte la date du 1er août 2003. Elle a pour objectif – et pour ambition –  de permettre la mise en œuvre d’opérations de restructuration urbaine nombreuses. Le but est de remplacer les logements démolis par des logements en accession à la propriété et des logements locatifs, de façon à changer l’image des quartiers concernés. Le plan représente un investissement de 30 milliards d’euros sur cinq ans ; la construction de 200 000 logements locatifs sociaux, la réhabilitation de 200 000 logements, la démolition de 150 à 200 000 logements vétustes. Jamais un tel effort n’avait été programmé. Une Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) sera chargée de définir les quartiers concernés, organiser les appels d’offres, sélectionner les projets et les financer.

Une enquête CSA, commandée par le ministère de la Ville, fournit un certain nombre d’indications sur ce que pensent les Français de la situation dans ces quartiers : « Seulement 39% des habitants des quartiers prioritaires souhaitent continuer à habiter leur logement actuel. 12% seulement déclarent souhaiter rester dans le quartier pour habiter dans un nouveau logement. 22% déclarent vouloir quitter leur quartier. Cependant, une majorité de sondés considèrent que la qualité des logements et l’urbanisme ne sont pas les premières causes des problèmes dans le quartier. La petite délinquance, le manque d’autorité des parents, le chômage, sont les causes principales à leurs yeux. Pour améliorer la situation, les sondés font confiance aux associations (78%), à l’école (78%), à la mairie (74%) , au département et à la région  (65%), plus qu’à la police (62%), aux offices HLM et à l’Etat.

A l’occasion d’une visite présidentielle dans la ville de Valenciennes, le 21 octobre 2003, Jean-Louis Borloo définit en ces termes les missions qu’il avait l’intention de confier à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) : « Alors on a rêvé : les partenaires sociaux, les villes, leurs partenaires, le monde HLM, la Caisse des dépôts et consignation ; je leur ai demandé de rêver sans aucune contrainte administrative et financière, que faudrait-il faire, site par site, quartier par quartier, rue par rue, pour régler le problème. La conclusion fut sans appel : 143 quartiers sont à refaire de fond en comble ; 550 sont à soutenir brutalement et massivement. Partout, une envie folle de faire, mais un découragement réel : les moyens financiers. Pour réaliser ces programmes, il manque 1 200 millions d’euros par an. Une méthode : un guichet unique, transparent, pour raccourcir les procédures, les accélérer, les simplifier ; une convention directe entre ce guichet unique et les partenaires ; des conventions déclenchant des vrais virements et du véritable argent ; une intervention massive et rapide : tout en même temps. »

Le 17 novembre 2003, huit cents personnes étaient présentes dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne pour le lancement de l’ANRU. Le Premier ministre est là avec le ministre des Affaires sociales, François Fillon. Jean-Louis Borloo a invité tous ceux, anciens ministre de la Ville,  élus, préfets, architectes, urbanistes, journalistes spécialisés, dirigeants d’associations, qui partagent la même volonté : « Redonner de l’humanité à ces cités ». 600 000 logements qualifiés d’indignes sont concernés. 200 000 logements devront être rénovés de fond en comble. Dans son discours, Jean-Louis Borloo exprima sa conviction « qu’il n’y a pas de fatalité à la dégradation des quartiers ». Il faut « traiter ces lignes de fractures de la société, sources visibles de la ségrégation et de l’exclusion. » Le ministre de la Ville expliqua à son auditoire que « les quartiers en difficulté constituent les stigmates d’une République qui n’assure plus suffisamment ses missions de cohésion sociale, de solidarité et d’égalité des chances. Jean-Louis Borloo, qui veut faire partager sa conviction et qui n’a pas peur des mots, qualifia l’ANRU « d’outil révolutionnaire qui va bouleverser les mentalités et les pratiques. » Le Premier ministre, de son coté, exprima la nécessité, à ses yeux, de « s’attaquer aux racines du mal. » Il faut dit-il, casser les ghettos physiques, mais aussi tous les ghettos qui sont dans nos têtes. »

Le lecteur n’a sans doute pas oublié ce que disait déjà Eugène Claudius-Petit, un des premiers ministres de la Reconstruction et de l’Urbanisme : « Vouloir pour l’homme de meilleures conditions de vie, de meilleures conditions de travail, un cadre repensé pour sa vie quotidienne, pour celle de sa famille, de ses enfants, voilà l’ambition de l’urbaniste dans cet aménagement du territoire que l’on a appelé une « géographie volontaire ». Ce ministre aussi avait constamment le souci de l’humain. « L’urbanisme, disait-il, c’est la mise en ordre de la Cité. Mais ce n’est pas la mise en ordre de n’importe quelle manière. Le visage d’une ville, l’organisation d’une ville, la répartition des hommes dans une ville, expriment très profondément ce qu’est une civilisation. » C’était il y a soixante ans. Le logement des Français est-il un problème qui n’aurait pas de solution ou est-il normal de remettre sans cesse « l’ouvrage sur le métier » ?

Les débuts de l’ANRU furent un peu laborieux en raison de la diversité des situations. La mise en place des structures, l’établissement des règles parurent complexes, il y eut parfois une impression de confusion, mais rapidement, les demandes affluèrent. En 2006, un rapport du Sénat faisait état de 323 quartiers concernés, représentant 2,3 millions d’habitants, 22 milliards d’euros de travaux prévus sur les cinq prochaines années, 82 000 logements sociaux construits, 175 000 logements réhabilités, 84 000 logements démolis.

Les chiffres de la construction pour l’année 2003 furent en amélioration. 314 364 logements furent mis en chantier, c’était mieux qu’en 2001 et 2002. 378 968 demandes de permis de construire furent déposées, c’était également en amélioration de 9% par rapport à l’année précédente. En 2004, 374 587 logements furent mis en chantier. Le redressement de la production de logements était notable y compris en ce qui concerne le logement locatif social qui augmenta de près de 60% par rapport à la période 1998-2000. Il est indéniable que pendant cette législature le logement social locatif et en accession à la propriété a été soutenu. L’allongement de la durée des prêts à taux zéro et une modification de la référence des revenus pris en compte eurent des effets heureux et supprimèrent des effets d’aubaine. Enfin, le gouvernement augmenta les aides personnelles aux logements des plus démunis.

Jean-Louis Borloo est une personnalité politique atypique. Le journal « Le Monde » le qualifiera quelques années plus tard de « Caméléon en politique. » Pour l’heure, il a le vent en poupe. La loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a été remarquée. Son dynamisme, sa fibre sociale, sa capacité à entreprendre, intéressent le chef de l’Etat et son Premier ministre. A l’occasion d’un remaniement, il est nommé le 30 mai 2004, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale. Un secrétariat d’Etat au logement, confié à Marc-Philippe Daubresse est rattaché à son ministère.

Le 30 juin 2004, Jean-Louis Borloo présenta un plan de cohésion sociale au conseil des ministres. Ce plan, que le Premier ministre appelait de ses voeux depuis sa nomination, fera l’objet d’une loi de programmation. C’est, ce qu’en jargon parlementaire, on appelle un « véhicule législatif », c’est-à-dire que ladite loi comporte des mesures très diverses, de nature et d’importance très inégales. Le plan, quinquennal, est doté de 13 milliards d’euros. C’est un des principaux chantiers de Jean-Pierre Raffarin. Après débats et allers et retours parlementaires, la loi fut promulguée le 18 janvier 2005. Elle comporte trois volets : L’emploi, le logement et l’égalité des chances.

Pour résoudre la crise du logement, car crise il y a, le plan prévoit un programme d’urgence de 500 000 logements sur cinq ans. Il prévoit également de mobiliser le parc privé avec le relèvement à 40 000 par an du nombre de logements à loyer maîtrisé conventionné et la « reconquête » de 100 000 logements vacants. Le gouvernement affiche ainsi sa volonté d’augmenter et de diversifier l’offre de logements neufs et réhabilités. Il entend développer l’accession à la propriété et assurer un toit aux plus démunis. Il s’agit bien d’une véritable refonte de la politique du logement que le gouvernement veut engager dans la durée pour mettre fin à la pénurie, favoriser la mixité sociale et contribuer efficacement à la cohésion sociale qui est son souci premier.

Cependant, les dirigeants des associations qui prennent en charge les « sans logis », ATD Quart-Monde, « Droit au Logement », le DAL, ont des doutes sur la portée de ce plan très médiatisé. Les propositions qu’il contient sont-elles à la hauteur des enjeux ? Certains d’entre-eux dénoncent le « tour de passe-passe » qui consiste à modifier la définition du logement social. Ils estiment que l’effort en faveur du logement social ne concerne qu’une tranche particulière et non la totalité de ceux qui ont besoin d’être aidés. La loi SRU comme le plan « Borloo » intègrent le logement des classes moyennes dans le logement social et, à la faveur des démolitions, « déportent » les plus démunis et les remplacent par des « classes moyennes ». L’enquête nationale logement (ENL) constate d’ailleurs une augmentation régulière du nombre des mal-logés. Les représentants de ces associations vont même jusqu’à qualifier certaines dispositions du plan, de « privatisation rampante du logement social »  à la faveur de la nouvelle phase de décentralisation. Le désengagement de l’Etat, qui ne financera que pour une faible part le plan annoncé, est à leurs yeux très inquiétant pour l’avenir. Ils considèrent que c’est à l’Etat, et à l’Etat seul, de répondre aux problèmes de logement des plus démunis et non à des « partenaires » qui n’offrent aucune garantie. Enfin, en ce qui concerne le « droit au logement », ils sont en désaccord profond avec le gouvernement qui donne la priorité à la production de logements tant que l’offre n’est pas suffisante pour que ce droit puisse être rendu opposable. Pour eux, la priorité est de mettre en place le principe d’opposabilité du droit au logement, de façon à obliger les élus à prendre les décisions qui s’imposent en faveur du logement social.

En février 2005, Jean-Louis Borloo présenta au Conseil des ministres, un premier bilan du plan de cohésion sociale. Les décrets d’application étaient prêts. Une convention venait d’être signée, le 21 décembre, avec l’Union sociale pour l’habitat et, le 18 janvier, avec la Fédération nationale des sociétés d’économie mixte, pour la réalisation de 390 000 logements. 74 900 logements sociaux locatifs avaient déjà été financés en 2004 et de nombreuses mesures prévues avaient été prises (baisse de la TVA, exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties portée de 15 à 25 ans, etc.)

Chapitre 4 : Une nuit à Clichy-sous-Bois

A Clichy-sous-Bois, au cours de la nuit du 27 au 28 octobre 2005, la mort de deux jeunes de la cité du Chêne-Pointu, qui s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF, provoqua une réaction en chaîne de violences urbaines comme la France n’en avait pas connu depuis mai 68. Du 27 octobre au 17 novembre 2005, durant trois longues semaines, La France fut la proie de violentes émeutes qui embrasèrent des dizaines de villes et se soldèrent par la destruction de 10.000 voitures, 300 écoles, nombre de bâtiments administratifs et commerciaux, situés pour la plupart dans les « quartiers sensibles ». Le 8 novembre, Dominique de Villepin, qui avait remplacé Jean-Pierre Raffarin le 31 mai 2005, demanda en Conseil des ministres que soit décrété « l’état d’urgence », un dispositif qui n’avait pas été utilisé depuis le temps de la guerre d’Algérie. Il fallait le plus vite possible rétablir l’ordre. Les médias anglo-saxons inondèrent le monde entier d’images plus inquiétantes les unes que les autres avec une notoire exagération. Le président de la République ne s’exprima sur le sujet que le 14 novembre quand l’ordre fut rétabli. La cause de ces événements était connue depuis longtemps. Les sociologues avaient mis en garde et prévenu que des incidents se produiraient tôt ou tard. Les populations qui résident dans ces sites sensibles ont de nombreuses raisons d’être désespérées. Le discours sur la « fracture sociale » n’aurait-il pas été suivi d’effets ? Les plans « Borloo » avaient donné lieu à des analyses pertinentes, mais il faut du temps, beaucoup de temps pour mettre en application des décisions qui concernent plusieurs départements ministériels. Ces populations n’en peuvent plus d’attendre la réalisation des promesses, des plans successifs, des lois à voter, des décrets à prendre. Il y eut des débats, des colloques, des rapports, des enquêtes, sur toutes les causes de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent certains quartiers. Ils se poursuivaient encore en 2011. La rénovation urbaine, la cohésion sociale, sont de beaux concepts, mais que la réalisation est lente et difficile. Michel Rocard, en 1988, on s’en souvient, avait été confronté à une situation analogue mais qui n’avait pas eu la même gravité. C’est au moment où des efforts importants sont décidés et mis en œuvre pour changer les conditions de vie de ces populations que surviennent des événements graves.

Jean-Louis Borloo défendit son plan et annonça sur Europe 1, le 6 novembre, de nouvelles mesures destinées à accélérer l’application de ce plan. « Des quartiers ont déjà changé grâce au plan de rénovation urbaine qui, malheureusement, arrive cinq, sept ou dix ans trop tard. » Il faut, ajouta-t-il, « qu’on parle de ces quartiers comme des quartiers d’avenir. Sous la pression des événements, et de la crainte que de nouvelles émeutes ne se produisent, de nombreuses mesures destinées à améliorer les conditions de vie dans les quartiers en difficulté furent décidées dans les mois qui suivirent. Une nouvelle fois, il fallait, dans l’urgence, corriger la politique de la ville, la doter d’outils nouveaux. Près de 440 contrats urbains de cohésion sociale, qui remplaçaient les contrats de ville, furent signés. Ils associaient l’Etat et les collectivités territoriales pour, notamment, améliorer l’habitat et le cadre de vie, l’emploi, l’action éducative et le développement économique. Ces nouveaux contrats devaient simplifier les procédures et les modalités d’intervention des pouvoirs publics et mieux prendre en compte la diversité des situations locales. Ils concernaient des quartiers en grande difficulté pour lesquels un effort financier supplémentaire, mais aussi des actions dans la durée, étaient nécessaires. Le Premier ministre, qui avait fait de l’emploi sa priorité absolue, s’impliqua personnellement dans le combat pour l’égalité des chances et la cohésion sociale que le gouvernement devait livrer de toute urgence, tout en assurant la sécurité publique qui avait été quelque peu perturbée.

Restaurer l’ordre public, rassurer la population, particulièrement celle des quartiers sensibles, la plus touchée, s’engager à accélérer l’application des décisions prises, rappeler les engagements pris pour la mise en œuvre de la loi sur les quotas de logements sociaux dans les communes, aider les jeunes des quartiers difficiles à sortir de la « crise d’identité », tel fut le quotidien du Président de la République, de Dominique de Villepin et des ministres concernés, après les événements graves qui s’étaient produits.

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