Le logement en France

Chapitre 3 : La fin des grands ensembles

Après l’épisode des scandales, il fallait créer un choc psychologique. Le Président de la République décida de nommer au poste de Premier ministre un homme réputé pour son intégrité, son loyalisme, son sens de la discipline, dont le style était bien différent de celui de son prédécesseur. Pierre Messmer est un Lorrain, à l’allure sévère, un peu militaire. Compagnon de la Libération, ancien Gouverneur général de la France d’outre-mer, il a été ministre des Armées du général de Gaulle. Tout le monde s’attendait à ce que ce soit Olivier Guichard qui aille à Matignon, lui aussi. Il hérite du ministère de l’Equipement, du logement et de l’aménagement du territoire. « Baron » du gaullisme, descendant d’un baron d’Empire, Olivier Guichard a été le chef de cabinet du général de Gaulle pendant la « traversée du désert ». Le maire de La Baule n’a pas le tempérament d’un Pisani ou d’un Chalandon. Très politique, pour ne pas dire opportuniste, il n’inspire dans la période que traverse la France, qu’une confiance relative. Il est connu pour ne pas avoir, malgré ses grandes qualités, le caractère, l’énergie et sans doute l’ambition nécessaires aux plus hautes fonctions

Le 12 juillet 1972, lors d’un remaniement, le ministère change de nom. Il devient le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme. Autant dire que l’urbanisme et le logement ne figurent pas dans les priorités du gouvernement. Il n’y a d’ailleurs plus de secrétaire d’Etat au logement. Pour le Président de la République, la politique industrielle est le principal objectif du septennat et pour l’atteindre, il faut une politique d’aménagement du territoire volontariste. C’est la lettre de mission que reçoit Olivier Guichard. Georges Pompidou veut profiter d’une conjoncture favorable et d’un taux de croissance fort qui pourraient ne pas durer.

Le logement pose toujours de graves problèmes aux plus faibles, mais les Français, dans l’ensemble, vivent mieux, sont devenus un peu plus riches. Nombreux sont alors ceux qui aspirent  à quitter le logement HLM dans lequel ils avaient découvert le confort dans les années cinquante et soixante, pour avoir une maison à eux. Cette tendance commence à produire des effets inquiétants. La mixité sociale disparaît peu à peu des « barres et tours » qui deviennent des cités-dortoirs de pauvres. L’heure est venue, pour éviter des troubles dans ces cités, de prendre la décision d’arrêter la construction de grands ensembles. La circulaire précise qu’il ne sera plus autorisé de construire des immeubles, ou groupements d’immeubles, de plus de 500 logements d’un seul tenant. Faute d’avoir été capable de construire des logements sociaux en centre-ville pour les raisons foncières déjà évoquées, les pouvoirs publics sont contraints, pour endiguer les troubles dus à la ségrégation, d’encourager la maison individuelle et son individualisme, qui posera à son tour de graves problèmes de développement durable.

Cette décision est un tournant, peut être plus important qu’il n’y paraît : Sarcelles, c’est fini. La vision collective de la société d’après guerre, l’idée que le bonheur, c’est vivre en collectivité, partager les mêmes valeurs sociales, la même conception de la vie en société, c’est fini. Le temps du béton préfabriqué et des logements standardisés qui se ressemblent tous, c’est fini. Mai 68 a libéré les comportements, remis en cause le modèle de société et réveillé l’individualisme.

En fait, si le tournant est de nature juridique avec la circulaire de 1973, le rejet des grands ensembles remonte déjà à plusieurs années. Des sociologues spécialisés ont depuis longtemps attiré l’attention des pouvoirs publics sur le malaise et la délinquance qui se développent dans les banlieues. Depuis 1969, plus aucun grand ensemble n’a été mis en chantier en dehors des villes nouvelles.

La légende veut que, lors d’un survol de la région parisienne en hélicoptère, en 1961, le général de Gaulle aurait dit au délégué général au district de la Région parisienne : «  Delouvrier, mettez-moi de l’ordre dans ce bordel ! » L’intéressé n’a jamais démenti, ni jamais confirmé mot pour mot, ce qui n’était peut être qu’une interprétation journalistique de l’ordre du chef de l’Etat.

Il n’en reste pas moins que cette anecdote – vraie ou fausse – a le mérite de dater la naissance des villes nouvelles dans l’histoire urbaine. Pour remédier à la concentration relativement anarchique dans les grandes métropoles, la décision fut prise de créer ex nihilo des pôles, qui, contrairement aux cités dortoirs, répondent à des exigences d’urbanisme et utilisent intelligemment les outils administratifs qu’étaient les ZAD, zones d’aménagement différé et les ZAC, les zones d’aménagement concerté dans lesquelles était organisé un équilibre habitat-emploi-commerces- équipements, satisfaisant.

Le résultat, quoi que puissent en penser certains esprits chagrins, fut assez satisfaisant bien que contrasté. Cergy-Pontoise, Evry, Saint Quentin en Yvelines peuvent difficilement  être comparées au Vaudreuil ou à Melun-Sénart, la dernière des neuf villes nouvelles programmées et réalisées entre 1969 et 1973.

Dès 1972, deux ans avant son décès, le président de la République avait le pressentiment que les « Trente Glorieuses » ne dureraient pas éternellement. Il disait à ses visiteurs que la France traversait une période de développement qu’elle n’avait pas connue depuis le Second Empire.

En 1969, la France était en retard sur le plan industriel. Le rang de la France, son indépendance, sa puissance, auxquels le général de Gaulle était si attaché, ce n’était pas seulement la politique étrangère et la défense, c’était aussi l’économie, la recherche, le développement. Elu, Georges Pompidou décide de poursuivre les réformes qu’il avait déjà commencées lorsqu’il était premier ministre : modernisation de l’économie grâce aux investissements dans les secteurs aéronautiques ou spatiaux. Il a notamment réussi à convaincre les autres partenaires européens de créer une Agence spatiale européenne et le programme de lanceur spatial Ariane. Par ailleurs, il met en place une politique de fusion au sein de chaque secteur économique pour constituer de grands groupes puissants : Rhône-Poulenc en chimie, Usinor pour la sidérurgie. Pour éviter les déséquilibres liés à ces regroupements d’entreprise, il soutient la DATAR (Direction de l’Aménagement du Territoire et de l’Action Régionale) qu’il avait créée en 1963. Cet organisme tente de freiner la croissance de la région parisienne et d’attirer les entreprises vers les régions qui perdent leur population pour rééquilibrer le territoire.

Quand s’achèvent les « Trente Glorieuses », la France est indéniablement une nation puissante. Ce faisant, Georges Pompidou a négligé, il le sait, ou sous évalué, l’importance de l’habitat et du cadre de vie des Français.

Le 17 octobre 1973, la décision de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole de quadrupler le prix du pétrole va mettre fin aux « Trente glorieuses », à l’énergie bon marché, au cartel des grandes compagnies pétrolières et faire prendre conscience aux sociétés occidentales que la prospérité, la consommation à tout va avaient atteint leurs limites. L’urbanisme, l’habitat, le tout automobile, cette civilisation fondée sur l’idée que l’énergie était peu chère et le serait pour l’éternité, sont à repenser. La transition, on l’a vu, sera longue et douloureuse.

Avant cette date, il faut bien admettre que les pouvoirs publics, pourtant peu avares de réglementations, ne pensaient pas à l’isolation thermique et aux économies d’énergie. La construction industrialisée, dans le souci de faire baisser les coûts, ne se préoccupait pas de cette particularité technique. Les entreprises furent vivement critiquées quand commença « la chasse au gaspi ».

Quel bilan peut-on tirer de cette période qui s’achève avec le premier choc pétrolier ? Le volume de construction annuel est monté cette année là à 550 000 logements dont 180 000 HLM et 150 000 logements aidés par la prime et les prêts du Crédit Foncier. Ce chiffre était enfin satisfaisant, si ce n’est que la part du logement social restait très insuffisante par rapport aux besoins. Les logements sociaux étaient trop peu nombreux et construits loin, de plus en plus loin des centres villes. Ce qui faisait dire à Robert Lion que les plus faibles passaient à la « centrifugeuse ». Plus ils étaient fragiles et sans défense, plus ils étaient envoyés loin. Le risque de ségrégation, d’exclusion et de ghettoïsation était en germe mais les gouvernements conservateurs de cette époque n’en appréciaient pas le risque et les conséquences qui n’apparaitront que plus tard.

Chapitre 4 : Rapports et commissions

« De ce jour, date une ère nouvelle de la politique française. » C’est par cette formule que Valéry Giscard d’Estaing entama son septennat. Secrétaire d’Etat d’Antoine Pinay à 33 ans et successeur de Wilfrid Baumgartner au ministère des Finances, il est aux affaires économiques et financières du pays, presque sans interruption, depuis 1959.  Libéral avancé, centriste, européen, VGE a une expérience et des compétences qu’une majorité de Français a reconnues en mai 1974 en le portant à la présidence de la République. « Oui, mais », pour reprendre la formule célèbre qu’il employa en 1967, les gaullistes le tiennent pour responsable de la mise en ballotage du général de Gaulle le 5 décembre 1965. A leurs yeux, son plan de stabilisation économique avait alors indisposé les Français. Des « petites phrases », des « cactus », ont par la suite irrité les gaullistes qui ne l’apprécient guère. Le nouveau président de la République ne l’ignore pas quand il fait le choix de confier les clés de l’Hôtel de Matignon au jeune et fougueux Jacques Chirac plutôt qu’à un « baron » du gaullisme. Tout le monde pensait que Robert Galley serait le nouveau Premier ministre. Ironie du sort, Robert Galley se retrouve, comme son prédécesseur Olivier Guichard, au ministère de l’Equipement qui semble devenir un lot de consolation.

Jacques Chirac, « à la tête d’un gouvernement qui n’est pas le sien », c’est ce qu’il écrit dans le premier tome de ses Mémoires, est confronté à l’après choc pétrolier. Le pays entre très vite en récession pour la première fois depuis la fin de la guerre. Le PIB perd 1,5% au premier semestre de 1974 et la chute s’accélérera au cours des semestres suivants. L’inflation repart en flèche à plus de 13%. Le Premier ministre, comme le président Sarkozy en 2008, considère que combattre la crise par la rigueur et l’austérité est une erreur. Il ne partage pas l’analyse de Valéry Giscard d’Estaing et du ministre des Finances Jean-Pierre Fourcade, mais s’incline. Un plan dit de « refroidissement » destiné à lutter contre l’inflation que provoque la hausse du prix du pétrole, comporte, entre autres dispositions, un encadrement du crédit et une hausse des impôts qui vont immédiatement plonger le marché dans une crise sévère.

Au mois de novembre 1974, un jeune cadre de province, fraichement muté à Paris, se rendit, accompagné de sa femme, dans un certain nombre de bureaux de vente de la région parisienne. Ce couple ressemblait à tous les autres couples, posait aux vendeurs les mêmes questions et entendait les mêmes réponses…A ceci près que le mari n’était autre que Jacques Barrot, secrétaire d’Etat au logement, et sa femme, une journaliste d’un des principaux hebdomadaires. « Quelle aventure ! » devait déclarer le ministre, à l’issue de ces visites qui mettaient en évidence un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, celle qu’il y a à vendre un produit qui n’existe pas, ou qui est en cours de fabrication. Ensuite la difficulté qu’il y a à fournir clairement et avec précision une masse de renseignements techniques, administratifs, juridiques et financiers ; enfin, la nature, pour ne pas dire la faiblesse, des méthodes de vente employées et l’insuffisante formation des vendeurs. Le ministre, quelques jours plus tard, tira les enseignements de ses visites devant des professionnels réunis, en déclarant : « Le stade de la qualité-gadget, de l’appartement témoin luxueusement meublé et du sourire de l’hôtesse est dépassé. Le ménage en quête de logement pense isolation acoustique, isolation thermique ; il pense aussi aux charges et à l’entretien, à la qualité vraie, qui ne se perçoit pas toujours au premier coup d’œil. Cette politique pour réussir, dépend en très grande partie de vous. »

En juillet 1975, à la demande insistante du Premier ministre, un plan de soutien à l’économie allégera partiellement les mesures drastiques d’encadrement du crédit. Pour le président de la République et son ministre des Finances, l’aide de l’Etat au financement du logement est trop lourd, inefficace et n’est sans doute plus aussi nécessaire maintenant que le volume de construction annuelle dépasse 500 000 logements. Le moment est venu de faire preuve d’imagination dans ce domaine, à ses yeux – et depuis longtemps – générateur d’inflation. VGE commande deux rapports. L’un à Raymond Barre, le professeur d’économie politique, auteur d’un ouvrage que tous les étudiants en science politique connaissent, qui reçoit pour mission de présider une commission chargée de faire des propositions pour réformer le financement du logement. L’autre à Simon Nora et Bertrand Eveno porte sur l’amélioration de l’habitat ancien.

Dans le même temps, l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM, dirigée par Robert Lion depuis le décès de son délégué général historique Maurice Langlet, prépare un Livre blanc. Quatre groupes de travail présidés par des hommes de grande qualité : Hubert Dubedout, Jean Truc, Maurice Grusson et le journaliste Jean Boissonnat notamment, aboutiront à la conclusion que la politique de logement social est un non-sens. Elle porte en germe l’exclusion et ses conséquences. Le Livre blanc préconisait une politique sociale de l’habitat, une civilisation de l’habitat, basée sur l’aide à la personne avec pour objectif d’offrir pour chaque Français un habitat de qualité.

Raymond Barre et les membres de la commission qu’il préside arrivent à la même conclusion : « L’état de misère dans lequel certaines personnes  sont abandonnées est indigne de la France ». L’aide à la personne doit être revalorisée. Les classes moyennes, et à plus forte raison les plus favorisées, ne doivent plus pouvoir s’enrichir en spéculant sur l’inflation des prix de l’immobilier et en bénéficiant durablement d’annuités de remboursement d’emprunts subventionnés par l’Etat. L’examen des situations personnelles doit être décentralisé et déconcentré. Le constat confirme que la demande de logement, mis à part le logement dit social, est à peu près couverte par l’offre qui s’est considérablement accrue ces dernières années. Il faut donc réserver l’effort financier de l’Etat aux investissements productifs, aux principaux cas sociaux et amorcer un désengagement de l’Etat qui devra être relayé par l’épargne privée.

Le rapport Consigny, en 1971, dans le cadre des travaux préparatoires du VIème Plan, avait déjà attiré l’attention sur le caractère insuffisamment redistributif des aides à la pierre et les anomalies inégalitaires des régimes d’aides à la personne. Les primo-accédants ont besoin d’être aidés mais cette aide doit être limitée dans le temps et prendre fin quand les ressources du ménage ne la justifient plus. Le développement de l’offre de crédits immobiliers bancaires doit devenir la règle et pouvoir répondre aux besoins normaux des accédants à la propriété. En clair, au temps de la quantité de logements construits, doit succéder le temps de la qualité. La promotion immobilière privée est maintenant parfaitement en mesure d’offrir à la clientèle des opérations de taille humaine qui s’intègrent harmonieusement dans le tissu urbain existant et répondent aux vœux des Français. En ce qui concerne l’immobilier ancien, les travaux de la commission Nora-Eveno concluent à la nécessité de substituer au concept de « rénovation urbaine » celui de « réhabilitation de l’ancien ».

Ces rapports de grande qualité vont fournir au secrétaire d’Etat au Logement Jacques Barrot, tous les éléments constitutifs de la réforme du financement de 1977 dont il sera le principal artisan et qui constitue un tournant très important de la politique du logement.

Cette réforme, il faut le rappeler, a pour but : de développer l’accession à la propriété, de faciliter la réhabilitation de l’habitat ancien, de réduire les inégalités d’accès au logement social, d’élargir le choix entre les différentes possibilités d’acquérir ou de louer un logement et d’améliorer la qualité des logements. Pour atteindre ces buts, Jacques Barrot met au point avec ses services, deux nouvelles catégories de prêts qui doivent remplacer les anciens prêts aidés. Les prêts aidés à l’accession à la propriété, les PAP et les prêts locatifs aidés, les PLA. Les PAP sont réservés aux ménages dont les ressources ne dépassent pas un plafond fixé par arrêté dans chaque zone géographique. La durée du prêt est de vingt ans avec un différé d’amortissement de deux ans et une progressivité des annuités de remboursement.

La réforme institue également les prêts conventionnés, les PC, qui ont pour caractéristiques essentielles de ne bénéficier d’aucune aide de l’Etat, d’avoir un taux plafond fixé périodiquement par les pouvoirs publics en fonction de l’évolution du marché obligataire, d’être réservés au financement de la résidence principale et d’être également accessibles aux acquéreurs d’un logement ancien. Ces prêts pouvaient atteindre 90% du montant de l’acquisition. Mobilisable auprès du Crédit Foncier de France ou sur le marché hypothécaire, ce type de prêt eut beaucoup de succès. Tellement de succès que certains ont affirmé qu’il avait stimulé l’inflation au même titre que la hausse des coûts de construction.

Pour compléter le dispositif, une aide personnalisée au logement – APL – destinée à aider les plus faibles fut mise au point. Elle améliorait et remplaçait l’ancienne allocation logement. Son montant prenait en compte les revenus des ménages, la composition du foyer et son budget logement.

Jacques Barrot a occupé les fonctions de ministre du logement du 27 mai 1974 au 31 mars 1978. Cette longévité exceptionnelle lui a permis de mener à bien une des plus importantes réformes des soixante dernières années.

Il faut noter cependant que cette réforme fut, comme souvent, le résultat de compromis entre les thèses qui s’affrontaient. Le mouvement HLM exerça une pression vigoureuse sur Raymond Barre et Jacques Barrot. Réunis en congrès extraordinaire, au début de l’année 1976, le mouvement exprima sa protestation devant l’intention du ministre du logement de réduire l’aide à la pierre sans que l’aide à la personne proposée soit suffisante pour lutter efficacement contre l’exclusion. L’avenir leur donnera raison. Les rédacteurs du Livre blanc HLM, comme les rédacteurs du rapport sur l’habitat du VIIème Plan, considéraient qu’une aide à la pierre significative devait être maintenue pour permettre le contrôle de la production, de la localisation, de la qualité et des prix des logements destinés à ceux qui en avaient le plus besoin.

Il faut dire que le débat sur cette réforme s’inscrivait dans un contexte politique particulièrement difficile. Les deux grands courants de la majorité au pouvoir se déchiraient sur à peu près tous les sujets. La bataille pour la mairie de Paris et plus tard « l’appel de Cochin », marqueront l’apogée du combat fratricide qui aboutira à la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981.

A gauche, l’échec du processus d’actualisation du programme commun s’accompagna  de surenchères. Le rapport de forces entre socialistes et communistes atteint son paroxysme le 23 septembre 1977 avec la rupture sur le problème des nationalisations. Les ambitions étaient d’autant plus grandes que l’alternance paraissait de plus en plus probable.

Le débat sur la taxation des plus-values fut pour les gaullistes l’occasion d’exprimer leur vif mécontentement. De quoi s’agissait-il ? Le président de la République avait annoncé pendant sa campagne, en 1974, que, s’il était élu, il proposerait à la représentation nationale de taxer les plus-values comme le faisaient déjà la plupart des autres pays occidentaux et notamment la Grande Bretagne, les Etats-Unis et l’Allemagne. Dès le mois de février 1975, une commission présidée par un haut magistrat de la Cour de cassation, Albert Monguilan, d’une part, et une commission du Conseil économique et social, présidée par Pierre Uri, d’autre part, remirent leurs rapports qui aboutissaient à des conclusions sensiblement différentes. Sur un sujet aussi complexe, ce n’était pas surprenant.

Dans le projet de loi que le ministre des Finances présenta le 20 avril 1976, il n’était plus question d’appliquer la taxation à l’ensemble des plus-values. Ceux qui s’opposaient à la taxation des plus-values latentes hurlaient à l’impôt sur le capital qui ne disait pas son nom. « Oui, pour taxer les plus-values réalisées par les spéculateurs, mais cessons d’agacer les Français en permanence ; ce n’est pas bon pour les élections ! » La bataille d’amendements fut épique.

Comme pour la plupart des réformes, la loi du 19 juillet 1976 sur la taxation des plus-values immobilières, quelques jours avant la démission de Jacques Chirac, n’avait plus rien à voir avec l’intention première du président de la République.

Venant après une augmentation des droits d’enregistrement particulièrement inappropriée, en un temps où la mobilité de l’emploi devait être favorisée, et de nouvelles limitations des déductions permises aux investisseurs, ce système d’imposition des plus-values immobilières, dont la vertu première n’était pas la simplicité, fut interprété par la profession comme une déclaration de guerre.

Quand Jacques Chirac annonça le 25 août 1976 que « ne disposant pas des moyens nécessaires pour assumer ses fonctions de Premier ministre », il remettait sa démission au président de la République, la réforme était encore en cours d’élaboration. Le nouveau Premier ministre, Raymond Barre, connaissait particulièrement bien ce dossier. Jacques Barrot conserva heureusement ses fonctions. Le député maire d’Yssingeaux est un centriste, un démocrate chrétien. Négociateur de grand talent, Jacques Barrot a la passion de la réforme. Très gros travailleur, il a cette chaleur humaine et une sincérité qui emportent les convictions. Le ministre du logement était bien « The right man at the right place ».

Le nouveau Premier ministre tient à cette réforme. Elle est en cohérence avec sa volonté « d’abattre l’inflation » et de « maintenir la stabilité ». Le « meilleur économiste français » impressionne ; ce n’est pas un professionnel de la politique, il a des principes et entend, avec le soutien du président de la République, les faire prévaloir. « Un homme carré dans un corps rond », l’image lui ressemble bien. Plus démocrate chrétien que social-démocrate, il n’a jamais appartenu à aucun parti parce qu’il cherche toujours le possible plutôt que l’idéal. Il a en horreur le gaspillage et la consommation effrénée. Avec lui, la France va perdre ses mauvaises habitudes ; s’il faut freiner l’expansion pour modérer l’inflation, il n’hésitera pas un instant. C’est son obsession.

Un mois après son arrivée à Matignon, le « plan Barre » renforçait l’encadrement du crédit et bloquait les prix et les tarifs publics. La reprise du marché immobilier qui s’amorçait fut immédiatement cassée.

A la fin des années soixante dix, les promoteurs immobiliers étaient furieux et le faisaient savoir dans la presse et auprès du ministre. L’activité de la construction est un secteur essentiel de l’économie. Il fait travailler 1.500.000 personnes directement et autant indirectement, soit au total 15 % de la population active. Depuis 1974, le secteur est en crise et la profession en déclin. Les mises en chantier de logements sont passées de 550.000 en 1972, 1973 et 1974 à 440.000 en 1978. Le gouvernement estime, pour expliquer cette évolution, que les besoins sont en grande partie satisfaits et qu’il n’y a pas lieu de s’en alarmer. Les experts ne sont pas de cet avis. Les besoins dans le secteur social sont encore considérables et l’offre privée est souvent inadaptée. Au surplus,  le niveau de confort et la superficie des logements laissent encore à désirer. Il y a donc bien des besoins importants de renouvellement, de modernisation et d’entretien du parc.

L’immobilier est une activité  cyclique qui supporte mal les périodes de récession prolongée. Celles-ci s’accompagnent généralement d’une réduction de l’appareil de production suivie de périodes de reprise au cours desquelles les prix s’envolent. Pour éviter ces coups d’accordéon, il faut une politique stable, lisible et à long terme. Ce n’est pas précisément le cas ; les constructeurs sont pris dans un réseau de contraintes et de réglementations dans les domaines fiscaux, juridiques, techniques ou administratifs à la limite du supportable. La pression fiscale, notamment, a augmenté budget après budget, et s’applique maintenant à tous les stades de la construction immobilière.  Augmentations substantielles du taux de la TVA sur les locaux d’habitation alors que, dans le même temps, le taux applicable aux autres biens courants diminuait ; création de la taxe locale d’équipement qui met à la charge des acquéreurs de biens immobiliers neufs des dépenses qui bénéficient à toute la collectivité ; création de la « taxe de sur densité » en application de la « loi Galley » qui s’est traduite par la raréfaction des terrains et a incité les propriétaires à majorer les prix ; création d’un nouveau système de taxation des plus-values. Autant de décisions qui se sont accompagnées d’imprimés, de formulaires, de déclarations, d’engagements de cautions, de demande d’explications, de redressements, de réclamations. Les frais de gestion des constructeurs ont considérablement augmenté pour tenir compte de ces charges nouvelles. Dans le domaine juridique, pour la protection des acquéreurs, il a fallu  instituer un système de garanties et des assurances qui grèvent également les prix de revient. L’assurance construction, obligatoire depuis le premier janvier 1979, va coûter 3 et 4 % du montant des marchés de travaux. Sur le plan technique des règlements et contraintes, certes justifiés, notamment en ce qui concerne  l’isolation phonique, vont augmenter le coût de la construction. Enfin, en matière administrative, la demande de permis de construire est un véritable parcours du combattant qui représente un gaspillage de temps et d’argent.

Les constructeurs estiment qu’ils ont fait de réels progrès sur le plan de la discipline et des structures de leur profession et que l’amélioration des conditions de logement des Français depuis trente ans est à mettre à leur crédit. L’image du promoteur, avide de profits et faisant rapidement fortune par enrichissement sans cause, ne se justifie plus. Les profits dégagés par les opérations immobilières, se dégradent, alors que les risques pris n’ont pas diminué, au contraire, si l’on en juge par le nombre d’investisseurs qui se détournent de ce secteur et du nombre d’organismes de promotion qui ont déjà disparu. Il est difficile de discerner les intentions profondes des pouvoirs publics vis-à-vis de la construction immobilière. Des voix semblent encourager le redémarrage de l’activité, mais elles ne sont pas suivies d’actes concrets. Comment expliquer, après les désastreuses conséquences du blocage des loyers entre les deux guerres, que les pouvoirs publics aient recours à nouveau au même procédé dès qu’apparaissent des difficultés économiques ; il en est de même des déclarations récentes en faveur d’une politique de restauration des immeubles anciens alors que dans le même temps sont publiés des textes accentuant les contraintes de droit et de fait qui compliquent cette nécessaire activité. La profession, pour survivre et contribuer à l’activité économique du pays, réclame une pause réglementaire et fiscale

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