Le logement en France

Chapitre 4 : « Le changement, c’est maintenant »

La campagne pour l’élection présidentielle de 2012 fut une campagne en trompe-l’œil durant laquelle la dérobade le disputa le plus souvent au déni de la réalité. Les Français ne s’y sont pas trompés. Conscients que le pays, affaibli, est à un tournant de son histoire, dans un monde en plein bouleversement, ils ont été nombreux à voter, le 21 avril, pour exprimer leur mécontentement. Un vote sur trois s’est porté sur le représentant d’un parti qui n’est pas un parti de gouvernement.

Le dimanche 6 mai, François Hollande a été élu. De l’avis général, il a bénéficié d’un vote de rejet, plus que d’adhésion. Après une campagne prudente, réfléchie, il a profité de la très forte demande d’alternance  que la crise suscite dans la plupart des pays occidentaux et du fort courant d’ « antisarkozysme » que la personnalité du président sortant avait provoqué. Continuellement favori dans les sondages depuis un an, la victoire de François Hollande n’a surpris que ceux, nombreux, y compris dans son camp, qui n’ont cessé de le sous-estimer. Sa persévérance, la cohérence de son discours, ont été récompensés. Ces qualités  correspondaient, à ce moment là, aux attentes des Français dans les profondeurs du pays. Du jour au lendemain, le slogan de campagne du nouveau chef de l’Etat, « Le changement, c’est maintenant », est devenu un défi.  Pour que cet engagement devienne une réalité, François Hollande  devra faire la preuve de sa capacité à réduire la dette de la France et ses déficits dans le respect de la justice sociale. Il a du temps devant lui, mais pour réussir il devra également démontrer sa détermination à changer la manière de gouverner. Bien décidé à être  un président « normal », François Hollande a, aussitôt après son élection, précisé ses intentions : « Le pouvoir d’Etat sera exercé avec dignité mais simplicité et une scrupuleuse sobriété dans les comportements(…) Je fixerai les priorités mais je ne déciderai pas de tout, ni à la place de tous. Conformément à la Constitution, le gouvernement déterminera et conduira la politique de la nation… « .

Le 16 mai, l’annonce par le nouveau secrétaire général de la présidence de la République, Pierre-René Lemas, de la nomination de Jean-Marc Ayrault aux fonctions de Premier ministre, ne fut pas une surprise. François Hollande avait, depuis longtemps, choisi cet homme chaleureux, simple, fidèle, qui partage avec lui le sens du collectif, du rassemblement. Ces deux hommes se ressemblent, même s’ils n’ont pas le même humour. Ce sont des sociaux-démocrates habitués à travailler ensemble. Ils ont dirigé le parti socialiste ; l’un comme premier secrétaire, pendant une longue période, l’autre comme président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale depuis quinze ans. Germanophile, Jean-Marc Ayrault détient une clé qui peut se révéler particulièrement utile dans la gestion, toujours délicate, des relations franco-allemandes.

Pour retrouver des marges de manœuvre, le nouveau président de la République plaide pour un  » pacte de croissance « , une sorte de  » New Deal  » européen qui inquiète les Allemands. Des marges de manœuvre, il en faudra pour mettre en œuvre une nouvelle politique du logement. Le nouveau président savait depuis longtemps que la crise économique et sociale est d’une telle ampleur que les difficultés arriveraient très vite. Personne, dans son entourage, n’imaginait le moindre état de grâce. Il n’est pas exclu que les perspectives économiques soient encore plus sombres que prévu. La France ne pourra sans doute pas continuer à emprunter aux mêmes taux au cours des prochaines années. La rigueur s’imposera donc, alors que François Hollande s’est fait élire sur le refus de l’austérité. Il faudra beaucoup de talent et de doigté pour concilier l’inconciliable, réduire la dette dans la justice sociale, sans casser la croissance. Baisser les déficits d’une centaine de milliards d’euros sur cinq ans, qui représente 10% des dépenses de la France, c’est difficile, mais ce n’est pas impossible. Cet effort nécessitera cependant un nouveau pacte social pour que l’effort soit accepté par les Français.

Dans le domaine du logement, comme sur la plupart des sujets, François Hollande s’est bien gardé de prendre des engagements qu’il ne pourrait pas tenir. Son prédécesseur s’était engagé, cinq ans avant, à faire en sorte que le taux de propriétaires passe, pendant son mandat, de 57% à 70%. Les mesures, coûteuses, n’ont fait progresser ce taux que de 1% et, pendant cette période, la crise du logement s’est encore accrue. Le nouveau chef de l’Etat sait que le logement coûte de plus en plus cher. Les loyers, les charges, les taxes, les dépenses d’eau et d’énergie, augmentent régulièrement et plus vite que l’inflation. Un ménage sur deux consacre près d’un quart de ses revenus à son logement. Dans le budget des plus défavorisés, la part consacrée à la nourriture, à la santé, l’habillement, les loisirs, l’éducation, diminue en raison de la part croissante du coût du logement. Le sentiment de déclassement accompagne inévitablement les privations de plus en plus nombreuses.

Des études récentes, notamment celles conduites par le sociologue Serge Guérin et le géographe Christophe Guilluy, attirent l’attention sur de nouvelles fractures sociales. Des populations, en augmentation constante, sont en situation de grande fragilité. Elles résident à l’écart des grandes métropoles et vivent mal leur dépréciation sociale et culturelle. La hausse des prix du logement rejette continuellement loin des centres urbains une population dont le pouvoir d’achat baisse dangereusement en raison du travail à temps partiel, du chômage, des faibles retraites.  Cet étalement urbain va se poursuivre. Cette dispersion sur le territoire pose des problèmes de transport, de services publics, d’assistance médicale, de loisirs, auxquels il va falloir apporter des solutions. L’Etat et les collectivités ne peuvent abandonner ces populations fragilisées. Il faut leur venir en aide et, dans le même temps, modifier la politique du logement et densifier la construction.

François Hollande sait tout cela. Il sait que les Français n’en peuvent plus et ont, à 73% (sondage IPSOS), le sentiment que les politiques ne se préoccupent pas suffisamment de ce grave problème qui, à leurs yeux, devrait être une cause nationale. Seulement voilà, que faire quand le budget de l’Etat n’offre aucune marge de manœuvre ?

Dans son programme, dans ses 60 engagements pour la France, François Hollande a consacré les 22 et 23éme engagements au logement. « Je veux construire plus de logements. Dans les zones où les prix sont excessifs, je proposerai d’encadrer par la loi les montants des loyers lors de la première location ou à la relocation. Je mettrai en place pour les jeunes un dispositif de caution solidaire. J’agirai pour que soient construits au cours du quinquennat 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants, soit 300 000 de plus que lors du quinquennat précédent, dont 150 000 logements très sociaux, grâce au doublement du plafond du livret A. Je renforcerai la loi SRU, en multipliant par cinq les sanctions qui pèsent sur les communes refusant d’accueillir les ménages aux revenus modestes et moyens. Je porterai à 25% les exigences en matière de construction de logements sociaux et je favoriserai la mixité sociale en imposant une règle des trois tiers bâtis : un tiers de logements sociaux locatifs à loyer modéré, un tiers de logements en accession sociale, un tiers de logements libres.

Je mettrai gratuitement à disposition des collectivités locales les terrains de l’Etat qui sont disponibles pour permettre de construire de nouveaux logements dans un délai de cinq ans. »

Sur proposition du Premier ministre, le chef de l’Etat nomma madame Cécile Duflot, ministre de l’Egalité des territoires et du logement. Ce ministère ne sera plus lié à celui de l’environnement. C’est une rupture par rapport à ce qu’avait fait François Fillon en 2007 quand il avait confié à Jean-Louis Borloo un grand ministère qui réunissait le logement, le transport et l’énergie. A l’évidence, le chef de l’Etat et le chef du gouvernement n’ont pas souhaité confier l’environnement et le délicat dossier de l’énergie à la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). La « ville » est attribuée à François Lamy, avec le titre de ministre délégué, placé sous l’autorité de Cécile Duflot, la ministre de « l’égalité des territoires et du logement ». C’est dire que les banlieues ne feront plus l’objet d’un traitement spécifique mais transversal et concerneront tous les ministères. Les besoins en politiques éducatives, de logement, d’emploi, de sécurité, de cohésion sociale, d’accès aux soins, à la culture, au sport, y sont tels que la politique de la ville doit être l’affaire de tous pour que le quinquennat ait une chance d’être une réussite dans ce domaine.

En raison de sa qualité de chef de parti, plus qu’en raison de la nature de son portefeuille, la jeune écologiste occupe la sixième place dans l’ordre protocolaire, du gouvernement Ayrault. Cette nomination fut une surprise, comme en réserve souvent la construction politique d’un gouvernement dans laquelle les dosages l’emportent parfois sur les compétences individuelles.  Les observateurs attendaient le sénateur Thierry Repentin, un spécialiste connu et reconnu, responsable du pôle habitat et ville au sein de l’équipe de François Hollande, président, depuis décembre 2008, de l’Union sociale pour l’habitat (USH) qui fédère le mouvement HLM et auteur d’un rapport parlementaire récent sur le logement social en France.  Dans le gouvernement Ayrault 2, le 21 juin, au lendemain des élections législatives, il sera nommé ministre délégué à la Formation professionnelle et à l’apprentissage auprès du ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue social.

Cécile Duflot est à une jeune urbaniste de formation, chef de file de sa formation politique, qui ne s’était pas senti la carrure suffisante pour être la candidate d’Europe Ecologie Les Verts à la présidentielle. En prenant ses fonctions, la ministre trouve une situation qui se dégrade à vue d’œil. Depuis le début de l’année, 120 000 mises en chantier seulement ont été enregistrées, soit un recul de 14,5 %, et les mois qui viennent ne devraient pas être marqués par une amélioration. En 2012, le nombre de logements terminés ne devrait pas dépasser 360 000.  On est loin des 500 000 logements par an qui figurent dans le programme de François Hollande. La ministre a confirmé à Didier Ridoret, le président de la Fédération française du bâtiment, que le dispositif Scellier, qui contribuait significativement au volume de construction, serait abrogé au plus tard le 31 décembre. Pendant la campagne, Thierry Repentin avait défendu l’idée d’un nouveau système qui inciterait les particuliers investisseurs à acheter puis à louer des logements à prix intermédiaires. Ce nouveau dispositif est à l’étude. Les investisseurs personnes physiques pourraient bénéficier d’une déduction fiscale sur neuf ou douze ans pour acheter puis louer un logement, dont le loyer serait plafonné, à des locataires aux revenus ne dépassant pas 2,5 smic. Dans le même esprit, les institutionnels pourraient être mis dans l’obligation d’investir dans le logement sous peine de perdre le statut SIIC, qui leur permet de ne pas acquitter d’impôt sur les sociétés une fois leur forfait payé.

Les promoteurs immobiliers affirment que la disparition du « Scellier » va s’accompagner d’une baisse de la production de logements destinés à la location dans le secteur libre, de l’ordre de 30%. Un alourdissement des contraintes imposées aux promoteurs, qui ne construisent que des logements en grande partie précommercialisés, pourrait également se traduire par une baisse de la production de logements en accession à la propriété non aidés. Dans ces conditions, il y gros à parier que la pénurie, déjà importante, ne fera que s’accentuer dans les prochaines années et provoquera inévitablement de nouvelles hausses de prix. Comment, alors, respecter l’objectif de 500 000 logements construits par an ? Réponse : en augmentant considérablement la construction de logements sociaux en accession à la propriété et en locatif. Avec quels financements et sur quels terrains ? La réponse, à la fin de l’année 2012, dans une loi de programmation et dans la loi de finances de 2013.

En attendant, le nombre de ventes dans l’ancien, est en chute libre. Les rares acheteurs ont de plus en plus de mal à obtenir un crédit, aux taux pourtant historiquement faibles, en raison de la frilosité des banques.

Cécile Duflot, très occupée par la campagne des législatives et les négociations qui les accompagnent, donna, aux professionnels et aux médias, l’impression de tarder à prendre à « bras le corps » les dossiers qui s’accumulent sur son bureau. C’est dans l’urgence qu’elle a pris, le 6 juin, l’engagement de « ne plus mettre personne à la rue ». Cette promesse ressemble au « zéro SDF » de Nicolas Sarkozy en 2007. Cet engagement coûte cher, très cher. 10 millions d’euros ont, d’après un récent rapport de la Cour des comptes, été consacrés en 2011 au dispositif d’hébergement d’urgence. Les associations humanitaires et caritatives attendent beaucoup du nouveau gouvernement. Elles ont évalué les besoins ; près de dix mille places seraient nécessaires pour respecter l’engagement que vient de prendre la ministre. La tâche est considérable. Le nombre des seules personnes à prendre en charge pendant la période hivernale s’élèverait à près de trois mille.

Sur le montant des loyers qui ne cesse de grimper en raison de la pénurie, c’est au quotidien « Libération » que la ministre accorde, le 4 juin, sa première déclaration, avant même la déclaration de politique générale du Premier ministre prévue le 3 juillet. Dans cette interview, Cécile Duflot annonce qu’un décret, en application de l’article 18 de la loi de 1989 sur les rapports locatifs, sera présenté fin juin au Conseil d’Etat.  Les loyers seront, dans certaines conditions, bloqués à la relocation dès la rentrée, sans attendre une nouvelle loi sur les rapports entre bailleurs et locataires qui n’interviendra que dans un deuxième temps.  Les loyers, dans les zones tendues, ne seront pas bloqués, mais le décret permettra de limiter les hausses lors d’un changement de locataire. On se souvient que la loi Mermaz de juillet 1989 prévoyait déjà un encadrement de cette nature, par référence aux loyers du voisinage, dans toutes les situations, y compris en cas de relocation. L’application des décrets s’était révélée tellement complexe qu’il avait fallu se résoudre à ne pas les mettre en œuvre. Le Conseil d’Etat donnera son avis sur le champ d’application et les modalités du nouveau décret. La solution à ce délicat problème n’est pas simple, la ministre devra faire attention à ne y perdre de sa crédibilité.

Cécile Duflot s’est exprimée également sur le Grand Paris. A l’occasion de la présentation par le cabinet Jacques Ferrier,  du projet d’architecture des futures gares du Grand Paris Express, le métro automatique qui doit désenclaver les territoires franciliens, la ministre a délibérément pris ses distances avec ses prédécesseurs. La ministre veut d’abord «répondre aux attentes de douze millions de Franciliens». Et pour cela, elle estime qu’il ne suffit pas «de relier entre eux des pôles d’excellence, au seul titre de leur attractivité économique et pour une plaquette de marketing territorial ». « Le Grand Paris ça ne pourra pas être Dubaï-sur-Seine », a-t-elle lancé. Le gouvernement « souhaite » le « maintenir » et le « poursuivre » (…) « Mais il souhaite le réconcilier avec le projet d’égalité des territoires. » Elle a rappelé que c’est un projet évalué à 32,5 milliards d’euros, dans un « contexte financier contraint pour les collectivités et pour l’État ».

La ministre du logement a trouvé également sur son bureau, le délicat problème des critères d’attribution des logements HLM. On se souvient que l’Union nationale de la propriété immobilière (UNPI) a porté plainte auprès de la Direction générale de la concurrence à Bruxelles au motif que 25 Mds d’€ d’aides de l’Etat sont  versés chaque année aux offices HLM qui logent – ou maintiennent dans les lieues – des familles qui ne répondent pas aux critères d’attribution et à l’obligation de loger des familles aux revenus modestes. Ceci, alors que plus d’un million de familles sont en liste d’attente depuis plusieurs années. La ministre n’ignore pas qu’il y aurait également un nombre élevé de logements HLM vides ou sous-occupés.

Le 2 juillet, Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, a remis officiellement au premier ministre, un rapport, dont Jean-Marc Ayrault connaissait le contenu et les recommandations depuis une dizaine de jours, pour pouvoir préparer la déclaration de politique générale qu’il devait prononcer le 3 juillet devant la représentation nationale. Au titre de l’année 2012, il pourrait manquer entre 6 milliards et 10 milliards d’euros dans les comptes publics. Les « sages » estiment que le déficit public ne pourra être ramené à 4,4 % du produit intérieur brut (PIB) à la fin de l’année, conformément au programme de stabilité transmis par Paris à Bruxelles, que si  des  » mesures fiscales nouvelles rapides et d’un montant significatif » compensent rapidement l’insuffisance de croissance. La tâche n’est pas insurmontable. Cet audit, ce n’est pas une surprise, ne laisse aucune marge de manœuvre au gouvernement. Le redressement de la France, que le nouveau chef du gouvernement promet aux Français, est possible, mais à la condition que les dépenses publiques soient contenues et que la masse salariale, dans la fonction publique, baisse significativement. Ce n’est pas tout à fait ce que le gouvernement avait prévu, même si, instruit par le souvenir de la période 1981-1983, François Hollande et son équipe s’étaient préparés à une politique de rigueur qui ne dirait pas son nom. Ils savent que pour ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013, la France va devoir réviser ses prévisions de croissance et trouver 33 milliards d’euros.

Le même jour, dans un entretien, pour le journal Le Monde, Didier Migaud rappelle que : « La France est le deuxième pays d’Europe pour le poids des dépenses publiques. La réduction de la dépense est possible sans toucher à la qualité des services publics ni au cœur de notre protection sociale. Notre pays est confronté à beaucoup de rigidités, à un foisonnement de structures et de politiques d’intervention. L’attente à l’égard de la puissance publique y est traditionnellement plus forte que dans d’autres pays. L’idée que toute réponse à un problème réside dans un supplément de moyens y est également répandue ; elle n’en est pas moins largement fausse ».

Pour être sûr de bien se faire comprendre, le premier président de la Cour des comptes cite régulièrement Paul Valéry :  » La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur «. On ne peut être plus clair ! Le Président de la République, le gouvernement et les Français sont prévenus, l’effort à accomplir, quel que soit le qualificatif employé pour le définir, devra être important. La réduction des dépenses ne sera pas suffisante, elle devra être complétée par des hausses d’impôts, dont certaines pourraient avoir un caractère exceptionnel et temporaire pour ne pas pénaliser durablement la compétitivité des entreprises qu’il faut impérativement améliorer.

Au moment d’apporter les dernières corrections à sa déclaration de politique générale, Jean-Marc Ayrault sait que, confronté à une situation assez comparable, en 1996, quand des mesures drastiques avaient dû être prises pour entrer dans les critères de Maastricht et adhérer à l’euro, la France n’avait pas supporté l’effort qui lui était demandé. Dans ses mémoires, Jacques Chirac révèle le contenu d’une note, en date du 17 août 1995, que le Premier ministre Alain Juppé lui avait remise :

« La croissance économique et la dynamique qui en résulte pour les rentrées de cotisations sociales ne suffisent pas à résorber le déficit en deux ans. Ce sont en effet les dépenses qui augmentent à un rythme incompatible avec l’équilibre général du système. Il est impératif de ramener à un régime normal un moteur qui s’emballe. Le choix auquel nous sommes confrontés est clair :

  • Ou bien augmenter sensiblement les recettes (CSG et/ou cotisations) ;
  • Ou bien maîtriser les dépenses.

Dans l’un et l’autre cas, le prix politique à payer sera lourd. Le gouvernement ne peut, à mon sens, imposer des décisions qui touchent au cœur de ce que les Français ressentent comme leur acquis le plus précieux : leur protection sociale… »

Un an après, c’est un homme épuisé, las, qui déclarait à Jacques Chirac : « J’en ai assez, je n’en peux plus, je crois que le temps est venu de changer de Premier ministre ». Un rapport très pessimiste du ministère des Finances laissait en effet peu d’espoir sur les perspectives de croissance et la possibilité d’atteindre l’objectif d’une qualification de la France à l’euro. Quant à la réduction du déficit de 5,8% aux 3% exigés, la marche à franchir paraissait inatteignable. La suite est connue.

La déclaration de politique générale, comme le style, c’est l’homme. Jean-Marc Ayrault est un adepte de la synthèse et un partisan convaincu des vertus du compromis. L’exercice, dans les circonstances actuelles,  consistait à rappeler les engagements du candidat Hollande, à expliquer  l’application du programme présidentiel, mais à ne pas en dire plus, à ne pas en dire trop !

Il a été choisi et nommé à cette fonction pour écouter, organiser la concertation, négocier et à la fin trancher. Cette conception de la gouvernance peut paraitre fade, austère, mais c’est celle de la social-démocratie du nord de l’Europe qui a fait la preuve de son efficacité. Le nouveau Premier ministre est là pour mettre en œuvre le programme du candidat Hollande et pour expliquer la méthode qu’il entend employer pour traduire en actes les engagements du président de la République. Ceux qui attendaient – ils n’étaient pas nombreux – des envolées lyriques, comme en contenaient les discours de Jacques Chaban-Delmas en 1969, de Pierre Mauroy en 1981 ou de Michel Rocard en 1988, ne pouvaient qu’être déçus après avoir entendu la longue déclaration, un peu monocorde, sans effets de manche, de Jean-Marc Ayrault, un Premier ministre « normal ». Avec lui, pas de « changer la vie », de « nouvelle société », de « notre route est droite mais la pente est forte », pas de formule inoubliable, mais une énumération de décisions à prendre, l’énoncé d’une méthode de travail.

Interrompu sans cesse par des lazzis et broncas, soigneusement organisés par l’opposition de droite, le Premier ministre n’a élevé le ton, pour exprimer sa détermination, qu’à de rares occasions, pour déclarer, geste à l’appui,       » Nous ne renonçons à rien, non et non « , (…) » Cette situation, je ne l’accepte pas !  » (…)  » Je revendique le sérieux et la responsabilité budgétaires. (…) Mais je refuse l’austérité « .  Sérieux, argumenté, son discours, qui se voulait mobilisateur, ne comportait, sans doute volontairement, aucun détail sur les intentions fiscales, budgétaires et sociales du gouvernement. Sur ce point, ce fut une surprise et sans doute une certaine déception.

C’est ainsi que dans le domaine du logement, qui nous occupe, le Premier ministre s’est contenté de reprendre ce qui figurait dans les « 60 engagements pour la France » du candidat Hollande. Sans même rappeler le très grave problème social que représente le problème du logement en France, c’est seulement au détour de son programme pour les jeunes – la priorité du gouvernement – que le Premier ministre a évoqué le logement :

« Un système de caution solidaire sera mis en place pour permettre aux jeunes d’accéder au logement. Notre ambition est de permettre à tous nos concitoyens, à chaque ménage, d’accéder à un logement correspondant à ses besoins et à son pouvoir d’achat. Le logement est devenu le premier poste de dépense des Français. Les ménages modestes ont été particulièrement pénalisés par la flambée des prix, au cours des dernières années. De trop nombreuses familles ont dû quitter les centres urbains, de trop nombreux salariés ont été contraints de se loger de plus en plus loin de leur lieu de travail. Pour répondre aux besoins des Français, un objectif de construction annuelle de 500 000 logements – dont 150 000 logements sociaux – sera mis en œuvre. Un plan de mobilisation du foncier sans précédent sera lancé : les terrains vacants de l’État seront mis gratuitement à la disposition des collectivités locales, pour permettre la réalisation de programmes d’aménagement urbain, respectueux de la mixité sociale. Le plafond du livret A sera relevé pour répondre aux besoins de financement.

Quant à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, les communes qui ne respectent pas leurs obligations en matière de logement social verront leurs pénalités multipliées par cinq. Avant la fin du mois, un décret encadrant les loyers dans les villes où les tensions sont les plus fortes sera adopté. Conformément aux engagements pris en faveur du développement durable et pour limiter les dépenses des familles, un plan ambitieux de performance thermique de l’habitat sera engagé, pour les logements neufs comme pour le parc ancien. »

Jean-Louis Borloo, au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, intervint ensuite pour exprimer la « stupéfaction » qu’il avait ressentie, en découvrant que le logement avait été séparé de l’écologie : « Pourquoi un tel démantèlement de cette action publique ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment dès lors rendre cohérents la mer, les fleuves, les océans, l’urbanisme, le logement, l’énergie ? C’est insensé, sans même vous demander comment vous comptez assurer la cohérence, l’impulsion, l’organisation et les arbitrages… J’ai le sentiment que nous revenons à une période ancienne où il n’y avait pas de politique de l’écologie mais une écologie politique, fruit d’un rapport de forces politique, à savoir silence contre circonscriptions,… »

C’est le président du groupe socialiste, républicain et citoyen, Bruno Le Roux, qui, répondant au Premier ministre, rappela la difficulté que rencontrent bon nombre de Français pour se loger : « L’accès au logement dont vous venez de parler est aujourd’hui une priorité fondamentale pour nos concitoyens. Pouvoir se loger à un prix abordable dans des villes qui ne soient pas des ghettos de pauvres ou des ghettos de riches mais au contraire des espaces où le vivre ensemble soit rendu possible : c’est ce que vous vous êtes engagé à faire et nous agirons avec vous massivement pour augmenter l’offre de logements sociaux et réduire les égoïsmes territoriaux. Je partage avec vous, toute la majorité partage avec vous, monsieur le Premier ministre, l’objectif d’une France de citoyens bien logés. Nous vous accompagnerons en soutenant le renforcement des dispositions de la loi SRU. Nous ne supportons pas que certains maires parient contre cette loi de mixité sociale et que certaines villes assument aujourd’hui ouvertement leur choix de verser une pénalité plutôt que de construire des logements sociaux. Parallèlement, il nous faudra poursuivre le programme de rénovation urbaine. À cet égard, nous ne pourrons pas nous contenter, pour les cinq millions de Français qui vivent dans les quartiers populaires, d’avoir une approche exclusivement urbaine. Si celle-ci marque une avancée, nous savons qu’elle doit être complétée par un volet humain qui a été littéralement sacrifié ces cinq dernières années. Quartiers populaires, mais aussi villages de la France rurale, zones périurbaines frappées par la crise économique, notre majorité devra engager une action résolue en faveur d’une égalité territoriale à laquelle nous sommes profondément attachés, rompant ainsi avec la confrontation entre l’État et les collectivités locales dans laquelle se complaisait le pouvoir précédent.

Le président du groupe socialiste, républicain et citoyen, a en mémoire l’engagement qu’a pris François Hollande le 1er février 2012, quand il a signé, couvert de farine, le « contrat social pour une nouvelle politique du logement » proposé aux candidats à la présidence de la République par la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés.

Ce contrat comporte des engagements précis :

  1. Atteindre l’objectif de 500 000 logements par an durant mon mandat, dont 150 000 logements locatifs vraiment sociaux (hors logements intermédiaires). Assortir toute aide publique, financière ou fiscale, de contreparties sociales (fixation de plafonds de loyers et de ressources en référence à ceux du logement locatif social). ; déposer, dès 2012, un projet de loi foncière visant à maîtriser la valeur des sols et à libérer les terrains à bâtir.
  2. Lancer, dès la 1re année de mon mandat, un plan de conventionnement visant 100 000 logements à loyers accessibles par an dans le parcprivé ; généraliser la taxe sur les logements vacantsdans les zones de marché tendu et la rendreprogressive dans le temps ; imposer le retour desinvestisseurs institutionnels en réintroduisantdes incitations ainsi qu’une obligation d’investissementdans l’immobilier locatif résidentiel.
  3. Encadrer les loyers du parc privé, notamment à la relocation, et définir les conditions de leurbaisse dans les secteurs de déséquilibre excessif ;maîtriser les prix de l’immobilier à toutes lesétapes de la production (réduction des coûts deconstruction, limitation des effets inflationnistesliés à la rémunération des intermédiaires…).
  4. Améliorer la couverture des aides personnelles au logement, maintenir leur indexation surl’inflation et en élargir le bénéfice aux catégoriesde personnes fragiles qui en sont aujourd’hui exclues ;déployer un véritable « bouclier énergétique »pour les ménages modestes.
  5. Généraliser le signalement précoce et obligatoire des impayés de loyers et refuser, sans délai, l’expulsion avec le concours de la force publique sans solution adaptée, tout en dédommageant les propriétaires. Créer rapidement les places d’hébergement nécessaires pour répondre aux besoins identifiés sur les territoires et mener à bien la transformation des structures en habitat individuel. ; dans les communes insuffisamment pourvues de logements sociaux, réserver une offre locative sociale dans le parc privé pour les ménages défavorisés (le différentiel entre le prixdu marché et celui du social devant être pris encharge par la collectivité).
  6. Éradiquer les 600 000 logements indignes en soutenant les propriétaires dans la réalisation de leurs travaux et en sanctionnant plus fortement les bailleurs de mauvaise foi.
  7. Renforcer l’article 55 de la « loi SRU » en imposant aux communes une part de 25 % de logements sociaux et en adoptant des sanctions réellement dissuasives pour celles qui ne respectent pas leurs obligations de rattrapage. Systématiser l’instauration de secteurs de mixité urbaine et sociale (programmation d’une part de logements sociaux, intermédiaires et en accession sociale à la propriété, obligatoire partout où il est nécessaire de diversifier l’habitat).
  8. Réformer la fiscalité immobilière (taxe foncière, revenus fonciers, plus-values immobilières) en instaurant une contribution de solidarité urbaine permettant de corriger, là où c’est nécessaire, les inégalités entre quartiers d’une agglomération ou d’une aire urbaine.
  9. Relancer la rénovation urbaine dans les quartiers d’habitat populaire sur la base de nouvellesexigences : reconstruction hors site et hors ZUSde la majorité des logements démolis et renforcementde la dimension sociale des projets. Engagerune action déterminée en faveur du traitementdes copropriétés en difficulté et faire évoluer la législation pour prévenir leurs fragilités et leur dégradation.
  10. Mettre en place des autorités organisatrices et régulatrices de l’habitat et du logement et desdispositifs d’observation à l’échelle des agglomérationset d’un périmètre plus large pour l’Ile-de-France. Contribuer à faire des personnes mallogées, et de tout citoyen, de véritables acteursde cette politique locale. Loin de régresser, le mal-logement s’est considérablementdéveloppé ces dernières années et lelogement est devenu une source majeure d’exclusion,d’injustices et d’inégalités. Les politiques dulogement successives n’ont pas été à la hauteur decet enjeu de société, voire parfois ont aggravé lasituation ; il est devenu capital, pour le bien commun,d’agir autrement et d’amorcer dès 2012 desréformes structurelles et simultanées dans quatredirections : la production de logements, la régulationdes marchés, la justice sociale et la mixité urbaine et sociale. Ce contrat social pour une nouvelle politique du logement pose les conditions minimales pour rendrepossible ce changement…

Seulement voilà, le monde, l’Europe, et en particulier la France, traversent une grave crise économique. Le gouvernement doit à la fois réduire les dépenses publiques et augmenter les recettes fiscales, pour respecter l’engagement qu’il a pris d’avoir des comptes publics en équilibre en 2017, tout en stimulant la croissance sans laquelle les recettes ne seront pas au rendez-vous. Autant dire qu’il s’agit de concilier l’inconciliable. Comment construire davantage et stimuler l’industrie du bâtiment quand les dépenses publiques doivent être « passées à la paille de fer » ?

 » Ce n’est pas la Cour des comptes qui définit la politique du gouvernement « , dit-on à Matignon. C’est vrai, mais la vérité est toujours concrète ! En 2013, il faudra trouver 33 milliards d’euros pour respecter l’objectif de déficit de 3%. Le chemin emprunté pour y parvenir sera étroit, difficile et ne laissera guère de marges de manœuvre.

« Le changement, c’est maintenant ». Le slogan de campagne était habile. Encore faut-il s’entendre sur la définition à donner à l’adverbe « maintenant ». S’agit-il du moment présent ou d’un avenir plus ou moins proche ? Le Premier ministre a répondu à cette question : « Le redressement prendra du temps. (…) Au cours de ce quinquennat, deux phases se succéderont. ». Les Français ne se faisaient guère d’illusions, maintenant, ils savent à quoi s’en tenir. Ils devront être patients. Il y aura dans un premier temps, c’est-à-dire maintenant, des réformes de structure pour assainir les comptes publics et retrouver de la croissance. Ensuite, mais ensuite seulement, les Français bénéficieront de cet effort collectif dans un esprit de justice. « Le président de la République, comme moi-même,  voulons installer le changement dans la durée ». Le temps n’est donc plus au  » rêve français « , cher à François Hollande, mais à la mobilisation et à la solidarité dans l’effort.

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