Le dernier séjour du général de Gaulle dans le Lot.


Publié

dans

par

L’histoire est peu connue. Elle m’a été racontée en 1997 par le préfet Pierre Lefranc. Pour les plus jeunes, Pierre Lefranc, décédé le 7 janvier 2012, n’avait que 18 ans, le 11 novembre 1940, quand il fut arrêté sur les Champs-Elysées au cours de la célèbre manifestation de lycéens et d’étudiants contre l’occupation allemande. Libéré quelques mois plus tard, il passe en zone libre où il rejoint le mouvement de résistance Combat. Décidé à se rendre à Londres, il commença par faire un séjour dans les prisons de la Guardia civil en Espagne. Admis à l’Ecole militaire des cadets de la France libre, qui formait les officiers, l’aspirant, Lefranc est, à la sortie, affecté au BCRA, le service secret de la France libre. En août 1944, il est parachuté dans l’Indre, département dont il sera plus tard le préfet, avec pour mission d’aider les maquisards à harceler les troupes allemandes qui remontaient du Sud-ouest vers la Normandie. Pierre Lefranc terminera la guerre dans le service de presse de la 1ère armée française, que commandait le général de Lattre de Tassigny.

Toujours dans l’ombre du Général, pendant que durât la IVème République, Pierre Lefranc fut nommé en 1958, chef de cabinet du nouveau président du Conseil, Charles de Gaulle. Au cours des premières années de la Ve République, il fut, comme chargé de mission puis conseiller technique, l’un des proches collaborateurs du chef de l’Etat. En 1971, il participa à la création de l’Institut Charles-de-Gaulle qui deviendra une Fondation dont il était le président d’honneur. Il a présidé, jusqu’à son décès, l’Association nationale d’action pour la fidélité au général de Gaulle.

En 1974, c’est tout naturellement qu’il participa à la 27ème session de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale et adhéra par la suite à l’association des auditeurs. Il se faisait de cette institution une très haute idée. La confrontation des points de vue des officiers supérieurs appelés aux plus hautes fonctions, des hauts fonctionnaires et des représentants de la société civile était, à ses yeux, d’une grande richesse. A l’Ecole militaire, si riche en hautes personnalités, Pierre Lefranc était un « camarade » particulièrement écouté et respecté pour son passé et sa grande culture. Toujours très élégant, avec sa petite moustache qui avait blanchie, il était amical, attentionné, mais il n’était jamais familier. Contrairement aux usages dans cette institution, il ne tutoyait que ses camarades de session. Au comité directeur, dans les réunions de commissions, tout le monde l’appelait « Monsieur le préfet ».

C’est précisément dans le cadre de l’IHEDN, qu’un jour de juin 1997, dans le TGV Paris-Poitiers, nous eûmes la conversation suivante. Ce jour-là, le président du Sénat René Monory nous avait invités à visiter le Futuroscope en sa compagnie.  Nous parlions de choses et d’autres pendant que le train traversait la Beauce à grande vitesse. Je ne sais plus pour quelles raisons la conversation porta sur le Lot, département qu’il connaît bien pour des raisons familiales. Pierre Lefranc me dit : « Vous connaissez le Lot ? » Oui, très bien, lui répondis-je, j’y ai passé une grande partie de ma jeunesse, de 1953 à 1962 ; mon père était directeur de la construction dans ce département ». Son visage s’illumina. Si près de lui, je fus frappé par la ressemblance avec le général de Gaulle. Son physique d’abord, mais aussi un certain mimétisme. Il me confia alors ce souvenir étonnant : « Au printemps 1970, après avoir quitté ses fonctions, le général de Gaulle me fit part de son intention de se rendre en Espagne. Il voulait visiter Madrid, voir l’Escurial, passer quelques jours dans un hôtel tranquille. Madame de Gaulle souhaitait, pour sa part, se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Roncevaux. Ils avaient l’intention de faire une halte dans le Lot, mais ne souhaitaient pas descendre au Château de Mercuès qu’ils connaissaient déjà. Il me demanda si, par hasard, je n’en connaitrais pas un autre aussi « tranquille et discret ». Je lui répondis : « Mon général, le « Château de Roumegouse », appartient à un membre de ma famille. C’est un excellent hôtel près de Gramat et Rocamadour, qui n’a que quinze chambres et un grand parc magnifique clos de murs. Le Général en parla à madame de Gaulle qui fut d’autant plus satisfaite de ce choix que le château se trouve précisément sur la route du pèlerinage de Compostelle. Le 3 juin 1970, le Général, madame de Gaulle et le colonel Emmanuel Desgrées du Loû, aide de camp du Général, traversèrent la France dans le plus grand secret à bord de leur célèbre DS. Le couple présidentiel se déclara très satisfait de leur séjour au « Château de Roumegouse » et poursuivit son périple dont la presse ne rendit compte que plus tard. Quelques kilomètres après avoir quitté Gramat, le chauffeur s’arrêta à un passage à niveau fermé. La garde-barrière reconnut le couple présidentiel. Très émue, alors que la sonnerie retentissait encore, elle releva la barrière pour permettre à la voiture de passer. Le chauffeur démarra et, à une fraction de seconde près, traversa la voie au moment où le train arrivait. Madame de Gaulle eut très peur ; le Général se contenta d’un « Oh ! ».

Le général de Gaulle, à son retour d’Espagne, raconta à Pierre Lefranc cette étonnante rencontre avec le destin. Pierre Lefranc, en me contant cet incident, qui ne figure dans aucun récit, pas même dans l’importante biographie de Jean Lacouture qui, en page 777 du troisième volume, fait seulement état de la halte au Château de Roumegouse, ajouta qu’à sa connaissance, « la garde-barrière ne s’était jamais remise de ce qui avait failli se passer ce jour-là. »


Publié

dans

par

Commentaires

4 réponses à “Le dernier séjour du général de Gaulle dans le Lot.”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.