«Le but, toujours le but »


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Le général d’armée (2s) Bertrand de Lapresle, vice-président de la Fondation Lyautey et de l’association nationale Maréchal Lyautey, m’a récemment fait parvenir, comme à tous les membres de l’association EuroDéfense à laquelle il appartient, les vœux que le Maréchal avait prononcés, au Maroc, il y  a 95 ans, dans le contexte de l’époque, c’est-à-dire dans une période de très grave crise économique et sociale après la guerre ; dans une période où il fallait « faire appel à tous pour l’effort, pour l’abnégation, et surtout au souci de l’intérêt général devant plus que jamais dominer les intérêts particuliers et les questions personnelles ».

Les vœux de cet homme exceptionnel, humaniste et visionnaire, sont, dans l’actualité que nous vivons, particulièrement instructifs.

Le Maréchal Lyautey
Le Maréchal Lyautey

Les enseignements de toute nature que le Maréchal nous a légués, tant sur le plan géostratégique, que dans le domaine de la gestion des territoires, sont d’une telle richesse que la Fondation Lyautey considère qu’elle a « une responsabilité morale vis à vis de l’histoire, vis à vis de ceux qui l’écrivent et la transmettent et vis à vis des jeunes qui sont l’avenir de la France ». La Fondation Lyautey a également « une responsabilité matérielle vis à vis du patrimoine Lyautey dont elle est propriétaire ». Pour remplir sa mission, elle est confrontée à la nécessité vitale d’être aidée financièrement pour que l’œuvre du Maréchal Lyautey, homme d’Etat de très grande qualité, pour ne pas dire homme de génie, ne tombe pas dans l’oubli. «Le but, toujours le but », répétait Lyautey sans se lasser. Cette devise est d’une brulante actualité au moment où la Nation se redresse et semble enfin décidée à résister aux menaces dont elle est l’objet et à repartir du bon pied.

Pour ceux que le sujet intéresse voici une adresse électronique :

 http://www.asafrance.fr/boutique/hors-series.html?route=product/product&product_id=62

C’est l’adresse du site de L’ASAF qui vient de publier un numéro spécial de 130 pages consacré à Lyautey.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur la Fondation Lyautey et, par leurs dons, aider la Fondation, le site est le suivant:  http://www.lyautey.fr

A RABAT, LE 1er JANVIER 1920

Je remercie M. Urbain Blanc et le général Cottez des sentiments qu’ils viennent de m’exprimer, au nom des fonctionnaires du protectorat, et du corps d’occupation…………….

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Certes, dans la charge que j’occupe, il faut savoir se mettre au-dessus de toute sentimentalité et prendre, dans toute la sérénité de sa conscience, ses responsabilités, au risque même de l’impopularité. Mais je n’ai nulle fausse honte à déclarer qu’il est singulièrement plus agréable de travailler dans une atmosphère de sympathie où le labeur devient tellement plus facile et fécond.

Ce souffle de sympathie, vous venez de l’apporter avec vous, messieurs, dans cette Maison de France, par ses portes largement ouvertes. Je le sens très chaudement et je vous en remercie.

C’est dans ce sentiment de confiance et de sincérité que je vous adresserai les paroles qu’il m’appartient, comme chef du Gouvernement, de dire au seuil de l’année nouvelle à tous les Français du Maroc, à ceux de Casablanca, de Rabat et du bled, aux colons, aux fonctionnaires et aux troupes.

Il ne faut pas se le dissimuler, l’année qui s’ouvre sera lourde entre toutes.

Sur le site de la Fondation Lyautey
Sur le site de la Fondation Lyautey

Tous les problèmes, et les plus angoissants, se posent à la fois, et non seulement au Maroc mais dans le monde entier.

Je ne songe certes pas à vous faire une conférence sur la politique générale. Vous êtes suffisamment éclairés par la lecture des journaux de France et de l’étranger, par les correspondances que vous recevez, par les impressions qu’ont rapportées de France ceux qui en sont revenus, pour vous rendre compte de la situation du monde.

Il est partout en pleine révolution, sinon dans le sens politique, du moins dans le sens général de ce terme.

Il est vrai que l’histoire nous apprend que ce sont ceux même qui vivent dans les temps les plus tragiques qui se rendent parfois le moins compte de leur importance.

On est saisi, en lisant certains mémoires des dernières années du XVIIIe siècle, de voir de braves gens continuer leurs gestes coutumiers, escompter des lendemains pareils aux jours précédents parce que rien n’était changé à leur petit cadre familier, alors que, par-dessus leur tête, passaient les plus grandes heures de l’Histoire.

Je suis sûr que, si quelque Gallo-Romain du Ve siècle avait laissé un journal qui tombât entre nos mains, on serait non moins saisi d’y voir la vie normale se poursuivre dans sa villa écartée, alors que se déroulait une des plus grandes révolutions du globe, la chute du monde ancien et l’avènement de l’ère moderne.

Or, qu’était à cette date le monde connu? Un dixième peut-être de la surface de notre planète, alors qu’aujourd’hui c’est sur l’universalité de cette planète qu’a passé la secousse sans précédent qui a changé toutes les conditions de la vie, suscité un ordre nouveau, et déterminé une rupture d’équilibre qu’il faudra des années pour rétablir.

Un homme qui se fût endormi en 1814 et réveillé en 1914 eût, après cent ans, à peu près reconnu la figure du monde dans ses délimitations géographiques et dans les conditions essentielles de la vie sociale.

Un homme, endormi le 1er janvier 1914, se réveillant en ce 1er janvier 1920 et parcourant l’Europe, n’en croirait pas ses yeux à la vue de cet amoncellement de millions de tombes fraîches, de ruines irréparables, de dévastations sans nom, de régions entières ayant perdu jusqu’à leur figure, du renversement de toutes les conditions normales de la vie, fortunes, production, alimentation, transports. Oui, nous vivons des temps sans précédent. Il faut savoir prendre son recul pour s’en rendre compte.

Mais lisez seulement, dans le communiqué d’hier soir, les chiffres donnés par M. le ministre des Finances, et vous y verrez parler de centaines de milliards, comme on osait à peine parler avant la guerre, de chiffres de dizaines de milliards, en les trouvant gigantesques.

Toutes les proportions sont déformées. Les mêmes mots ne répondent plus aux mêmes choses. Les anciennes formules sont devenues des étiquettes vaines qui recouvrent des choses vides.

La paix elle-même n’est pas encore partout acquise. En Russie, en Pologne, au Nord- Est de l’Allemagne, en Asie Mineure, on se bat toujours, on massacre, on pille, on brûle, les mères pleurent.

Et si j’ai cru devoir vous faire ce rapide tableau qui, je vous l’assure, n’est ni forcé de ton, ni poussé au tragique, c’est pour en tirer quelques conclusions et pour rentrer en nous-mêmes.

C’est d’abord pour que nous nous rendions compte que nous sommes des privilégiés, nous qui avons été tenus jusqu’ici à l’abri de toutes ces misères, qui ne souffrons ni du froid ni de la faim, qui savons que nous aurons ce soir notre lit, notre toit, notre vie assurée.

Sur le site de l'ASAF
Sur le site de l’ASAF

C’est aussi pour que nous prenions le recul qui ramène les choses à leurs justes proportions, pour que nous comprenions combien, au regard de problèmes si angoissants, se rapetissent tant de choses où piétinent nos préoccupations habituelles. Lorsqu’on regarde la plaine du haut d’une cime, les collines, les arbres, les maisons, qui d’en bas nous dominent, s’abîment dans la poussière et apparaissent si petits, si négligeables.

C’est ainsi, messieurs, que doivent nous apparaître désormais, tant de petits intérêts particuliers, tant de petites choses dont nous nous faisions des mondes, dont le débat incessant n’aboutit qu’à des pertes de temps et de forces que nous n’ayons plus le droit de nous permettre.

À vous, messieurs les colons, mes très chers compatriotes, je demande de ne pas perdre de vue un jour la prédominance des intérêts généraux, de faciliter notre tâche déjà si rude en la dégageant des polémiques oiseuses que je qualifierai de tempêtes dans un verre d’eau, de faire vous-mêmes le triage raisonné de vos revendications.

À vous, messieurs les fonctionnaires, civils ou militaires, car l’atmosphère des bureaux est la même, quelque habit qu’on y porte, je demande de vous rendre compte qu’à la situation que je viens d’esquisser il faut des méthodes toutes nouvelles. Les vieilles formules ont fait leur temps. Il ne s’agit plus d’ajuster ses besicles, de tirer des codes de rayonnages, de compulser méticuleusement des précédents, de s’empêtrer dans des réglementations minutieuses. Ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est voir le but, toujours le but et seulement le but, et constamment y adapter les   moyens pour l’atteindre dans le plus bref délai. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est voir toujours plus large, regarder toujours plus avant, et réaliser.

Je porte ce sentiment jusqu’à l’angoisse. Il hante mes jours, mes nuits: je n’y ai aucun mérite, parce que, du poste que j’occupe, ayant participé au Gouvernement de mon pays, les problèmes s’imposent à moi dans toute leur amplitude. Je voudrais pouvoir me décupler, pour être près de chacun de vous et vous dire : « Ne coupez donc pas de cheveux en quatre, laissez toutes ces vétilles, concluez, aboutissez, réalisez. »

Vous avez tenu à adresser à nos troupes un hommage qui m’a été au cœur, et qu’elles méritent.

Si je n’étais pas leur général en chef, portant le même habit, je serais plus à mon aise pour en dire tout ce que je pense. Je vous remercie simplement de vous être souvenu qu’elles sont là, et que c’est parce qu’elles peinent et combattent chaque jour, que tout ce qui se fait ici peut se faire.

C’est une situation sans précédent et presque paradoxale de voir un pays, dont le tiers nous résiste et est encore à conquérir, et où les communications se poussent, où le rail s’avance chaque jour, où l’œuvre colonisatrice se développe avec une intensité, une rapidité qu’on n’a jamais vues   ailleurs,   à   l’abri   d’un   corps d’occupation en plein combat, dont le front mouvant trace la limite du pays soumis, et chez qui, tandis que dans nos cités côtières la vie normale bat son plein, s’enregistrent tous les jours des pertes au feu dont les communiqués m’apportent, chaque soir, la statistique funèbre et glorieuse. Beaucoup parmi vous la connaissent, cette rude vie du bled avancé, qui ne comporte ni répit ni détente, et jamais vous n’aurez trop de reconnaissance pour les braves gens qui la mènent.

En vous adressant mes vœux les plus affectueux pour cette année de labeur, permettez-moi donc de vous laisser sur les « trois dominantes » dont je désire tant vous sentir imprégnés au sortir d’ici :

— la gratitude et l’admiration pour nos troupes qui assurent la protection de vos personnes et la progression de vos entreprises;

— un examen de conscience chez nous tous, moi inclus, pour nous demander si notre effort, notre abnégation de chaque heure, sont à la   mesure de tant de sacrifices;

— la résolution de tendre nos énergies, nos volontés, à la hauteur des circonstances les plus graves, les plus solennelles, les plus angoissantes qu’ait connues l’Humanité.


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