L’art de restaurer la dissuasion nucléaire française


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Il fallait voir le président de la République, le lundi 19 janvier, rayonnant, alerte, descendre dans les entrailles du sous-marin nucléaire lanceur d’engins à l’Ile Longue, le sanctuaire de la Force océanique stratégique. Après une semaine de vœux épuisante, c’est un Chef des armées sûr de lui, clair, précis, qui s’est exprimé au milieu des siens sur le sujet le plus difficile qui soit : la dissuasion nucléaire. Comme le rappelle fort justement Pierre Joxe, dans son dernier ouvrage, le concept français de la dissuasion nucléaire « repose sur l’idée qu’il faut être capable d’infliger à un agresseur éventuel des dommages tels que cela ne vaudrait pas la peine, pour lui, de prendre le risque disproportionné d’attaquer la France ». Il ne suffit pas de s’être doté de cette arme redoutable et redoutée, encore faut-il périodiquement convaincre que cette arme est en permanence adaptée aux menaces qui évoluent. Dissuader est un art que tous les présidents de la République, depuis le Général de Gaulle en 1964, ont pratiqué avec une égale crédibilité. Le récit (et les confidences) que Pierre Joxe fait de la haute idée que François Mitterand se faisait – à partir de 1981 – de ce pouvoir de donner la mort en cas de nécessité vitale, est très intéressant. J’encourage vivement ceux qui, à juste titre, se posent des questions sur ce sujet, à lire ce livre : Pourquoi Mitterand ?
Le jour même où le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et son rival Oussama Ben Laden expriment leurs intentions belliqueuses, le président de la République, dans un discours où chaque mot était soigneusement pesé, a étendu la notion d’intérêts vitaux, précisé que les forces nucléaires ont été « configurées en conséquence » et renouvelé le concept « d’ultime avertissement » qui avait fait couler beaucoup d’encre il y a vingt ans. Il a enfin affirmé que « le développement de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), l’imbrication croissante des intérêts des pays de l’Union européenne, la solidarité qui existe désormais entre eux, font de la dissuasion nucléaire française, par sa seule existence, un élément incontournable de la sécurité du continent européen. »
Dès le lendemain, alors que les principaux représentants du parti socialiste approuvaient cette déclaration, la presse en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne, contestait l’élargissement de la doctrine française aux « Etats terroristes » et jugé dangereuse l’évolution de la France dans ce domaine. De la part de l’Allemagne, très sensible à la question nucléaire, c’est compréhensible ; les Anglais, qui contrairement aux Français n’ont pas de véritable autonomie dans ce domaine, sont moins critiques mais considèrent que cette déclaration présente des risques. Par delà les luttes d’influence, les rivalités, les arrières pensées, les règlements de comptes entre pays membres de l’Union européenne, la déclaration de Jacques Chirac a le grand mérite de montrer la détermination de la France à défendre ses intérêts vitaux tout en laissant planer le doute sur leur nature et leur étendue. Elle a également le mérite de mettre ces pays devant leurs responsabilités dans ce domaine. Il ne peut y avoir d’Europe forte et unie sans une politique de défense et de sécurité autonome. Ce n’est pas encore le cas et le projet de constitution ne réglait pas le problème de manière satisfaisante. Sur tous ces sujets, en France et en Europe, un vaste débat démocratique doit avoir lieu. C’est en cela que cette déclaration du président de la République était importante. En d’autres termes, il a parfaitement dit à ceux qui sont susceptibles de nous menacer et à nos partenaires européens ; « Nous sommes déterminés à protéger nos intérêts vitaux, nous en avons les moyens, si vous voulez que nous nous concertions et que nous coordonnions nos politiques, parlons-en ! »


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