Jeu d’échec ou jeu de go, en Méditerranée orientale ?


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La gesticulation précède toujours l’engagement de forces militaires. On assiste donc à la classique guerre des communiqués. Jean Guisnel, dans son blog « Défense ouverte », pour le magazine Le Point, annonce l’envoi d’une frégate française en Méditerranée orientale. Aussitôt, l’agence officielle russe Ria Novosti annonce « dans les prochains jours » l’envoi d’un bateau de lutte anti-sous-marine et un bateau lance-missiles en Méditerranée,  en prenant soin de préciser que,  selon  l’état-major des forces navales russes,  ces mouvements en Méditerranée n’étaient pas liés à la situation en  Syrie mais qu’il s’agissait d’une « rotation prévue ». En fait de rotation, un bateau de lutte anti-sous-marine va rejoindre » les forces navales russes déjà présentes dans cette région qui seront complétées prochainement par la présence  du  croiseur lance-missiles de la flotte de la mer Noire Moskva, qui achève actuellement sa mission dans l’Atlantique Nord.

marine américaineL’éditorialiste du journal « L’Orient le Jour » a  beau jeu d’écrire que  « la sensibilité du monde occidental est bien curieuse (…) Voilà plus de deux ans qu’il lui indiffère de voir, pêle-mêle, parmi les documents quotidiens de la guerre syrienne publiés sur la Toile, des hommes décapités à la scie électrique, des enfants dépecés par les obus, des familles entières liquidées à l’arme blanche. Plus de cent mille morts recensés et nul ne semblait en avoir cure. Le haut-le-cœur est venu brusquement, au spectacle des gazés de la Ghouta (…) L’usage des armes chimiques est certes horrifiant, mais pourquoi la destruction massive occasionnée par l’aviation larguant des barils d’explosifs et des bombes au phosphore, les enlèvements, les tortures, les exécutions sommaires ne le serait-elle pas tout autant ? »

Quel est le but de cette action « punitive » annoncée depuis plusieurs jours? L’armée syrienne a eu le temps de prendre toutes ses dispositions, de détruire les preuves de l’utilisation de gaz et d’évacuer les cibles potentielles. Le président est à l’abri et ses avions probablement hébergés en Iran. Quelle est la crédibilité de cette action annoncée et de cette gesticulation, alors qu’il y a peu de temps encore, les autorités occidentales affirmaient qu’une action militaire était impossible en Syrie en raison du risque majeur de déstabilisation de la région et de voir la région s’embraser ?

« Coup de semonce » à l’américaine ou action « punitive » selon la curieuse expression employée par le chef d’Etat français et le chef de l’opposition syrienne ? Comme avant l’intervention américaine en Irak, de triste mémoire, le gouvernement des Etats-Unis a conclu à la responsabilité du gouvernement de Bachar Al-Assad dans l’attaque à l’arme chimique, avant même que les experts aient terminé leur mission. Les interventions en Irak et en Lybie qui ont été des erreurs n’ont donc pas servi de leçon. En Irak, c’est aujourd’hui le chaos total. Hier encore, une douzaine de bombes ont explosé à Bagdad et ses environs, tuant près de 70 personnes. Les Américains ont quitté un pays plongé pour longtemps encore dans la  guerre civile. En Lybie, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy et à son ami Bernard Henry-Lévy, la situation est identique et représente un risque bien supérieur à la situation à laquelle l’intervention était censée remédier. Le Liban a peur, la population israélienne aussi.

Alors, pourquoi prendre de tels risques ? Les opinions publiques occidentales analysent parfaitement la situation. Elles sont donc très divisées. Un sondage Reuters-Ipsos réalisé entre le 19 et le 23 août indique que près de 60 % des sondés aux Etats-Unis estiment que leur pays ne devrait pas intervenir en Syrie (contre 9 % seulement d’avis favorables). Près d’un Américain sur deux continue à penser que leur pays n’a pas à se mêler du conflit. Les Français sont partagés sur une intervention militaire, 45 % se disent favorables alors que 40 % y sont opposés, selon un très récent sondage CSA.

Obama pour le MondeCertes, l’emploi d’armes chimiques à grande échelle par le régime syrien, le 21 août, dans un faubourg de Damas, est un tournant. Certes, les efforts diplomatiques n’ont servi à rien. Certes, l’emploi de telles armes de destruction massive met la coopération internationale devant ses responsabilités. L’utilisation de gaz chimique pendant  la première guerre mondiale avait abouti, en 1925, à l’accord de Genève qui interdit l’usage du gaz sur les champs de bataille. L’emploi de tels gaz létaux  en temps de guerre constitue cette « ligne rouge » à laquelle le président des Etats-Unis  s’est référé à plusieurs reprises.

Mais, sanctionner le dépassement de la « ligne rouge » est-il plus important, parce que symbolique, moins lourd de conséquences que le laisser faire qui constituerait un précédent et, une nouvelle fois, accréditerait la thèse selon laquelle la coopération internationale n’a pas les moyens d’imposer sa volonté ? Il est légitime de se poser la question. C’est ce qu’a fait la nouvelle directrice de la rédaction du journal « Le Monde », Natalie Nougayrède, il y a quelques jours dans un excellent éditorial. « Ne pas réagir avec fermeté à l’événement chimique syrien serait ouvrir la voie à l’ensauvagement de notre ère à l’échelle mondiale. Nul ne pourrait alors prévoir quels fanatismes ou quelles tyrannies, demain, recourraient à leur tour à des armes de destruction massive, pensant qu’ils ne s’exposeraient, en retour, qu’à des paroles de dénonciation » écrit-elle.

Le temps serait donc venu de signifier au monde entier, pas seulement à Bachar Al-Assad, mais aussi  à l’Iran et à la Corée du Nord, qu’il n’est pas possible de se maintenir au pouvoir en utilisant de tels armes. En cela, ajoute-t-elle, «  le massacre de La Ghouta s’apparente à un  » Srebrenica syrien ». Si telle est la décision américaine, quel sera le degré d’implication de la France dans une intervention de nature militaire ? Si une décision du Conseil de sécurité ne peut être obtenue en raison de l’opposition russe et chinoise, la décision du président Obama devra être très habilement motivée s’il ne veut pas prendre une aussi lourde responsabilité que son prédécesseur. Il évalue actuellement les risques encourus. Il faut notamment éviter à tout prix de s’impliquer dans un conflit sunnites-chiites, exploitée par la nébuleuse Al-Qaida,  qui est un véritable « papier tue mouches ». Les Russes, habiles joueurs d’échec et les Chinois, qui ont inventé le jeu de go, pourraient-ils  se permettre de répondre aux navires américains ? C’est difficilement concevable, mais l’histoire des relations internationales est riche en surprises de toutes natures et le nouveau Tsar est, dit-on, capable de tout et se plait à le laisser penser.

Alors, partie d’échec ou partie de jeu de go ? Réponse dans quelques jours.

 


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