Jean-Jacques Servan-Schreiber : radicalisme et modernité


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Jean-Jacques Servan -Schreiber est mort dans la nuit du 6 au 7 novembre dernier. Dans les nombreux hommages qui lui ont été rendus, la presse n’a pas rappelé les conditions dans lesquelles il était devenu président du parti radical, en 1970. C’est dommage car l’histoire vaut la peine d’être racontée.
J’assistais au congrès et le souvenir que j’en ai est d’autant plus précis que j’avais des raisons personnelles d’être partagé entre l’admiration que j’avais alors pour l’éloquence du président Maurice Faure, le député-maire de Cahors et la conviction que Jean-Jacques Servan – Schreiber représentait l’avenir de ce parti et peut-être du Pays. Le « Kennedillon », sobriquet employé par François Mauriac pour qualifier la personnalité de J.J.S.S, encouragé par le succès de son livre : « le Défi américain », était bien décidé à passer du journalisme à l’action politique. Le parti radical, le plus ancien parti politique de France, qui avait formé la plupart des dirigeants de notre pays, n’allait pas bien depuis le retour au pouvoir du général de Gaulle. Il devenait même de plus en plus difficile de payer chaque mois le loyer des bureaux de la Place de Valois. Maurice Faure, qui présidait le parti depuis le 19 octobre 1969, eut l’idée de contacter Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui représentait la réforme et la modernité, et de lui proposer le secrétariat général du parti. J.J.S.S saisit l’opportunité qu’il attendait et pris le pouvoir Place de Valois avec son ami Nick Maloumian qui devint secrétaire général adjoint.
Le loyer et les dépenses de gestion courante furent payés régulièrement et les adhésions, qui n’étaient pas nombreuses auparavant, affluèrent. C’est à ce moment là, qu’avec de nombreux amis, nous avons rejoint Jean-Jacques Servan-Schreiber. Son discours, ses idées, son sens de l’organisation, dans la France de 1970 avaient de quoi séduire. Avec Michel Albert, il avait rédigé un manifeste « révolutionnaire » intitulé « Ciel et terre » qui fut adopté par le parti le 15 février 1970. Maurice Faure avait eu une bonne idée mais il sentait bien que le tourbillon allait le dépasser. Des hommes jeunes, brillants, se retrouvaient en fin de journée Place de Valois. Il y avait là autour de Brigitte Gros, la sœur de J.J.S.S, et de Nick Maloumian, Guy Sorman, Jean-Claude Colli, qui deviendra Gouverneur du Crédit Foncier de France, Claude Alphandéry, actuel président du Conseil national de l’insertion par l’activité économique, Jacques Bonacossa, aujourd’hui conseiller-maître à la Cour des comptes, et bien d’autres pour animer des commissions, produire des idées neuves, rédiger des textes. J’ai un très bon souvenir de ces réunions, de ces débats qui nourrissaient une espérance. Mais Jean-Jacques Servan-Schreiber était imprévisible et difficile à suivre. Après avoir brillamment emporté un siège de député à Nancy et juré que « député de Lorraine », il allait habiter à Nancy, que ses enfants iraient à l’école dans cette ville, il est incapable de résister à la tentation, quelques mois plus tard, de se présenter à Bordeaux contre Jacques Chaban-Delmas. Maurice Faure, qui connaît mieux que personne sa géographie politique, lui déconseille vivement d’aller à Bordeaux. « Maurice, je vous parie que je vais être élu » Le député-maire de Cahors raconte, dans ses mémoires, qu’il lui a répondu : « Je ne le crois pas mais je vous le souhaite. Si vous étiez élu, dans un tel contexte, cela changerait la politique nationale, car cela voudrait dire que vous pourriez vraiment être élu n’importe où.  »
Le 20 septembre 1970, Jean-Jacques Servan Schreiber fut battu. Dans son entourage, nous ne fûmes pas surpris. Il n’y avait vraiment que lui pour y croire. Mais tel était son caractère et son destin. Au mois d’octobre de la même année, eut lieu le fameux congrès du parti radical. L’ambiance était tendue, la salle partagée entre les partisans de la modernité, les Réformateurs, et les élus qui soutenaient le président Maurice Faure. Tous les moyens, c’est-à-dire les moins avouables, furent employés pour empêcher Maurice Faure de s’exprimer, y compris couper le micro. Le samedi matin cependant, Maurice Faure prononça un de ses meilleurs discours. C’était trop tard. Il fut battu et se retira « sous sa tente », à Cahors.
Le cœur n’y était plus dans un parti divisé. Jean-Jacques Servan-Schreiber ne fut pas en mesure de réaliser ses ambitions. Quand, en 1974, il décida d’apporter ses idées à son ami Valéry Giscard d’Estaing et de le soutenir, les « jeunes loups » perdirent leurs illusions et partirent chacun de leur coté. Entre temps, le 13 juin 1971, les socialistes avaient refondé leur parti à Epinay.


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