« J’avais huit ans quand les Américains ont libéré Dinan ».


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Le 26 juin 2013, je trouvai dans ma messagerie la demande suivante: « J’ai lu sur votre blog un article concernant votre père et l’action qu’il avait mené à Dinan durant la période de l’occupation allemande. Je suis professeur d’histoire au collège Broussais de Dinan et j’envisage de participer en 2014 avec une classe de 3e au concours de la Résistance et de la Déportation organisé chaque année et qui a pour thème cette année « La libération du territoire et le retour à la République ». Le travail sur l’histoire locale est souvent un bon moyen pour les élèves pour appréhender 010-J'avais huit ansdes questions plus larges et je pensais travailler sur des documents d’archives. Je ne sais pas encore de quelle aide j’aurais besoin mais peut-être auriez-vous quelques documents d’archives, que vous pourriez mettre à la disposition du collège, qui pourraient être utiles à nos travaux ».

Mon père m’avait en effet laissé un certain nombre de documents que j’ai, bien volontiers, mis à la disposition de monsieur Cyrille Genestay, ce professeur d’histoire, avec qui débuta un très sympathique et intéressant échange de correspondance. Ayant conservé des souvenirs assez précis de l’occupation, du collège Broussais, de la ville de Dinan, du bombardement, qui avait précédé la libération, et du désordre qui se prolongea tout au long de l’année 1945, j’avais proposé à monsieur Genestay de me rendre à Dinan pour passer un moment avec ses élèves et leur raconter ce qu’était « la vie à Dinan sous l’occupation. »

004-affiche 2 CNRDLe 28 février, j’étais donc dans ma chère et belle ville de Dinan. Le ciel était bas, la pluie froide, le magnolia, devant l’église Saint Malo, n’est pas encore en fleurs, mais le mimosa embaumait. Le collège Broussais, dans lequel j’avais été élève, occupe maintenant les impressionnants bâtiments de l’ancien lycée de jeunes filles, rue Broussais, à l’angle de la rue Chateaubriand, ces illustres personnalités qui ont étudié à Dinan.

Monsieur Genestay m’avait prévenu : « C’est une bonne classe, mais ce sont des élèves de troisième !  Leurs connaissances sont encore limitées. » J’avais fait éditer le texte de mon exposé, qui leur a été remis en fin de séance, pour que les élèves n’aient pas à prendre de notes. Pendant plus d’une heure, j’ai raconté mes souvenirs et ceux de mon père, directeur des services techniques de la ville pendant l’occupation. Les élèves étaient d’autant plus attentifs, intéressés, que mon intervention se situait à la fin de leurs travaux de recherches. Le mémoire pour le concours est terminé. Je ne suis pas membre du jury, mais il est, de mon point de vue, remarquable. C’est, à ma connaissance, le travail de recherche le plus élaboré qui existe sur cette période de l’histoire de la ville. Soixante-dix ans après la libération, les témoignages sont de plus en plus rares, imprécis. Sous la direction de leur professeur, rompu aux exigences du travail d’historien, les élèves ont approfondi tous les aspects de ces années noires, interrogé, questionné, exploité des quantités de documents, y compris en anglais, pour confronter les témoignages, rechercher la vérité, rassembler des preuves ; bref, malgré leur jeune âge, les élèves ont parfaitement répondu à l’objectif poursuivi, depuis sa création, par le Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD).

011-28-02-14avec la 3e de Broussais 2Créé en 1961, par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Lucien Paye, à la suite d’initiatives prises par les principales associations d’anciens résistants et déportés, qui souhaitaient que le thème de la Résistance soit porté par les enseignants et travaillé par des élèves, le Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD) offre, chaque année, aux élèves des lycées et collèges, « l’opportunité d’approfondir leurs connaissances sur certains aspects fondamentaux de l’histoire de la Seconde guerre mondiale et de s’interroger sur les valeurs de la République et de la démocratie, en n’en mesurant la pertinence et la modernité. »

En 1982, puis en 2001, les ministères de la Défense et de l’Éducation nationale sont devenus des partenaires de plus en plus actifs, de ce concours national, devenu une des composantes de la politique de mémoire, contribuant ainsi à son  rayonnement. « Transmettre des valeurs qui se rattachent aux droits de l’Homme et aux principes de la démocratie,  susciter un esprit de tolérance et une démarche de solidarité,  préparer à la vie de citoyen,  acquérir une démarche d’historien,  rapprocher les générations », telles sont les finalités et les objectifs de ce concours.

007-expo 2 Tony VaccaroDans cet esprit, les élèves de 3eA du collège Broussais ont recueilli, auprès de personnes âgées de plus de 75 ans, ayant habité la région de Dinan en août 44, des souvenirs de cette période. Avec l’aide du Service du Patrimoine de la Ville de Dinan et du Musée Yvonne Jean-Haffen, ils ont visité la Maison d’Artiste de la Grande Vigne pour découvrir les dessins, croquis et tableaux réalisés par Yvonne-Jean-Haffen durant l’occupation. Ils ont rencontré Mme Anne Beaumanoir, « Juste parmi les nations », venue évoquer ses années de jeunesse dans la résistance, notamment à Dinan, et le sauvetage d’enfants juifs.  Ils ont visité le musée de la Résistance des Côtes d’Armor avec quelques témoins qui avaient répondu au questionnaire des élèves. Le 1er février 2014, une journée « portes ouvertes » a été organisée  au collège Broussais, au cours de laquelle les élèves ont  présenté au public l’exposition Tony Vaccaro, 129 photographies réalisées par le soldat américain Tony Vaccaro en 1944-1945, prêtées par le Département d’Ille et Vilaine.

Pendant mon exposé, le 28 février, j’ai fait circuler un billet de deux francs, imprimé aux Etats-Unis sur le modèle du dollar, que les Américains ont mis en circulation, pendant quelques jours, dans le cadre de leur plan d’administration des territoires occupés (AMGOT) auquel le général de Gaulle mit fin rapidement et énergiquement. Mon père avait conservé ce billet devenu assez rare.

005-billet amgot3Les Allemands ayant quitté le territoire, un résistant, Marijac, de son vrai nom Jacques Dumas, dessinateur de bande dessinée, avait édité pour les enfants, sous forme d’un hebdomadaire (Coq hardi) et d’albums, les aventures des « Trois mousquetaires du maquis », 3 mousquetairestrois résistants français qui affrontaient, et tournaient en ridicule, l’occupant allemand. Je n’avais malheureusement pas conservé ces albums, mais j’ai montré aux élèves, pour les distraire, après ces tristes histoires, un exemple, réédité en 1969, des aventures de « Pinceau, l’Avocat et la Torpille », les trois mousquetaires du maquis.

J’ai eu beaucoup de plaisir à rencontrer ces jeunes gens. Ils sont intelligents, souriants, motivés. Ils ont aussi beaucoup de chance d’avoir un professeur d’histoire comme M. Cyrille Genestay.

« J’avais huit ans quand les Américains ont libéré Dinan », qui est une chronique familiale, sera en ligne, sur ce blog, dans les prochains jours.

 

 


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