Il faut sauver le soldat Burgaud


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Il est encore temps, quelques jours avant son audition par la Commission d’enquête parlementaire, de donner quelques ultimes conseils à ce jeune juge d’instruction. Au lieu de se présenter, droit dans ses bottes, le code de procédure pénale à la main, convaincu qu’il est victime d’une injustice, que tout est de la faute du Législateur, qu’il n’a rien à se reprocher puisqu’il « a rempli sa mission honnêtement et normalement, » le Juge devrait poser tous ses ouvrages de droit, derrière lesquels il se sanctuarise, et se diriger vers sa bibliothèque. Etudiant brillant, sorti d’une grande Ecole, il découvrirait très vite qu’il a fait trop de droit et oublié ses humanités. Il est évident qu’il n’est pas responsable de tout. Il y a dans cette épouvantable affaire de nombreux responsables. A l’école nationale de la magistrature, le programme ne doit pas consacrer suffisamment de temps à construire un magistrat, à construire un homme. Dans LA GUERRE ET LA PAIX de Léon Tolstoï, le Juge trouverait ce que le Prince André Bolkonski, qui rentre épuisé physiquement et moralement de la guerre contre Napoléon, dit, en français, à son ami Pierre Bézoukhov : « Je ne connais dans la vie que deux maux bien réels : c’est le remord et la maladie. Il n’est de bien que l’absence de ces maux. » Vivre pour soi, en se bornant à éviter ces deux maux, voilà toute ma sagesse actuelle. » Pierre découvre à quel point l’horreur de la guerre et le décès de sa femme, pendant son absence, ont brisé cet homme, son ami. Il cherche en vain à le convaincre qu’il fait fausse route, que le bonheur ne peut être à ce prix, qu’il ne peut pas penser ce qu’il dit. Le remord, la conscience d’avoir mal agi, n’est pas une notion juridique, c’est un sursaut de morale. Si la conscience d’avoir perpétré une mauvaise action ne se traduit pas par un sentiment de malaise, de regret, de culpabilité, le risque est grand de quitter la famille des « hommes de bonne volonté » pour entrer dans une catégorie où l’on trouve toutes sortes d’individus que l’ Histoire a marqué au fer rouge. Si le juge pense comme certains que le remord fait le malheur du monde, que c’est un tueur de bonheur, d’énergie et de réalisation, alors il ne sera pas possible de sauver le soldat Burgaud. S’il pense que pour continuer sa carrière, rebondir, il doit se débarrasser à jamais du remord, se pardonner à lui-même et surtout oublier, oublier, oublier…, cette recette du bonheur sera de courte durée. Il découvrira tôt ou tard, que ses convictions de l’instant, son sursaut d’orgueil, laisseront place à une douleur atroce qui vous tourmente toute votre vie. Pour l’honneur de la France, de la Justice, et pour la paix de sa conscience, il faut souhaiter que le Juge trouve les mots à l’adresse des victimes, de sa hiérarchie, de la représentation nationale, pour sauver ce qui peut encore être sauvé. Le président du syndicat des magistrats l’a bien compris. Hier soir, devant les caméras du dernier journal de France 3 , il avait changé de ton. Il réclamait toujours de nouvelles dispositions législatives, comme à chaque affaire qui tourne mal, mais il n’était pas aussi sûr de lui que devant Christine Ockrent, quelques semaines auparavant. Il a compris l’étendue des dégâts pour le Pays et pour l’image de la Magistrature.
Qui pourra encore dire, au début d’une procédure : « J’ai confiance dans la Justice de mon Pays ? A l’évidence, les magistrats sont mal formés. Que le juge Burgaud ose le dire, c’est sa meilleure défense. Les formateurs doivent, comme l’avoué Derville dans « le colonel Chabert » de Balzac, enseigner à leurs étudiants que les cabinets de juges d’instruction « sont des égouts qu’on ne peut pas curer. » Les magistrats ne sont pas formés comme le sont les soldats français, pourtant confrontés, le cas échéant, au devoir de donner la mort. Les explications fournies par l’Etat-major, ces dernières semaines, dans l’affaire de Cote d’Ivoire ont convaincu, si besoin était, que la place de l’éthique, de la morale figure aujourd’hui en bonne place dans les devoirs du soldat et la valeur de leur serment.
Avant de refermer sa bibliothèque, je conseille au juge Burgaud de relire le beau poème de Paul Eluard que Georges Pompidou avait récité à la fin de sa première conférence de presse en réponse à Jean Michel Royer qui lui avait demandé ce qu’il avait fait et pensé après le suicide de Gabrielle Russier. « Comprenne qui voudra! Moi, mon remord ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdue, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. »


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