« Et après, que ferez-vous ? »


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Nicolas Sarkozy publie des souvenirs. Moi aussi !

Le maire de Neuilly, très proche d’Édouard Balladur, consacrait beaucoup de temps, à la fin de l’année 1991, à rencontrer des dirigeants d’entreprises, des leaders d’opinion, des journalistes, dans le but, à la fois, de préparer une probable prochaine cohabitation et d’y jouer un rôle à la mesure de ses ambitions.

Fin 1990, à Budapest, à l’hôtel Hilton, près de l’église Mathias, j’avais croisé, dans les couloirs, une délégation d’hommes d’affaires français, conduite par Édouard Balladur et Nicolas Sarkozy. À l’évidence, l’ancien Premier ministre se préparait dans la perspective d’un retour au pouvoir de la droite et le futur président de la République, faisait bénéficier son maître de ses origines hongroises qui devaient lui ouvrir un certain nombre de portes dans ce pays qui avait un immense retard à rattraper.

Dans cet esprit, Michel Mauer organisa à COGEDIM un déjeuner avec les principaux dirigeants de Paribas que Nicolas Sarkozy connaissait peu. Dans la salle à manger de notre nouveau siège social, furent donc réunis, le 13 novembre 1991, Nicolas Sarkozy, qui était placé à la droite de Michel Mauer, André-Lévy-Lang, président du directoire de Paribas, était à sa gauche et Philippe Dulac, le directeur général adjoint, à la gauche d’André Lévy-Lang. En face, Michel Mauer avait placé François Henrot, le directeur général de la Compagnie Bancaire, Guy Le Breton, Robert Latour et moi.

Le siège de Cogedim, Square Chaptal

J’observai le futur président de la République, qui était encore peu connu, avec beaucoup d’attention et de curiosité. Il avait alors 36 ans. Après les présentations d’usage, Nicolas Sarkozy fut invité par Michel Mauer à exposer le programme qui serait mis en œuvre si, comme il en était convaincu, la droite revenait au pouvoir. Il ne toucha presque pas à ce qui était dans les assiettes successives qui lui furent présentées. Il parla, parla ; le clignement de ses paupières s’accélérait étonnamment. Il avait déjà tendance, comme pour appuyer ce qu’il disait, à plonger la tête en avant. Son débit était saccadé. Il savait déjà très bien changer de rythme et reprendre plus calmement, très vite, pour retenir l’attention de son auditoire. Son visage, expressif, passait du calme à la colère à la vitesse de l’éclair.

« Je vais vous dire », « il ne faut pas se raconter d’histoires », « il faut prendre tous les risques » ; les expressions que nous lui connaissons, étaient déjà les siennes. Il parla ainsi longuement, sans être interrompu, si ce n’est par le bruit des fourchettes. Il martela chacune de ses phrases, joua avec les couverts, guetta souvent un acquiescement et des encouragements dans les regards des autres convives.

Quand, enfin, il fut nécessaire qu’il respirât un peu, André Lévy-Lang, de sa petite voix douce qui contrastait avec celle de Nicolas Sarkozy, dit : « Et après, que ferez-vous ? ». Ne relevant pas, inutilement, la cruauté du propos, Nicolas Sarkozy reprit de plus belle, avec une conviction, un acharnement, une énergie, qui forçait l’admiration.

Nous nous séparâmes, à la fin du repas, avec le sentiment quasi unanime que cet homme avait un avenir. Guy Le Breton, toujours aussi sceptique que pessimiste, ironisa un peu sur l’irréalisme de ce qu’il venait d’entendre et l’impossibilité dans laquelle serait un gouvernement de cohabitation, de réaliser tout ce qu’il venait d’entendre. André Lévy-Lang avait dit, avec la finesse, la subtilité, qui le caractérise, tout ce qu’il avait à dire ! C’est lui, de sa douce voix, qui avait dit un jour, à un collaborateur qui discutait les instructions qu’il venait de lui donner : « Ce n’est rien, j’en parlerai avec votre successeur ».

Autre souvenir.

Le 28 octobre 1992, le président de COGEDIM m’annonça que j’allais recevoir un appel téléphonique de Charles Villeneuve, le producteur de l’émission, « Le droit de savoir », qui avait un service à me demander. Il avait décidé de consacrer sa prochaine émission au patrimoine des hommes politiques et ne savait pas comment procéder, en très peu de temps, à une évaluation sommaire des biens que possédaient Valéry Giscard d’Estaing, Michel Rocard, François Mitterrand, Georges Marchais, Le Pen et Édouard Balladur. Il avait la liste des biens leur appartenant et insista pour que je reçoive très vite Gilles Bouleau, son adjoint, chargé de préparer l’émission qui était programmée pour le 21 novembre. J’aurais dû refuser, cette méthode n’était pas sérieuse, mais c’était difficile.

Je reçus donc Gilles Bouleau le 29 octobre. Je ne devais parler à personne de cette émission et du rôle discutable que je devais jouer. L’idée ne me serait d’ailleurs pas venue de m’en vanter, il n’y avait pas de quoi. Gilles Bouleau, qui présente aujourd’hui je journal de la Une, était un jeune journaliste, brillant, intelligent, sympathique. Je ne fus pas surpris, par la suite, de voir sa carrière se poursuivre comme correspondant de TF1 à Washington, après l’avoir été à Londres. Il m’avait fait la meilleure impression.

Gilles Bouleau me laissa donc une liste dans laquelle on trouvait aussi bien l’immeuble dans lequel habite Valéry Giscard d’Estaing rue de Bénouville, dans le XVIe, que la maison de Mitterrand, rue de Bièvre et la propriété de Latché, la propriété de Le Pen, dans le Parc de Montretout, la modeste maison de Georges Marchais, dans le Midi, et l’appartement d’Edouard Balladur, boulevard Dellesert dans le XVIe et la maison de Chamonix. C’est « à la louche et au doigt mouillé » que je procédai à une vague estimation de ces biens sur la base du descriptif qui me fut fourni.

Le 21 novembre, je me rendis au Studio Bonaparte, 76 rue Bonaparte où devait avoir lieu, en direct, à 22 heures, l’émission « Le droit de savoir ». Le carton d’invitation précisait que l’émission était coproduite par Gérard Carreyrou, Franz-Olivier Giesbert, Patrick Poivre d’Arvor, qui présentait alors l’émission, et Charles Villeneuve. Le studio est petit, les invités étaient peu nombreux, dans la pénombre. Parmi les intervenants, en pleine lumière, il y avait Nicolas Sarkozy qui, pendant toute l’émission, protesta contre la méthode et les procédés employés pour « livrer en pâture » les patrimoines des hommes politiques. Des images des biens en question, avec les fameuses valeurs estimées, apparurent à plusieurs reprises sur l’écran de contrôle.

Trop naïf, je ne m’étais pas rendu compte, en acceptant cette invitation, du piège dans lequel je me fourrais. À la fin de l’émission, qui ne présenta guère d’intérêt, et d’un débat qui n’avait pour but que de dévaluer encore l’image des hommes politiques, je commis l’erreur de descendre les quelques marches qui séparaient le public du plateau, pour serrer quelques mains. Sarkozy se précipita sur moi et me dit, assez fort pour que les autres entendent : « C’est vous, qui vous êtes prêté à cette mascarade. Je ne vous félicite pas. »

Je n’étais pas fier en quittant le Studio Bonaparte. Au fond, il avait raison, je n’aurais pas dû accepter de faire ces estimations, qui n’en étaient pas, et je n’aurais pas dû accepter l’invitation.

Deux années plus tard, en 1994…….

Le marché immobilier était en crise, la « crise du siècle », depuis le début de l’année 1991. Nicolas Sarkozy avait atteint son but ; il était le ministre du Budget du gouvernement Balladur.

COGEDIM avait acheté, deux ans auparavant, à la commune de Neuilly-sur-Seine, c’est-à-dire à son maire, Nicolas Sarkozy, par l’intermédiaire d’une société d’économie mixte, un terrain dans l’île de La Jatte sur lequel il était possible de construire neuf maisons, pompeusement baptisées « hôtels particuliers ». Mises en vente en 1993, elles représentaient un chiffre d’affaires de 120 MF, c’est-à-dire qu’en moyenne chaque maison, car il s’agissait de maisons jumelées aux façades étroites, était offerte à la vente à plus de 10 MF, un prix proche du prix de revient. Malgré des efforts de présentation sans commune mesure avec l’importance du programme, des illustrations donnant l’illusion que les maisons étaient beaucoup plus grandes que dans la réalité et une maison modèle « les pieds dans l’eau » sur un bras de la Seine aux eaux assez stagnantes, les clients étaient rares. Ce produit, qui se serait arraché dans la période d’euphorie, était en décalage complet avec l’état du marché. Il arrivait trop tard. Le terrain avait été acheté beaucoup trop cher.

Nicolas Sarkozy feignait de ne pas comprendre les difficultés rencontrées. Le président de COGEDIM proposa au ministre du Budget, maire de Neuilly-sur-Seine, de passer au bureau de vente, un matin, en quittant son domicile qui était dans l’Île, à cinquante mètres, pour que nous en parlions calmement. Nicolas Sarkozy se présenta à huit heures et demie, le premier juillet, au bureau de vente où nous l’attendions. Sans attendre et surtout sans écouter nos explications, il me traita d’incapable, d’incompétent.

  • Vous êtes nuls. Je connais quinze personnes au moins, à commencer par mes amis Johnny Hallyday et Jacques Séguéla, qui cherchent une maison les pieds dans l’eau et qui sont prêts à mettre n’importe quel prix. Je vous ai donné la préférence pour un terrain que toute votre profession convoitait et vous n’êtes pas capable d’en tirer le meilleur parti. Je vous ai fait un cadeau et franchement, je le regrette.
  • Mais, Monsieur le ministre…

Bref, non seulement il n’écouta pas nos arguments et les objections des rares clients qui s’étaient montrés intéressés, mais, avec la mauvaise foi dont il est capable en pareilles circonstances, il prit l’initiative de nous qualifier, de me qualifier, d’incapable, et, avec un sourire satisfait, regagna son véhicule.

Lui en ai-je voulu ? Oui, évidemment ! Il n’est pas très agréable de s’entendre traiter d’incapable devant son personnel.

J’ai raccompagné Nicolas Sarkozy à sa voiture. Après le départ en trombe du ministre et de son officier de sécurité, j’ai rejoint les vendeurs qui débriefaient en riant. Il ne leur avait pas échappé que le maire de Neuilly ne voulait en aucun cas être tenu pour responsable de cette « mauvaise affaire ». La meilleure défense étant l’attaque, il fallait un responsable, c’était moi !

Il avait simplement un peu surjoué !

Johnny Hallyday et Jacques Séguéla ont acheté, à Marne-La Coquette, de belles propriétés qui ne ressemblent en rien aux hôtels particuliers, « les pieds dans l’eau », de COGEDIM dans l’Île de La Jatte à Neuilly-sur-Seine.

Invité de Laurent Delahousse, dimanche soir, l’ancien président de la République a reconnu que le jeune ministre du Budget du gouvernement Balladur, débordant d’énergie, volontaire, avait parfois tendance à forcer le trait, à être arrogant. C’est, en effet, l’impression que j’avais, à l’époque, retirée de ce bref entretien !

Ces maisons, ces « hôtels particuliers », pour les besoins du marketing, trouveront finalement preneurs, au fil des mois, à 5 MF en moyenne.

L’immobilier est un métier à haut risque, dès qu’une crise survient.

Nicolas Sarkozy avait déjà raconté quelques-uns de ses souvenirs. Moi aussi !


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