« Débarquer », le dernier livre d’Hugo Boris


Publié

dans

par

Gare Saint Lazare-Mardi 28 février 2023-Train NOMAD n° 3379- Paris-Trouville-Deauville- Départ 12 h 30- Quai n° 23. Confortablement installé à la place 55 de la voiture 2, je me faisais une joie de consacrer les deux heures de voyage, à la lecture du dernier livre d’Hugo Boris que j’avais acheté il y a plusieurs mois, mais que je n’avais pas encore lu.

Je m’en faisais une joie parce qu’Hugo Boris a l’art, le talent, d’aborder la condition humaine dans ses aspects les plus intimes, les plus secrets, les moins racontés. J’ai pour ce jeune écrivain, pour son style, une réelle admiration, depuis ce jour de 2013, où, sur le conseil d’un de mes meilleurs amis, j’ai lu « Trois grands fauves », un portrait romancé de Danton, Hugo et Churchill. Trois hommes au caractère exceptionnellement bien trempé. « Trois héros qui ont en commun d’avoir été confrontés très tôt à la mort, d’avoir survécu et d’y avoir puisé une force dévorante ». Ce livre, salué, dès sa parution, par les critiques, est un chef-d’œuvre auquel je consacrai immédiatement un article sur ce blog. (Trois grands fauves, éd. Belfond, Paris, 2013 (ISBN 978-2714454447) 18 €).

Quelques jours plus tard, je trouvais, dans les commentaires, un message de l’éditeur, en la personne de Raphaël Rigal, me disant qu’Hugo Boris « avait été touché par ma chronique de son roman, et souhaiterait me remercier. » Débuta alors une très amicale correspondance au fil des événements que constituèrent la parution de Police (éd. Grasset 17,50 € – EAN : 9782246861447), en 2016, qui reçut le « Prix Eugène Dabit du roman populiste », cette année-là et le film d’Anne Fontaine, sorti en salle le 2 septembre 2020, qui inspira à Philippe Ridet, dans Le Monde, un commentaire élogieux. « La première gageure de la réalisatrice Anne Fontaine, et qui n’est pas la moindre, est d’avoir transformé la Renault Kangoo, véhicule très utilisé par la police nationale, en théâtre d’un huis clos étouffant mettant aux prises quatre blocs d’humanité brute, soit trois policiers et un prisonnier. Rien de moins gai que cet habitacle qui semble se réduire, que cette suffocation qui nous gagne derrière les fenêtres fermées où défilent les lumières de la ville. » Les acteurs, Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois, les trois policiers d’un commissariat parisien, étaient pour beaucoup dans le succès du film, mais, c’est, à mes yeux, à Hugo Boris, l’auteur du livre, dont s’inspire le film, que doit revenir le principal mérite.

Après Police, Hugo Boris publia « Le courage des autres », que l’éditeur Grasset présente en ces termes : « Hugo Boris vient de passer sa ceinture noire de karaté lorsqu’il fait face à une altercation dans le RER. Sidéré, incapable d’intervenir, il se contente de tirer la sonnette d’alarme. L’épisode révèle une peur profonde, mélange d’impuissance et de timidité au quotidien. Trait de caractère personnel ou difficulté universelle à affronter l’autre en société ? Ce manque de courage l’obsède. Sa femme lui suggère de « se faire casser la gueule une bonne fois pour toutes » pour l’exorciser.

C’est avec ces souvenirs que j’ai ouvert Débarquer et pris la direction de la Normandie. Andrew Calkins, un jeune Marine de la 29Division d’infanterie américaine, aussi !

« Le jour le plus long » et « Il faut sauver le soldat Ryan » ont beaucoup fait pour que le monde entier ait conscience de ce que furent les heures qui précédèrent le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944. Hugo Boris, diplômé de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et de l’École nationale supérieure Louis Lumière a réalisé une dizaine de films courts et a travaillé comme assistant réalisateur sur des documentaires. Il a une formation et une sensibilité cinématographique qui influence son style. Il écrit souvent « caméra à l’épaule ».

Le train roulait à bonne allure. Le paysage avait cessé d’être urbain et minéral, pour devenir rural et végétal. Il faisait beau. Le chef du train n° 3379, au micro, s’était présenté et avait informé les voyageurs qu’un retard de quinze minutes était prévu en raison de la chute d’une caténaire. J’avais lu les quarante-cinq premières pages du livre quand le train s’est immobilisé un peu avant Évreux. Le chef de train a pris la parole pour expliquer aux voyageurs qu’en raison de la chute d’une caténaire, la régulation du trafic s’organisait sur une seule voie. Nous allions donc rouler sur l’autre voie, à contresens, ce qui entraînerait du retard puisque le conducteur de notre train devait attendre son tour avant de pouvoir redémarrer. Le retard étant maintenant de plus de trente minutes, les voyageurs étaient invités à se rendre, dès le lendemain sur le site TER Normandie, pour remplir le formulaire de demande de compensation !

Le sergent Andrew Calkins a quitté l’USS Charles Carroll sur lequel il était depuis le début de la nuit. « Des mois de préparation pour aboutir à ça, des milliers d’heures pour une trentaine d’hommes debout à l’air libre, dans une chaloupe en bois d’Oregon. […] L’une des vedettes rapides leur ordonne de s’aligner. Andrew sent les premiers embruns sur son visage. Un homme du groupe mortier embrasse sa croix de baptême. […] Les vagues retombent en gifles glacées sur la cale ouverte. La barge à fond plat roule et tangue dans la houle, instable sur la mer, une vraie casserole. […] Le jour se lève, les faces livides apparaissent sous la rondeur des casques. Les silhouettes des navires de guerre surgissent dans le brouillard, celles des cuirassés et des croiseurs qu’ils ne vont pas tarder à longer et à dépasser. […] Il entrevoit seulement les falaises basses de la côte et l’entrée d’une valleuse dans une déchirure de brume. Il se demande s’ils n’ont pas dévié, si la vallée suspendue n’est pas celle de Colleville-sur-Mer au lieu d’être celle des Moulins. […] Andrew distingue à l’œil nu les premiers signes tangibles de la présence ennemie sur la grève, les formes géométriques des obstacles disséminés sur la plage infinie, les pieux, les poutrelles métalliques soudées en étoiles qui prolifèrent à vue d’œil, les troncs obliques, dans le sable, étayés de courtes jambes en bois surmontés de dents d’acier pour éventrer leurs bateaux à marée haute. […] PRÉPAREZ-VOUS ! crie Garnett à l’arrière. […] Andrew enjambe le bordage, roule sur un homme immobilisé en travers, se précipite dans les remous. Le contact de l’eau gelée l’électrocute. La profondeur à laquelle il est projeté le prévient qu’ils n’ont pas pied et qu’ils sont trop chargés. […] Où sont les chars qu’on leur a promis ? […] Les mitrailleuses infatigables continuent de piquer l’air. Il trouve encore la force de se soulever sur un coude pour regarder la plage jonchée de cadavres. […] Il n’y arrivera pas, il le sait maintenant, il restera sur cette plage pour toujours, quoiqu’il arrive…

Tout au long de ces quarante-cinq premières pages, Hugo Boris décrit remarquablement, avec l’œil du réalisateur de cinéma qu’il est également, le déluge de feu, la peur, le doute, la colère, la mer ensanglantée, le sens de la mission, l’héroïsme de ces jeunes américains.

Ma voisine, les écouteurs Bluetooth dans les oreilles, fait du piano sur sa tablette. Le chef de train présente habilement, intelligemment, les excuses de la Société nationale des chemins de fer français, pour la huitième fois depuis notre départ. « Notre train ne devrait plus tarder à repartir. Nous n’avons plus que deux trains devant nous ! » En effet, le train repart, mais à vitesse réduite, sans doute pour des raisons de sécurité. Distrait par les péripéties de ce voyage et le désordre qui commençait à régner, depuis que les portes du train avaient été déverrouillées pour que les voyageurs puissent se dégourdir les jambes, j’avais posé mon livre. J’ai repris ma lecture au moment où Magali entre en scène.

Magali est une jeune mère de famille, guide sur les plages du Débarquement. « Elle est écrasée par la somme des gestes à accomplir ». Elle perd pied, ne parvient pas à surmonter les difficultés, depuis la disparition mystérieuse de son mari. « Neuf mois que Darius n’est pas mort, qu’il n’a pas été tué, qu’il ne s’est pas suicidé, qu’il n’est pas parti, qu’il ne l’a pas quittée. Ils se sont disputés à propos de rien. Elle a employé le mauvais ton, au mauvais moment, il est parti courir, ça fait neuf mois qu’il galope sans argent, sans Carte vitale et sans chargeur. » Elle ne trouve pas à la gendarmerie, l’aide dont elle a besoin. « Disparaitre n’est pas un délit, Madame. Je sais que ce n’est pas marrant ce que je suis en train de vous dire, mais ce n’est pas un délit, vous comprenez ? Un autre représentant de l’ordre, luit dit : « Mais si ça se trouve, Madame, votre mari, il est peut-être déjà rentré au moment où je vous parle. Si ça se trouve, il est chez vous en train de boire une bière dans le canapé. » Elle n’en peut plus. Elle a l’impression qu’elle commence à perdre sa voix, la maladie du guide. Magali n’arrive plus à gérer ses deux enfants. Elle a honte depuis qu’Émilien a mordu un enfant, à l’école. « L’envie de mourir se précise. » Elle se surprend à ne plus supporter les touristes qu’elle prend en charge, leurs questions, leurs réflexions.

Avant la disparition de Darius, elle s’était engagée à accueillir un vétéran américain. C’était avant ! Magali aurait payé pour accompagner un soldat du 6 juin. Aujourd’hui, alors que son arrivée est proche, elle n’en a plus la force. Personne ne peut la remplacer. Elle assumera donc sa mission, mais arrive en retard à la gare. Sur le quai, « un vieillard à casquette est assis derrière une valise à roulettes, sa canne en équilibre posée dessus. »

À petite vitesse, notre train est arrivé à Bernay. Il était quinze heures onze. Il neigeait. Le chauffage avait cessé de fonctionner ! Le chef de train prévoyait maintenant une arrivée à Trouville-Deauville à 16 h 30, si tout va bien !

  • Je suis tellement désolée !
  • Andrew Calkins
  • Comment s’est passé votre voyage ?
  • Je suis seul.
  • Vous plaisantez ? Vous venez d’où ?
  • Connecticut
  • Vous avez voyagé seul jusqu’à Bayeux ?

Hugo Boris excelle dans l’art de surprendre le lecteur. Un art que Pierre Lemaitre partage avec lui. Rien ne se passe comme prévu. Les heures que vont passer ensemble ce vétéran américain, obsédé par le souvenir de ce qu’il a vu et vécu dans la nuit du 6 juin 1944, et cette jeune femme, qui ne sait pas encore si elle parviendra à survivre, sont magnifiquement racontées par Hugo Boris. Des ombres se glissent sous la lune, sur le chemin qui mène à la plage où il a débarqué. Andrew veut y aller, tout de suite, dans la nuit. C’est pour ce moment qu’il a traversé à nouveau l’Atlantique. Hugo Boris en fait un récit touchant, tout en nuance, empreint de beaucoup de dignité et de finesse, dans cette confusion des sentiments.

  • Je me souviens de mon réveil, le 7 juin, a ajouté Andrew, quand le train arrivait à quai. Nous étions déjà à l’intérieur des terres, parce que les camarades avaient réussi à prendre les sorties de plage, la veille. Une drôle de journée, le 7 juin, on n’en parle jamais du 7 juin. Je me suis réveillé dans un trou, j’étais gelé, j’étais sale. J’étais vivant.

« Vous n’allez pas me croire, si je vous dis que le conducteur vient de déceler une panne qui nous oblige à rouler encore plus lentement ! » Le chef de « mon » train a fait cette annonce, avec humour, un peu avant Lisieux. Il ne sait plus comment formuler des excuses. Derrière moi, un voyageur explique au téléphone qu’il devait faire une expertise à Deauville qui a été annulée. Il espère qu’il pourra prendre le train pour Paris, de 17 h 30 ! Une journée perdue. Il regrette de ne pas avoir pris sa voiture.

Le livre d’Hugo Boris refermé, je suis allé sur Google pour voir les commentaires sur ce livre. J’ai tapé « débarquer Hugo Boris ». 15.900 résultats sont apparus ! Les commentaires sont plus élogieux les uns que les autres. Bravo Hugo ! Beau succès !

Je découvre, qu’invité à Blois (la ville où je suis né), au mois d’octobre dernier, Hugo Boris a dit à ses fidèles lecteurs, réunis à l’espace culturel Leclerc, « Je ne réalisais pas ce qui m’arrivait quand j’ai eu le Roblès. J’en ai plus profité lorsque je suis revenu à Blois pour le prix remis à Carole Martinez ! » Hugo Boris avait remporté le prix Emmanuel Roblès en 2006 pour Le baiser dans la nuque.

Je découvre aussi ce qu’il a raconté au journal Ouest-France en septembre. C’est en 2011, que l’idée d’écrire un livre sur le Débarquement, est née. « À Noël, chez mon oncle normand. Il me parle d’une agence de voyages de Bayeux qui permet aux vétérans et à leur famille de parcourir précisément le chemin de leur compagnie d’origine ». Le projet du roman a mûri, il s’est plongé dans les guides des plages du Débarquement, petite corporation qui, « par la force du verbe, sont ceux qui ressuscitent la violence des combats. Omaha Beach est quand même un amour de petite plage ». Dans le même temps, le phénomène des « personnes disparues » a frappé son imagination : « Les personnes disparues, volontairement ou non, il y en a 12 000 par an en France. Pour les familles, c’est pire qu’un deuil. » L’idée de réunir « des personnages qui n’ont rien de commun dans une forme de huis clos », l’intéresse. On la retrouve dans plusieurs de ses livres. Il explique : « J’aime travailler comme ça. Me documenter, arpenter le secteur. J’ai rencontré de nombreux guides, des spécialistes des barges de débarquement… N’étant pas Normand, j’avais aussi de la distance. »

À 17 h 17, le train NOMAD n° 3379- Paris-Trouville-Deauville a enfin pu débarquer ses voyageurs, avec près de trois heures de retard !

Le dernier livre d’Hugo Boris me poursuit. La magie opère ! Félicitations, mon cher Hugo, et merci de m’avoir tenu compagnie pendant ce long voyage en direction de la Normandie !

 


Publié

dans

par

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.