Ces narcissiques qui nous gouvernent.


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 Ce n’est pas sans raison que nos parents – enfin, ceux de ma génération – demandaient à leurs enfants de ne pas « faire l’intéressant ». Les temps ont bien changé.

Aujourd’hui, le narcissique est encouragé, applaudi, glorifié, dans tous les domaines. Dans le sport, dans les médias, en politique, partout ! Il faut « faire l’intéressant », afficher un sentiment de supériorité, se mettre en avant, attirer l’attention. Les narcissiques se construisent une grande confiance en eux. Ils séduisent, usent – et abusent – de leurs relations pour se mettre en valeur. Ils ont, le plus souvent, un irrépressible besoin d’être connus et reconnus, de lire dans le regard des autres, une certaine admiration. Le narcissique en rajoute, généralement, sur ce qu’il fait, se vante pour se distinguer du collectif. En un mot, il n’est pas comme les autres, il leur est supérieur et consent, tout au plus, à appartenir à des cercles qui regroupent ceux qui sont aussi narcissiques que lui, dans l’espoir de gravir encore d’autres échelons dans la compétition pour la notoriété.

Dans Libé

Dans le sport, ce besoin fait partie du spectacle. Il découle de l’individualisme de la performance, du nécessaire dépassement de soi. C’est sans conséquences et plutôt drôle. Il y a soixante ans, Kopa, notre gloire nationale, n’avait pas besoin de changer de coiffure toutes les semaines et d’afficher de nouveaux tatouages, pour montrer qu’il était le meilleur. Di Stefano, à Madrid, non plus. Les journalistes, écrivains, étaient connus pour leur talent, leur style. Les excentricités ou le physique tenaient rarement lieu de talent. Encore que ! Camus n’était pas Sartre, Beuve-Méry n’était pas Servan-Schreiber.

Le narcissisme se manifeste le plus souvent par la mise en scène de soi, des selfies, notamment aux côtés de gens connus. Les images permettent de créer et d’entretenir des relations, de participer à des groupes, des communautés. Réunis dans le concept de génération Y, les jeunes nés entre 1980 et 2000, sont identifiés comme narcissiques, connectés, instables, égocentriques, professionnellement infidèles. Cette génération « Moi Moi Moi », ne seraient-ils pas surtout une génération angoissée par l’incertitude du lendemain.

Dans le domaine scientifique, le besoin est relativement nouveau. Le cas Raoult est très représentatif du narcissisme qui caractérise notre époque. Naguère, mandarins, pontifiants, un certain nombre de professeurs de médecine, majoritairement des hommes, viennent, à l’occasion de la crise sanitaire, de découvrir la lumière, l’opium de la notoriété, l’addiction aux plateaux de télévision, aux micros qui leur sont tendus. S’agissant de la vie, de la mort, leurs avis, pourtant souvent imprécis, contradictoires, fascinent légitimement une grande partie de la population. Dotés d’un ego hypertrophié et souvent d’un culot à toute épreuve, ils sont capables de tenir des propos qui resteront dans les annales avec ceux que tenaient des militaires en deuxième section pendant la guerre du Golfe. Devant la commission de l’Assemblée nationale, le professeur Raoult a prononcé un cours magistral, fustigé ses confrères hospitaliers parisiens, les chercheurs de l’Institut Pasteur dépassés par les progrès de la science, les membres du Conseil scientifique et leurs « conflits d’intérêts ». Pendant trois heures, le risque était grand d’affirmer sans preuve, de mentir, d’exagérer, sous serment. À lui seul, il a pendant son audition, montré tous les symptômes du mal dont il est atteint : le narcissisme. Devant la même Commission, dans un autre style, infiniment plus sympathique, Roselyne Bachelot, la « tata flingueuse », a tiré sur tout ce qui bougeait. Il lui sera beaucoup pardonné, elle avait des comptes à régler.

Boris Johnson dans une de ses pitreries

C’est évidemment dans le domaine de la politique que les narcissiques sont les plus nombreux et que les conséquences du narcissisme sont les plus lourdes. Je ne vais pas les énumérer, ils sont trop nombreux. Il faut être économe de ses critiques ! Parmi les principaux spécimens de narcissiques, Donald Trump et Boris Johnson sont classés hors catégorie. Connu pour son excentricité, son narcissisme et ses mensonges, l’ancien maire de Londres a une stratégie très personnelle. Pour lui, au XXIe siècle, faire rire et faire de la politique, c’est le même sport ! La Covid19 semble cependant avoir calmé un peu son généreux tempérament. Ce que sa nomination au poste de Premier ministre n’avait pas réussi à faire, la maladie l’a fait, au moins pendant sa convalescence. Il a le grand tort de n’avoir conservé de son modèle, Winston Churchill, que les facéties. Capable de comparer l’UE au IIIe Reich d’Hitler, et François Hollande à un kapo, « Boris », alias « BoJo », démagogue ultralibéral, il a tutoyé les sommets quand, pendant la campagne pour le référendum, il avait préparé deux éditoriaux, l’un pour le Brexit, l’autre contre. Au diable les principes et les convictions. Sans limites, sans aucun sens de la mesure, il ne recule jamais avant d’utiliser le mensonge, la tricherie, la déloyauté, le mépris et le cynisme.

Son modèle, dans ce domaine, c’est Donald Trump. Le président des États Unis déshonore son pays, souvent même, le ridiculise. Non seulement il ment comme il respire, mais il en est fier. Donald Trump, contrairement à Reagan n’est le représentant d’aucune idéologie. Seuls comptent son pouvoir, sa gloire et sa fortune. Élu par accident, porté par la vague populiste d’un pays en colère, il tire profit d’un monde où règne la post-vérité, la forme moderne du mensonge en attendant d’être celle du néofascisme. Dans une récente tribune au « Monde », Alastair Campbell, ancien directeur de la communication et de la stratégie de Tony Blair recommandait de lire – ou relire – The Rise and Fall of the Third Reich, de William L. Shirer – Le Troisième Reich. Des origines à la chute, traduit en français chez Stock en 1962. Quand ce que l’on croyait impensable arrive ; quand les élites et le « système » sont montrés du doigt ; quand la race blanche, la religion et le culte de la personnalité sont glorifiés ; quand le mensonge devient un outil de propagande ; quand le nationalisme est présenté comme le remède à tous les maux, c’est, comme disait Platon, « en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. »

Vladimir Poutine à cheval

Si la mise en scène de soi est une des principales caractéristiques du narcissisme, Vladimir Poutine, au pouvoir depuis vingt ans, symbolise le culte des hommes forts qui va de pair avec le narcissisme. Poutine, a besoin de mettre en scène sa virilité et sa force dans le but de sacraliser son corps symbole de sa toute-puissance. Les photographies communiquées régulièrement de Poutine en joueur de hockey, de Poutine ceinture noire de judo, de Poutine torse nu à cheval dans les montagnes, à la frontière avec la Mongolie, de Poutine nageant dans un fleuve en Sibérie ou prenant dans ses bras une tigresse, sont dans la mémoire de tous les Russes. Ces prouesses sont habilement racontées à la population dans la grande tradition de la Russie invincible et éternelle. La 21e édition de la Coupe du monde de football avait déjà été pour lui l’occasion de montrer au monde entier le meilleur visage de son pays, abîmé après l’annexion de la Crimée en 2014…et de lui-même. La solution qu’il a trouvée pour s’aménager la possibilité d’y rester seize ans de plus, est un modèle du genre. Cette solution permettra à Vladimir Poutine de se maintenir à la tête de la Russie jusqu’à l’âge de 83 ans. Vladimir Poutine n’est pas apparu au mieux de sa forme durant la pandémie. Il a commencé, lui aussi, par la sous-estimer publiquement, avant de s’enfermer dans son « bunker », comme les Russes ont surnommé le bureau de sa résidence, en banlieue de Moscou. Il en est sorti pour célébrer, avec faste, les 75 ans de la victoire sur l’Allemagne nazie, le mercredi 24 juin. Donald Trump et Vladimir Poutine ont en commun le même mépris pour la vérité. Ils excellent tous les deux dans l’art de fabriquer leur version de la réalité ; celle qui leur convient. Le déni, dans sa bouche, devient un chef-d’œuvre.

Le culte des hommes forts allant de pair avec le narcissisme, le président Jair Bolsonaro est également un bel exemple de narcissique au pouvoir. Testé positif à la Covid19, le peuple brésilien l’a vu retirer son masque pour échanger avec des journalistes, à Brasilia, le 7 juillet. Dans un pays où le virus a déjà fait plus de 66 000 morts et 1,6 million de malades, le président du Brésil ne cesse de relativiser la pandémie et d’exposer son peuple – et lui – à la menace virale.

La pandémie et la mise en pause de l’économie mondiale sont une bénédiction pour les autocrates qui s’en donnent à cœur joie. Le président Erdogan est de ceux-là. Ce qu’il fait en Libye, aurait, au XIXe siècle, été de nature à déclencher une guerre. Pour réaliser son rêve de restaurer le califat, il ne se fixe aucune limite et avance sans rencontrer la moindre résistance de l’Occident. C’est ainsi qu’il met en œuvre son projet de reconvertir la basilique-musée de Sainte-Sophie en mosquée. Sécularisée en 1934 par Atatürk et inscrite en 1985 au patrimoine de l’Unesco, Sainte-Sophie est un symbole qu’Erdogan utilise pour camoufler ses difficultés et défier Washington, Bruxelles, Athènes et Moscou par la même occasion.

Le bilan sanitaire des autocrates narcissiques, adeptes de la fuite en avant, n’est pas brillant. Ils sont apparus incompétents, irresponsables, incapables de gérer une crise de cette nature.

Mme Merkel le 3 juillet à Berlin

Les démocraties comme la Corée du Sud, Taïwan, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, la Suisse ont démontré, au contraire, leur capacité à gérer, dans le respect de leurs valeurs, une situation inédite. Pour ceux qui en doutaient, la démocratie est apparue comme le régime politique le mieux adapté pour répondre à une menace exceptionnelle.

Angela Merkel, Jacinda Ardern, la Première ministre de Nouvelle-Zélande, et Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise, des femmes, ont fait preuve d’humilité, d’humanité, d’empathie, et d’une grande capacité d’organisation. Sans jamais céder à la panique, elles ont su construire de la confiance, coordonner les actions des scientifiques, des autorités locales et communiquer sans excès d’optimisme ou de pessimisme, avec la population, dans la plus grande transparence et sans le moindre signe de narcissisme.

Si la démocratie semble sortir renforcée de cette crise, la démagogie, son ennemi, a encore de beaux jours devant elle. Les Matteo Salvini, Beppe Grillo, Steve Bannon, conseiller de Trump, et autres Dominic Cummings, conseiller de Boris Johnson, et autres Orban et Cie, experts en manipulation des peuples, ont encore plus d’un tour dans leur sac !

Et notre président, me direz-vous ? Narcissique, il l’est assurément. Nous le savons depuis sa campagne et son installation à l’Élysée, mais je ne suis pas de ceux qui pensent que son narcissisme pourrait constituer un danger pour la démocratie. Il joue « petit bras », avait dit de lui, François Fillon !

Peut-on faire confiance aux narcissiques ? Telle est la question !

Dans une période de crise, caractérisée par tant d’incertitudes, de craintes, avoir confiance est essentiel. La confiance ne se décrète pas, elle se mérite. Les infectiologues, les responsables de la santé, les dirigeants politiques, ont-ils fabriqué de la confiance ou, au contraire, provoqué de la défiance ? Aux États Unis, il suffit de regarder le professeur Fauci, pour avoir la réponse. Le manque de confiance amplifie la crise. Au Brésil, les faits répondent à la question. En France, la confiance n’a pas fait bon ménage avec le mensonge et les contradictions. En Allemagne, la confiance a été intelligemment construite. Le bilan sanitaire confirme l’importance de la confiance y compris dans les relations entre les personnes.

Cette crise a déstabilisé les narcissiques et ébranlé la confiance qu’ils ont en eux et que leur peuple a en eux.


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