Cent jours qui ébranlèrent l’Europe


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La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, s’était donnée cent jours pour réussir le début de sa présidence. Ces cent jours se terminaient le 6 mars. Ce jour-là, dans un communiqué, la présidente, considérait que cette première étape était un « excellent départ » avec le Pacte vert et les projets dans le numérique. De l’épidémie, pas un mot. Le vendredi 20 mars, en raison de la gravité de la pandémie et de ses conséquences économiques prévisibles, Ursula Von der Leyen suspendait le pacte de stabilité qui limite les déficits budgétaires des pays européens.

Aujourd’hui, 9 mai 2020, c’est la Journée de l’Europe, une Journée de l’Europe un peu particulière, puisque c’est également le 70e anniversaire de la déclaration de Robert Schuman. Un peu particulière, en ce sens que la pandémie met l’Europe à l’épreuve. L’Union européenne doit affronter la pire crise de son histoire. La solidarité entre les Etats membres ne va plus de soi, elle se heurte aux réalités. Epreuve douloureuse, au moment de rendre hommage à Robert Schuman qui, le 9 mai 1950, dans sa proclamation solennelle avait prévenu : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »

L’Union européenne, comme le monde entier, est ébranlée par une épidémie qu’elle n’a pas vu venir. La Commission européenne et la BCE, au début, ont sous-estimé la crise sanitaire. Certes, la santé n’est pas de la compétence de l’UE, les questions sanitaires relèvent des autorités nationales. Il n’en reste pas moins que l’Europe n’a pas été à la hauteur de la situation. « L’Europe qui protège », d’Emmanuel Macron, a, pendant plusieurs semaines, manqué à ses promesses. Les Européens ont découvert, effarés, le repli sur soi des États, la vulnérabilité de l’Europe et sa dépendance de la Chine. La Commission européenne et la BCE se sont repris et vigoureusement mobilisées. Le climat n’était pas à la célébration de la journée de l’Europe. L’atmosphère entre les Etats membres était tendue.

L’Union européenne n’a pas été la seule institution à être sidérée par brutalité de la crise et par ses conséquences. La Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil, et quelques autres, ont été très vite dépassés par l’événement. Aucun pays n’était véritablement prêt à affronter une pandémie de cette importance. Singapour, Taiwan, étant des cas particuliers.

Les populations, inquiètes pour leur santé, ont pris conscience, à cette occasion, de l’impuissance de leurs institutions et de leurs dirigeants politiques. De l’impuissance et de la légèreté. Quand, le 13 février, les vingt-sept ministres de la santé se séparent en déclarant que « la réponse efficace de l’UE à la menace de l’irruption possible de la pandémie a été reconnue lors de cette réunion », les peuples ont des raisons de douter. Quand, deux jours plus tard, le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies, salue « une exécution rapide des diagnostics moléculaires par les réseaux de laboratoires spécialisés européens » et « une bonne couverture géographique pour les tests », il y avait de quoi être perplexe.

Dans le même temps, quand l’Italie a demandé que le Mécanisme de protection civile de l’UE pour la fourniture d’équipements médicaux de protection, soit activé, aucun État membre n’a répondu à l’appel de la Commission. Seules la Chine et la Russie ont répondu. L’Europe s’est, une nouvelle fois, montrée incapable d’apporter une réponse politique, incapable d’anticipation, de prévention, de coordination.

Sur les conséquences économiques qui s’annoncent catastrophiques, la BCE a d’abord bafouillé, puis s’est reprise le 12 mars, avec un plan de sauvetage de 750 milliards d’euros. Les États membres ont voté, au plan national, des plans de relance pour ne pas sombrer. De son côté, Mme Von der Leyen, le 13 mars, a annoncé qu’en raison de la récession probable, la Commission suspendait le pacte de stabilité qui limite les déficits budgétaires des pays européens. Les ministres des finances se sont mis d’accord sur une aide de 540 milliards d’euros pour secourir les entreprises et sauvegarder le modèle social,

Fin mars, devant la gravité de la situation, Giuseppe Conte, le Premier ministre italien, a réclamé « un instrument commun de dette ». En un mot, de la solidarité européenne. La France est aux côtés des Italiens. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne et des Pays Bas. Angela Merkel et Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, ne veulent pas entendre parler de « coronabonds », une sorte de mutualisation de dettes. C’est une nouvelle fois le moment de vérité de l’Europe.

L’Europe est divisée, ce n’est pas nouveau, sur de trop nombreux sujets ; entre Nord et Sud, mais aussi entre Est et Ouest. Les pays d’Europe centrale et les pays Baltes, relativement épargnés, font bande à part ; la Hongrie et la Pologne, s’exonèrent de quelques règles de l’État de droit. Il n’y a toujours pas d’accord sur le budget.

Il aura fallu 15 heures de négociations pour que les 19 pays de la zone euro parviennent à un accord sur trois mesures importantes concernant l’intervention de la Banque européenne d’investissement, du mécanisme européen de stabilité et le recours au chômage partiel, loin des « coronabonds » et de la mutualisation de la dette, mais qui devraient être d’une certaine efficacité. La France réclame un « Fonds de relance économique » d’au moins 1 000 milliards d’euros, dans le budget européen ou en dehors, pour financer la relance européenne.

Que va devenir le projet de « Green Deal » ? Le seul, depuis un an, dont les Européens ont entendu parler !

Dans tous les domaines, les intérêts particuliers reprennent le dessus. C’est ainsi que le choix de l’Allemagne, en pleine crise du coronavirus, d’acquérir des avions américains F18, a fait désordre. Après la Pologne, les Pays Bas et la Belgique, qui ont commandé des avions américains F35 pour plus de 100 milliards d’euros, il devient difficile de parler d’autonomie stratégique et d’une défense européenne qui doit se construire d’abord sur l’industrie.

La politique du rapport de force de Donald Trump donne des résultats : importations de voitures allemandes aux USA contre exportations agricoles US en Europe. Les exportations européennes aux USA génèrent chaque année un excédent commercial de 140 milliards d’euros par an, dont la moitié pour l’Allemagne qui défend quoiqu’il en coûte, son industrie civile.

Élevée dans la culture du compromis, la présidente de la Commission a, en permanence, le souci de ne fâcher personne. Ce n’est pas toujours compatible avec l’autorité dont elle doit faire preuve afin d’incarner l’Europe. L’absence de coordination sur le délicat sujet de la fin du confinement en est l’illustration.

Mme Von der Leyen, peu préparée à ce poste, fait ce qu’elle peut, avec des institutions qui sont ce qu’elles sont. Là est le problème, depuis longtemps, trop longtemps !

L’Europe ne va pas disparaître du jour au lendemain, mais, disserter sur la souveraineté européenne, sur les attributs de la puissance, sur l’autonomie stratégique, paraît aujourd’hui trop abstrait, trop loin des réalités. La bureaucratie européenne, inspirée de la haute administration française, est souvent hors sol, loin du quotidien des peuples.

Comment s’étonner après cela que les Européens réclament une autre Europe. Une Europe qui passe des principes et des règles contraignantes, à des mesures concrètes qui changent la vie.

Il y a un an, à peu près, jour pour jour, nous publions Jean-Paul Benoit et moi, les entretiens que nous avions eus sur l’état de l’Union européenne et son avenir. Sous le titre, volontairement provocateur : « L’Europe : l’être ou le néant ? », nous abordions toutes les questions qui fâchent. Les traités, les institutions, la gouvernance, la puissance, la souveraineté, le sens du collectif, le modèle économique et social, l’humanisme, le souci de la civilisation, le mode de vie ; bref, tout ce qui forme un ensemble de valeurs qui donne un sens au projet européen. Enrique Baròn Crespo, ancien président du Parlement européen, avait bien voulu préfacer cet essai.

Nous considérions que la communauté des nations européennes a les moyens de construire une nouvelle ambition démocratique qui lui permette de maîtriser son avenir. Il suffit de le vouloir. Encore faut-il le vouloir !

Le 26 mai 2020, les Européens avaient élu leurs représentants au Parlement européen. La participation de 51 %, en hausse de plus de 8 points, avait conféré au Parlement une incontestable légitimité. La vague eurosceptique annoncée ne s’était pas produite, mais le paysage politique dans les plus grands pays de l’Union européenne n’en est pas moins bouleversé. Les mouvements populistes voulaient changer profondément l’Europe. Ils n’y étaient pas parvenus, mais les fractures sociales demeurent dans la plupart des pays européens.

La menace populiste écartée, les Européens convaincus étaient en droit d’espérer que la refondation du projet européen allait pouvoir être entreprise avec le souci du concret et de l’efficacité.

Quatre réunions du Conseil européen furent nécessaires avant de parvenir à un compromis sur la désignation des postes clés. Pendant cette trop longue période de transition de près de six mois, l’Histoire avait poursuivi son cours. Les difficiles négociations avec le Royaume Uni, qui exigeaient une unité européenne sans faille, ont été conduites magistralement par un Michel Barnier inflexible. Les États-Unis ont continué à déstabiliser les relations internationales et les conflits, notamment au Proche orient, ont rendu plus urgent encore la définition et l’organisation du concept d’autonomie stratégique de l’Europe, destinée à garantir sa sécurité dans tous les domaines avec le souci de construire une certaine souveraineté européenne.

Mais que de temps perdu ! Que d’énergie dépensée en longues réunions sans décisions ! C’est le prix à payer pour être en démocratie, me direz-vous. Sans doute ! Peut-être ! Un an après, l’Europe donne toujours l’impression d’être en panne. Est-ce que l’Europe peut se réformer sereinement dans ces conditions, alors qu’elle est exposée à de nombreuses menaces, certaines imprévisibles comme cette pandémie. L’Europe n’a plus d’alliés dans le monde. Les Américains se retirent et les autres pays sont plus souvent des ennemis économiques que des alliés. L’Europe doit donc se défendre, se protéger, dans tous les domaines.

Au jour le jour, l’entente franco-allemande, essentielle historiquement, n’est sans doute pas assez ambitieuse ; pourtant, les projets ne manquent pas, dans le domaine de l’armement, entre autres, dans celui de la politique de concurrence, pour remédier au réchauffement climatique ou dans l’industrie des batteries électriques. La France lance des idées, ouvre des chemins, mais ce n’est pas simple. L’Allemagne, et Mme Merkel en particulier, n’est pas à la hauteur de son destin européen.

Nous n’avons pas un mot à changer à ce que nous écrivions, il y a un an, dans « L’Europe : l’être ou le néant ? ». L’Europe joue son avenir à chaque crise, mais il se pourrait qu’il y en ait une qui lui soit fatale. Combien faudra-t-il de graves crises avant que les chefs de gouvernement européens fassent ce qu’ils ne voulaient pas faire jusque-là. Combien faudra-t-il de graves crises avant que les chefs d’État et de gouvernement prennent conscience que leurs nations sont en danger de mort et que seule l’Europe, une Europe puissance, souveraine, suffisamment autonome stratégiquement, peut encore sauver leurs peuples et éviter à leurs pays de sombrer dans les poubelles de l’histoire.

Le 9 mai 2020, « la Journée de l’Europe » à toutes les chances d’être un jour triste pour les Européens convaincus.

« N’attendons pas que « la haine de pays à pays, d’un peuple à l’autre, d’une table à l’autre » nous assaille, qu’elle sépare « les hommes des hommes, les nations des nations ». Agissons en tant qu’Européens, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. » (Stefan Zweig)

NB

Pour ceux (et celles) que le sujet intéresse, voici les adresses de deux sites. Celui de l’Institut Jacques Delors qui célèbre le 70e anniversaire de la déclaration Schuman :

https://webmail22.orange.fr/webmail/fr_FR/read.html?IDMSG=39285&FOLDER=SF_INBOX&ORIGIN=&SORTBY=&PAGE_RETURN=1

Et celui de la Fondation Robert Schuman qui consacre une page spéciale à l’événement

https://webmail22.orange.fr/webmail/fr_FR/read.html?IDMSG=39231&FOLDER=SF_INBOX&SEARCH=NOK&check=&ORIGIN=


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