Barcelone 1995 – 2005 – La faillite d’une grande espérance


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Au début de l’année, Jacques Chirac et José Luis Zapatero, conscients que le dixième anniversaire du Processus de Barcelone avait toutes les chances d’être célébré fin novembre dans la morosité, avaient déclaré leur intention commune de tout mettre en œuvre pour relancer le partenariat euroméditerranéen. Une conjonction de facteurs les encourageait à l’optimisme : la mort d’Arafat, la conversion de Sharon, l’adoption probable du projet de constitution européenne, les événements en Ukraine, les élections en Irak, le sursaut populaire au Liban. Invité à faire une conférence sur ce sujet, au mois de mars, j’avais eu du mal à faire partager cet optimisme à mon auditoire. C’était à Marseille, une ville et une population particulièrement sensibles et attachées à tout ce qui caractérise le pourtour méditerranéen. Pour expliquer la grande espérance que le processus de Barcelone avait fait naître autour de la Méditerranée en 1995, je racontais que les hasards de la vie professionnelle m’avaient mis en relation, dans les années 80, avec deux personnalités marocaines : l’écrivain Tahar Ben Jelloun et l’ancien ministre de la santé, Douiri, un polytechnicien. Ce dernier m’avait dit un jour : « Notre rêve, est d’entrer un jour dans l’Europe ». « Regardez », m’avait-il dit, « ce qui s’est passé en Espagne et au Portugal. L’Europe, c’est la prospérité économique, la paix, la démocratie. La certitude de ne pas revenir en arrière. » En 1995, peu de temps après les accords d’Oslo, le climat était propice. Sous présidence espagnole, l’Union européenne avait réussi à réunir à Barcelone les quinze Etats européens et 12 pays du pourtour méditerranéen. Tous les Etats étaient représentés à l’exception de la Libye, sous sanctions. Débarrassée du danger à l’est, l’Europe était consciente que le danger était maintenant au sud et qu’il n’était que temps de prendre des initiatives. Le Sommet fut un succès. Tous s’engagèrent, après une discussion serrée, à promouvoir la paix, la stabilité, la sécurité et à créer les conditions de la prospérité économique. Inspirée de la méthode employée à Helsinki, le projet – sui generis – était, de l’avis général, astucieux. Dix ans plus tard, le bilan est pauvre, la situation géopolitique dans la région, préoccupante ; Les conflits de basse intensité (différends gréco-turque en Mer Egée, algéro-marocains) et les conflits majeurs ( israélo-palestinien, libano-syrien, au Sahara occidental, ont eu tendance à s’aggraver sur fond de terrorisme. Le cœur n’y est plus de part et d’autre. L’ ambassadeur d’un pays de l’est, qui a récemment adhéré à l’Union européenne, me disait, il y a quelques semaines : « Le processus de Barcelone a coûté très cher à l’Europe et les résultats sont nuls. » Voilà bien une partie du problème ; pendant ces dix années, la politique européenne a favorisé les pays d’Europe de l’est qui ont reçu dix fois plus que ceux du pourtour méditerranéen souvent incapables de présenter des projets conformes au cahier des charges de Bruxelles. L’autre partie du problème, il faut bien le dire, c’est que l’Islam fait peur. Dernière religion à avoir une pensée politique tirée de l’Ecriture, elle ne reconnaît pas la citoyenneté, les Etats. On ne dit pas les Irakiens, on dit les sunnites ou les chiites. L’interprétation du Coran est parole divine. Kemal Atatürk apparaît, aux yeux de la plupart des musulmans, comme un colporteur des idées occidentales. C’était le cas de Sadate, victime d’une fatwa, pour les mêmes raisons. Ben Laden a atteint l’Amérique pour impressionner les musulmans. L’Islam est une âme sans territoire ; l’Europe, un territoire sans âme. Les américains l’ont bien compris ; c’est la raison pour laquelle leur projet de Grand Moyen Orient consiste à chasser les dictateurs par la force et à imposer la démocratie dans ces pays complexes. Le 28 novembre dernier, huit des dix chefs d’Etats et de gouvernement du sud de la Méditerranée ont décidé de ne pas participer au dixième anniversaire du partenariat euro-méditerranéen pour marquer leur mécontentement. Ils ne supportent plus les pressions qu’exerce l’Union européenne pour le respect des droits de l’homme et de la démocratie. Ils considèrent que les progrès politiques doivent être la conséquence du développement économique et non la condition préalable. Bref, ils sont déçus et entendent le faire savoir. C’est un échec pour Tony Blair, président en exercice de l’Union européenne et pour José Luis Zapatero. Il faut donc, sur fond d’immigration qui s’accélère et de lutte antiterroriste, refonder la coopération euroméditerranéenne. 40 millions d’emplois doivent être créés dans cette région au cours des quinze prochaines années. José Manuel Barroso a prévenu que cela ne pourrait se faire sans profondes réformes politiques et économiques. C’est un défi considérable pour les européens. C’est la raison pour laquelle je viens de signer l’appel pour une Communauté du Monde Méditerranéen que viennent de lancer des personnalités d’horizons très divers comme Alain Juppé, Felipe Gonzales, Jean René Fourtou, Hubert Vedrine, Dominique Strauss-Kahn, Jean Lacouture, etc Ceux qui liront ce papier, et qui s’intéressent au sujet, peuvent signer cet appel en ligne au : www.calame.coop


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