Arx tarpeia Capitoli proxima


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Il est apparu plus vieux que la veille, marqué par l’épreuve, la tête basse. Le président Joe Biden s’est exprimé lentement, à voix basse, de la Maison Blanche, pour dire à la nation américaine, à la presse réunie et au monde entier, que les treize militaires américains morts au cours des attentats commis à Kaboul et revendiquées par l’organisation État islamique-K (EI-K), la branche régionale de l’organisation djihadiste, le jeudi 26 août, étaient des « héros ». Il avait les larmes aux yeux, ce qui rendait encore plus pathétiques les mots vengeurs et la colère qu’il ressentait. « Nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer », « La menace terroriste a métastasé », disait-il. Sans doute, mais n’aggravait-il pas son cas en donnant cette explication ? Pourquoi les services de renseignement américain, pourtant informés depuis plusieurs heures, n’ont pas été capables de cibler les terroristes de l’EI-K et éventuellement de les neutraliser ?

Ce que l’administration Biden craignait, venait d’arriver. L’Amérique, une nouvelle fois, était humiliée.

Pendant que Joe Biden parlait, des images, des faits, des mots, me revenaient en mémoire.

La Une de Time. Le président Joe Biden, et la vice-présidente, Kamala Harris, avaient été désignés, le jeudi 10 décembre, personnalités de l’année du magazine américain qui avait ainsi salué la promesse de renouvellement incarnée par les futurs président et vice-présidente des États-Unis. Le 20 janvier, ce n’est pas, il y a un siècle, Joe Biden avait prêté serment à Washington, dans une capitale en état de siège, paralysée par la pandémie. Cent jours plus tard, le pays avait retrouvé le calme. Le nouveau président, que l’on disait gaffeur, fatigué, apparaissait sérieux, énergique, déterminé, ambitieux, même, avec une vision à long terme. Les Américains ne reconnaissaient pas celui que Donald Trump appelait « Sleepy Joe », un homme dépassé par l’âge, endormi dans son sous-sol. Son autorité, son audace, suscitait beaucoup d’espoir.

À l’occasion des Cent jours, deux instituts de sondage accordaient 61 % d’opinions favorables au nouveau locataire de la Maison Blanche. 55 % des personnes interrogées estimaient que Joe Biden avait « retourné le pays dans le bon sens comme jamais aucun président ne l’a fait avant lui. » Il faut dire que des milliers de milliards de dollars promis ont vite fait de vous retourner l’opinion !

Bref, un parcours sans faute. « Bien joué Joe. »

Selon un sondage réalisé par la chaîne NBC, quatre mois après, la cote de popularité du président américain a baissé de 4%, passant de 53% en avril à 49% en août

La deuxième image qui m’est venue à l’esprit, était celle de Jimmy Carter à la Une de Time. Avant Joe Biden, Jimmy Carter, en 1976, avait eu cet honneur « à la suite de son impressionnante ascension au pouvoir, en raison de la nouvelle étape qu’il marquait dans la vie américaine et en vue des grands espoirs qu’il suscitait. »

Quatre ans plus tard, vingt-quatre minutes après avoir cessé d’être président, Jimmy Carter, battu par Ronald Reagan, humilié jusqu’à la dernière minute, annonça la nouvelle au peuple américain, à la télévision : Les otages américains avaient enfin quitté le sol iranien. Les cloches sonnaient à toute volée dans tous les États-Unis et les sirènes hurlèrent pendant quatre cent quarante-quatre secondes.

Que s’était-il donc passé en Iran après la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeini, soutenu par une grande partie de la population ?

Jimmy Carter le 25 avril 1980

En quelques mots, son parcours présidentiel, avait déraillé le 4 novembre 1979, le jour où des étudiants khomeynistes avaient occupé l’ambassade des États-Unis à Téhéran et pris en otage le personnel diplomatique. Ce jour-là, avait commencé l’affaire des otages américains et l’enfer pour Jimmy Carter. Les preneurs d’otages avaient exigé, contre la libération des personnes détenues, « l’extradition immédiate du chah », en traitement médical à New York. L’Iran, par l’intermédiaire de ces étudiants, défiait les États-Unis Le président américain refusa et ordonna le gel de tous les avoirs iraniens dans les banques américaines.

L’affaire des otages américains en Iran qui dura du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981fut interminable et porta un coup terrible à l’image des États-Unis et à Jimmy Carter.

Les cinquante-deux otages, détenus par petits groupes, subissaient des sévices et psychiques. La situation ne pouvait plus durer. La perspective de les voir libérer s’éloignait. L’opinion américaine s’impatientait. Selon un sondage publié dimanche 20 avril par le Washington Post, deux Américains sur trois étaient favorables à une action militaire contre l’Iran, même si cela devait mettre la vie des otages en danger. La grande majorité des personnes interrogées entre le 9 et le 13 avril 1980 estimait que M. Carter agissait avec trop de mollesse. Un sondage semblable, en janvier, publié par le même quotidien, avait montré qu’une majorité s’opposait alors au recours à la force.

Pendant le trop bref gouvernement Chapour Bakhtiar, au début de 1979, Washington avait envisagé d’organiser un coup d’État destiné à mettre les militaires iraniens au pouvoir et barré ainsi la route à l’imam Khomeiny. La rapide désintégration de l’armée (Tiens, tiens, déjà ! avait empêché l’exécution de ce plan.

Le souvenir de mes conversations avec Chapour Bakhtiar me revenait également en mémoire. J’ai déjà raconté, sur ce blog, la dernière fois, c’était le 7 août 2018, les circonstances dans lesquelles j’avais fait la connaissance du dernier Premier ministre du Shah d’Iran, assassiné à Suresnes le 6 août 1991, il y a trente ans.

Les négociations interminables, n’aboutissant pas, le 7 avril 1980, Jimmy Carter avait rompu les relations diplomatiques avec l’Iran et, deux semaines plus tard, donné le feu vert à la malheureuse opération Eagle Claw, pour libérer les otages. La planification était-elle trop complexe, trop risquée ? Du travail d’amateurs ! Toujours est-il que des problèmes techniques et des tempêtes de sable imprévues conduisirent à l’abandon de l’opération. Trois hélicoptères RH-53D sur huit tombèrent en panne, et un quatrième entra en collision avec un avion de transport C-130 Hercules au sol et s’écrasa, faisant huit morts.

Le 25 avril à 7 heures du matin, c’est un Jimmy Carter blême, accablé, qui se présenta devant les caméras de télévision pour rendre compte de ce qui venait de se passer. Cet échec était une nouvelle humiliation pour les États-Unis, cinq ans après le départ du Vietnam. Une humiliation de trop ! De là à parler du déclin de la puissance américaine, il n’y avait qu’un pas, que de nombreux commentateurs franchirent allégrement, dans le monde entier. Pour Jimmy Carter, profondément religieux, pacifiste, très attaché aux droits de l’homme, ce fut un drame personnel et de mauvais augure pour sa réélection. Les nouveaux dirigeants de Téhéran prolongèrent le supplice jusqu’au jour de l’élection présidentielle américaine, c’est-à-dire pendant encore de long mois, pour, finalement ne rendre les otages qu’à son successeur, Ronald Reagan, le jour de l’inauguration de sa présidence, le 20 janvier 1981.

Peut-être avez-vous vu le film Argo inspiré de faits réels. Il faut le voir. En voici le résumé : Le jour de la prise d’otages, six diplomates américains réussissent à quitter l’ambassade et se réfugient dans la demeure du diplomate canadien John Sheardon, sous la protection de l’ambassadeur canadien Ken Taylor. Immédiatement alerté, le gouvernement canadien accorde l’autorisation d’émettre secrètement des passeports canadiens pour ces otages américains, afin de leur permettre de quitter le pays. Se faisant passer pour des cinéastes en train de tourner un film et escortés par deux agents de la CIA, les six diplomates décollent à bord d’un avion de la Swissair à destination de Zurich le 27 janvier 1980.

L’Amérique, une nouvelle fois, après avoir été humiliée, devra tourner la page. La leçon sera-t-elle retenue ? Les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan, vingt ans après en avoir été chassés par l’intervention américaine et internationale, avec une rapidité qui a sidéré les observateurs. Quand, en plus, le renseignement sous-estime la situation !

Ce qui semble probable aujourd’hui, c’est que l’ingérence, justifiée pour des raisons humanitaires, en ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Afghanistan, ou pour des raisons idéologiques néoconservatrice (construction des nations), a pris fin le 31 août 2021 avec l’image du dernier militaire américain quittant le tarmac de l’aéroport de Kaboul.

Arx tarpeia Capitoli proxima. Les condamnés à mort ne sont plus précipités dans le vide de l’éperon rocheux de la Roche Tarpéienne, mais la distance est toujours aussi courte avec le Capitole où l’on était couvert d’honneurs !

J’avais également en mémoire, le discours prononcé par M. Raymond Aron en janvier 1980, devant ses collègues de l’Académie des sciences morales et politiques. Invité à répondre à la question : « Où vont les États-Unis ? », le professeur avait analysé l’abaissement relatif de la première puissance mondiale qui, en 1945, détenait la quasi-totalité de l’or monétaire, connaissait le revenu national le plus élevé, avait le monopole de la bombe atomique et disposait d’une force militaire sans rivales. Il avait expliqué qu’en trente ans, cette hégémonie s’était érodée, par rapport à l’Union soviétique sur le plan stratégique et au Japon sur le plan industriel. Le dollar avait perdu de la valeur. Il s’interrogeait sur la politique du président Carter et les conséquences des événements de Téhéran qui apparaissaient, inévitablement, comme des signes annonciateurs de l’affaiblissement des États-Unis.

La Une du Monde du 31 août 2021

Il voyait, dans cette situation, une contradiction de la diplomatie américaine. « Historiquement celle-ci à toujours deux visages. D’un côté, au nom de ses principes, de son idéologie, elle se veut libératrice, hostile aux colonies, aux potentats issus de la tradition autoritaire ou aux tyrans dissimulés derrière une idéologie. De l’autre côté, dans la mer des Caraïbes, en Amérique centrale, elle s’est surtout souciée de mettre ou de maintenir au pouvoir des hommes ou des partis favorables aux États-Unis et au commerce… « 

Les échecs subis au Vietnam, en Iran, au Proche et au Moyen-Orient, en Amérique centrale, ont nécessairement des conséquences sur l’image et le prestige de l’Amérique.

Raymond Aron, au cours de cette conférence, avait livré ses réflexions sur l’avenir des États – Unis, lourd de périls.  » L’Union soviétique est désormais, sur le plan militaire, un authentique Super – Grand ; le Japon, les Européens, tiennent une place importante dans le marché mondial. La République américaine demeure malgré tout le seul authentique Super-Grand, parce que l’Union soviétique n’est pas un grand de l’économie mondiale et n’a pas beaucoup à donner à ses protégés, parce que les Européens et les Japonais manquent de moyens militaires, parce qu’elle seule dispose de ces deux sortes d’armes… « 

Le conférencier avait conclu par quelques considérations sur l’évolution du peuple américain, le dollar, la contribution américaine, durable, au progrès de la science et des techniques. Selon lui, le « défi américain » appartenait maintenant au passé. »

Raymond Aron n’est plus là. Il nous manque. Comment répondrait-il aujourd’hui à la question : « Où vont les États-Unis ? »

Jean-Marie Guéhenno, ancien président du Conseil d’administration de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN), ancien Secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations unies, chargé des opérations de maintien de la paix, pense que « la conséquence la plus durable de la tragédie afghane sera un monde d’îlots nationalistes et xénophobes repliés sur eux-mêmes. Le ciment bien fragile qui fait une société internationale s’émiette. Le décalage entre universalisme de la raison et réalité de la force, est un acide destructeur. »

Faute d’avoir suffisamment pris en compte la géographie de l’Afghanistan, avec ses montagnes, ses vallées encaissées, ses cols pour passer d’une région à une autre, celle-ci s’est vengée. Les puissances qui ont pénétré en Afghanistan ne connaissaient ni l’histoire, ni la géographie de ce pays. Des dirigeants politiques américains l’ont constaté à leurs dépens. Et je ne parle pas de ceux qui ne savaient même pas où se trouvent la Yougoslavie, l’Irak, la Libye, l’Afghanistan !

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