Apocalypse


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René Girard, membre de l’Académie française, professeur émérite à l’université de Stanford qualifiait son livre « Achever Clausewitz », d’apocalyptique. Dans l’introduction, il prévenait le lecteur que, dans son livre, il avançait « des choses jamais dites, sur la « possibilité » d’une fin de l’Europe, du monde occidental et du monde dans son ensemble ». La violence, écrivait-il, en 2007, « est aujourd’hui déchaînée au niveau de la planète entière, provoquant ce que les textes apocalyptiques annonçaient : une confusion entre les désastres causés par la nature et les désastres causés par les hommes, une confusion du naturel et de l’artificiel : réchauffement global et montée des eaux ne sont plus aujourd’hui des métaphores. La violence, qui produisait du sacré, ne produit plus rien qu’elle-même. »

Sa relecture de l’œuvre de Carl von Clausewitz, l’auteur de « De la guerre », qui, hanté par les campagnes napoléoniennes et le conflit franco-allemand, avait compris la nature de la guerre moderne, la « montée aux extrêmes », l’accélération de l’histoire, est assez fascinante. « Achever Clausewitz » lève un tabou qui nous empêchait de voir que l’apocalypse a commencé. « Le monde va de plus en plus vite vers les extrêmes. » Car, écrivait-il, « la violence des hommes échappe à tout contrôle et menace, aujourd’hui, la planète entière. »

Convaincu qu’ » « Avant d’être une théorie de Dieu, une théologie, les Évangiles sont une “théorie de l’homme”, une anthropologie », René Girard est souvent présenté comme le penseur de l’apocalypse, dans son sens étymologique et évangélique de « révélation ». René Girard,  « anthropologue évangélique », se réfère à la tradition prophétique, pour construire sa théorie mimétique qui, selon lui, découle des textes bibliques et évangéliques.

René Girard, décédé le 4 novembre 2015, familier des expressions bibliques, aurait sans doute, esquissé un sourire en entendant Vladimir Poutine évoquer Satan, incarnation du mal absolu, rival mimétique facile, dans un récent discours.

Le philosophe, historien, anthropologue, aurait malheureusement eu la confirmation de ses théories, en entendant, avant-hier, le président des États-Unis, Joe Biden, alerter sur un risque d’« apocalypse » nucléaire et mettre Vladimir Poutine en face de ses responsabilités. Le président russe, le 21 septembre, s’était dit prêt à utiliser « tous les moyens », autant dire l’arme nucléaire, contre l’Occident, qu’il accuse de vouloir « détruire » la Russie. Le président russe « ne plaisante pas quand il parle d’un usage potentiel d’armes nucléaires tactiques ou d’armes biologiques ou chimiques », a éprouvé la nécessité de dire M. Biden. « Nous n’avons pas été confrontés à la perspective d’une apocalypse depuis Kennedy et la crise des missiles cubains, en 1962 », a rappelé le président des États-Unis, alors que l’armée ukrainienne regagne chaque jour des villages perdus et des nœuds logistiques à Izioum, Koupiansk et Lyman. 2 500 km2 de territoire auraient déjà été libérés, sans parler de l’explosion, ce matin, sur le pont de Crimée, le pont Poutine !

La déclaration de Joe Biden est surprenante. Pourquoi éprouve-t-il le besoin d’entrer, à chaque prise de parole du président russe, dans son jeu, dans sa stratégie de communication ? Pourquoi s’interroge-t-il publiquement : « Comment Vladimir Poutine peut-il s’en sortir ? Comment peut-il se positionner de façon à ne pas perdre la face ni une portion significative de son pouvoir en Russie ? »

Il donne raison à René Girard qui affirmait que « Le monde va de plus en plus vite vers les extrêmes. »

Ce n’est pas parce que les dirigeants russes se réfèrent continuellement à leur arsenal nucléaire, pour dissuader les forces de l’OTAN d’intervenir dans le conflit, qu’il faut abandonner le principe fondamental sur lequel repose la dissuasion, un concept qui a protégé l’humanité depuis 1945. Ce n’est pas parce que Vladimir Poutine menace d’utiliser du nucléaire sur le champ de bataille, qu’il faut le suivre sur ce terrain. Il sait ce que sont les forces dont dispose l’OTAN. Il ne doit rien savoir de ce que pourrait être la réponse à une action irresponsable de sa part. Une action qui ne doit d’ailleurs pas être définie afin d’entretenir le doute, l’incertitude, dans l’esprit du dirigeant russe. Les intérêts vitaux auxquels il pourrait porter atteinte, ne doivent pas, non plus, être précisés. C’est le principe même de la dissuasion, auquel trop de dirigeants occidentaux, ont cessé imprudemment d’être fidèles.

Ce n’est pas parce que les menaces de Vladimir Poutine n’ont pas dissuadé les Européens et les États-Unis d’aider l’Ukraine, qu’il faut en déduire que la dissuasion ne marche plus. C’est parce que Vladimir Poutine menace inconsidérément, parle trop, que sa dissuasion a perdu de sa crédibilité. Il fait, dans ce domaine, comme dans d’autres, ce qu’il ne faut pas faire et contribue à affaiblir le concept, qui fait, pour cette raison, régulièrement l’objet de controverses.

Face à la retraite de l’armée russe et à une mobilisation anarchique en Russie Vladimir Poutine tente de rassurer en affirmant que l’opération spéciale se déroule comme prévu, après l’annexion de quatre régions ukrainiennes et des « référendums » probants !

Son discours surréaliste, sur la Place Rouge, confirme les théories de René Girard. L’Occident « Hégémonique », « despotique », « Satanique », avec son « système néocolonial qui lui permet de vivre en parasite et de piller le monde entier », qui traite les Russes, « comme des esclaves sans âme », a été décrit par Vladimir Poutine, l’agresseur de l’Ukraine, comme le démon planétaire. Comme sur le Titanic, où l’orchestre jouait de plus en plus fort, au fur et à mesure que le paquebot s’enfonçait dans la mer, le concert devant le Kremlin, après le discours, était destiné à faire oublier ce qui se passe sur le front. La population est choquée par une mobilisation pour une guerre qui n’a aucun sens. Le mécontentement monte. Depuis l’appel à la mobilisation, seulement 29 % de la population souhaite la poursuite de la guerre, contre 48 % auparavant. Les Russes ne comprennent pas la défaillance du commandement, l’incompétence des services de renseignement et l’impréparation de l’opération spéciale par une armée considérée comme une des plus puissantes du monde. 260 000 Russes auraient déjà quitté le pays.

Comment Poutine a-t-il pu sous-estimer pareillement le peuple ukrainien et son esprit de défense, surestimer ses propres forces, douter de la volonté des Occidentaux de soutenir l’Ukraine, parier sur la division de l’Union européenne et de l’OTAN, ne pas prendre en compte les conséquences d’un échec sur l’image de la Russie, la sienne et la réaction de son opinion publique ? C’est très surprenant, alors que ses qualités de stratège, de bon joueur d’échecs, étaient régulièrement vantées.

Le président russe est aujourd’hui isolé, sans doute, même, contesté, pour la première fois, en raison des erreurs commises et des échecs qui s’accumulent en Ukraine. Est-ce qu’il y a un risque de fuite en avant, au moment où 20 000 soldats russes sont encerclés dans la région de Kherson ? Est-ce que le président russe est prêt à tout ?

A l’occasion du 70e anniversaire du président russe, le patriarche Kirill a adressé à Vladimir Poutine une lettre de vœux dont la traduction approximative est la suivante :

« Votre Excellence, Cher Vladimir Vladimirovitch Poutine

Veuillez accepter mes souhaits cordiaux à l’occasion de cette date significative de votre vie – votre 70e anniversaire.

Grâce à de nombreuses années de travail inlassable à des postes clés de l’Etat, vous avez acquis la réputation d’un leader national dévoué totalement à la Patrie, l’aimant sincèrement et lui abandonnant toutes ses forces, ses capacités et ses dons. Le Seigneur vous a placé à la tête du pouvoir pour que vous puissiez accomplir une mission d’une importance particulière et d’une grande responsabilité pour le destin du pays et des personnes confiés à vos soins. La transfiguration de l’image de la Russie, le renforcement de sa souveraineté et de sa capacité de défense, la protection de ses intérêts nationaux, son développement socio-économique progressif, le souci du bien-être de ses citoyens ne sont que quelques-uns des résultats évidents et indéniables des nombreuses années de travail conjoint mené par les différentes branches du gouvernement et les institutions de la société.

Je suis très heureux de témoigner des changements qui se sont produits ces derniers temps dans les relations entre l’Église et l’État, marqués par la création d’un modèle unique de coopération, par l’instauration d’un dialogue confiant et mutuellement bénéfique. Je tiens à vous exprimer une gratitude particulière pour l’attention sans faille que vous portez à la mission de l’Église orthodoxe russe, aux besoins et aux aspirations des fidèles, ainsi que pour le soutien actif que vous apportez aux plus importantes initiatives socio-ecclésiales.

J’espère que la coopération fructueuse qui s’est instaurée continuera à contribuer à la consolidation du peuple, à la préservation du riche patrimoine historique, spirituel et culturel de la Russie, à la construction d’une vie paisible et prospère de mes compatriotes sur les principes intangibles de la solidarité et de l’entraide, du bien et de la justice.
En ce jour de grande importance pour vous et pour notre pays, je vous souhaite une force inextinguible, l’aide abondante de Dieu et un succès béni dans la poursuite de votre mission dans la haute position chargée de responsabilité de leader politique de la grande Russie.
Que le Seigneur de toute générosité vous garde dans la force spirituelle et corporelle pour de nombreuses années à venir.

Avec l’assurance de mon profond et sincère respect. »

Cette lettre donne, également, raison à René Girard, sur la dimension religieuse dans la guerre.

Quand l’anthropologue rédige la conclusion de son livre « Achever Clausewitz », en juillet 2007, le terrorisme, faisait monter d’un cran le niveau de la violence. Il apparaissait comme une réponse des pauvres aux nantis, une revanche contre la richesse de l’Occident, défié. Le « Grand Satan » était le nouveau visage de la « montée aux extrêmes ». « L’Europe est un continent fatigué qui n’oppose plus beaucoup de résistance au terrorisme que nous ne pouvons pas comprendre », écrivait-il, alors.

Le comportement de Poutine, aujourd’hui, est un comportement terroriste.

Courage, nous avons un devoir d’optimisme.

Raymond Aron pensait que la dissuasion triomphera toujours. Espérons-le !


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